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 Louis Fréchette (1839-1908) À lady Edgar

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Louis Fréchette (1839-1908) À lady Edgar Empty
MessageSujet: Louis Fréchette (1839-1908) À lady Edgar   Louis Fréchette (1839-1908) À lady Edgar Icon_minitimeVen 19 Avr - 19:10

À lady Edgar


En mémoire de son mari, sir James Edgar.
Il avait bien quinze ans, et moi j'en avais seize.
- Oh! les bons souvenirs maintenant si lointains! -
Nous écorchions à deux la grammaire française,
Les exercices grecs et les thèmes latins.
Tout est facile à deux, on s'encourage, on s'aide;
Et si le soc s'aheurte aux cailloux du sillon,
On s'épaule, on s'arc-boute, et quand l'obstacle cède
Aux deux fronts le succès met un double rayon.
Notre amitié poussa de profondes racines.
Dès l'aube, quand les bois éveillés à demi
Saluaient le soleil, nos fenêtres voisines
S'ouvraient pour saluer le soleil et l'ami.
Nous étions deux oiseaux volant de la même aile,
Deux anneaux, deux chaînons l'un à l'autre rivés :
Hymen d'une âme soeur avec sa soeur jumelle;
Frères d'un autre monde ici-bas retrouvés!
Tout nous était commun, nos chagrins et nos joies.
Et nos rêves d'enfants ne s'imaginaient pas
Que l'avenir pour nous pût avoir d'autres voies
Que celles qui s'ouvraient ainsi devant nos pas.

Oh! oui, les rêves d'or de notre adolescence!...
La Muse nous berçait déjà sur ses genoux;
Et mille émois troublants accusaient la présence
Des poètes futurs qui sommeillaient en nous.

Nous sentions sur nos fronts l'ombre d'un dieu descendre;
Quelque chose en nos coeurs tressaillait effaré,
Sous le souffle divin qui remuait la cendre
Où dans son embryon couvait le feu sacré.

Tout éveillait chez nous de vagues rêveries :
Un vol d'insecte, un bruit de feuille, un chant d'oiseaux,
L'azur des monts lointains, la fleur d'or des prairies,
Les astres blonds semant des perles sur les eaux.

Et quel panorama pour des yeux de poètes :
Québec et son bassin, ce miroir fabuleux
Dont le cadre, gradins aux fières silhouettes,
S'étage en ondulant jusqu'aux horizons bleus!

Le soir surtout, assis au bord de la falaise,
Combien de fois - oh! oui, dans l'ivresse ou le deuil -
Sans échanger un mot pour mieux rêver à l'aise,
N'avons-nous pas joui du sublime coup d'oeil!

C'était, tout à la fois, une page d'histoire,
Un immortel poème, un merveilleux tableau,
Que cette vision du hardi promontoire
Le front dans le soleil et son ombre sur l'eau.

Et si quelque vaisseau partait au fil de l'onde,
Un vol de toile blanche à ses huniers géants,
Notre rêve suivait sa course autour du monde
À travers le désert des mornes océans.

En avons-nous choyé de ces folles chimères!
Leur spectre me sourit encore, et par moment,
Je crois, en revivant ces heures éphémères,
En ressentir encor le doux ébranlement.

Hélas! souvent la vie a des étapes d'ombres,
Où pour les voyageurs bifurque le chemin :
L'onde la plus limpide a ses profondeurs sombres;
Les jours les plus dorés ont tous un lendemain.

Il partit... Un matin la brise enfla sa voile,
Qui se perdit bientôt sous le ciel vaporeux;
Il désertait le nid pour suivre son étoile;
D'autres zones tentaient ses pas aventureux.

Il partit comme un flot que la marée emporte...
Il était noble et bon, beau comme un demi-dieu;
La gloire l'attendait sur le seuil de la porte :
Ma foi dans sa fortune adoucit notre adieu.

La faveur lui sourit, le destin lui fit fête;
Une fée à son bras, sous le feu des bravos,
Il monta sans relâche, il monta jusqu'au faîte,
Applaudi, salué, même par ses rivaux.

Nous nous sommes revus. Hélas! nos destinées
Avaient suivi chacune un chemin différent;
Mais nous avions vieilli tous deux, et les années
Nous avaient entraînés dans le même torrent.

Pourtant, si l'âge avait, sans pitié dans sa course,
Heurté chacun de nous aux branches du buisson,
Rien de notre amitié n'avait tari la source,
Nos coeurs comme jadis vibraient à l'unisson.

Mais pour les plus heureux l'existence est un leurre...
Un soir il est parti, cette fois pour toujours.
Et je suis resté seul, en deuil, attendant l'heure
Où j'irai retrouver l'ami des anciens jours.


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Louis Fréchette (1839-1908) À lady Edgar
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