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| | Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre V | |
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Auteur | Message |
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| Sujet: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre V Mer 5 Juin - 11:54 | |
| Rappel du premier message :
Chapitre V
Je n'aurais esquissé qu'incomplètement la physionomie sui generis de l'humble canton où je suis né, si je ne parlais un peu des oiseaux de passage qui le visitaient quelquefois. Dans les commencements de la colonie des notaires ambulants parcouraient nos districts de paroisse en paroisse, leur encrier de corne sur la hanche, en quête de contrats de mariage, d'actes de vente, d'obligations, de donaisons vieux mot de l'ancien répertoire ou autres documents à rédiger. Leurs exemple fut suivi par les maîtres d'école, qui se firent eux aussi les colporteurs de l'intelligence. Ils voyageaient à petite journée, s'arrêtant de maison en maison pour donner par-ci par-là des leçons de lecture et d'écriture aux personnes de tout âge qui avaient l'ambition d'être rangées parmi les gens instruits. Quelques-uns avaient une clientèle de dix lieues à la ronde. Ils gagnaient ainsi quelques sous par jour, avec leurs repas et leur coucher. Je connais des instituteurs diplômés de notre temps qui voudraient bien jouir du même avantage. |
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Auteur | Message |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre V Mer 5 Juin - 11:56 | |
| Il y avait le montreur d'animaux empaillés, au nombre desquels se trouvait un certain crocodile accusé d'avoir savouré cinq hommes, dégusté trois femmes et déglutiné un enfant. Il y avait le colporteur invariable irlandais celui-là qu'on appelait «petit marchand », et qui portait au bout de chaque bras un lourd panier chargé de bimbeloterie, et sur son dos un ballot de marchandise d'un poids à éreinter un boeuf. Il y avait la petite vendeuse de tire, qui passait avec sa planchette, en travers de laquelle les bâtons de miel de canne étageaient leurs appétissantes torsades dorées qu'une pincée retenait à chaque bout. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre V Mer 5 Juin - 11:56 | |
| Il y avait le vendeur de toupies, et aussi le vendeur de « p'tits chevaux », ces humbles gâteaux de mélasse, à la forme aussi rudimentaire que traditionnelle, qui ont fait la joie et les délices de tant de générations de mioches. Il y avait encore la marchande de prunes, qui, lorsque arrivait la saison, passait avec sa charrette chargée de ces belles prunes rouges qu'on ne retrouve plus sur nos marchés. Il y avait surtout la « marchande aux légumes », une bonne vieille qu'on appelait ainsi parce qu'elle vendait toutes sortes de choses appartenant aux quatre règnes de la nature. -Qu'est-ce que vous avez à vendre, la mère? lui demandait-on. -De l'anis, mes enfants, de la belle-angélique, des épingles, des raves, des oeufs, des bas de laine, un cochon de lait, toutes sortes d'égumes! |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre V Mer 5 Juin - 11:57 | |
| Enfin, il y avait les sauvages une colonie de Montagnais qui venaient camper, l'été, dans une anse aux environs de l'église de Saint-Joseph, et parcouraient nos rues, qui pour mendier, qui pour vendre certains articles de leur fabrication, des arcs et des flèches, des pirogues minuscules en écorce de bouleau, des pagaies en bois de tilleul, de la gomme de sapin, de menus ouvrages en rasade ou en poil de porc-épic colorié, etc. Ils avaient en général une mauvaise réputation; et quand on en avait vu rôder quelques-uns dans les environs au cours de la journée, les portes se verrouillaient solidement et de bonne heure le soir. Il me souvient, à ce sujet, d'une belle peur dont la pensée m'a longtemps donné la chair de poule. Le deuil venait de frapper une famille à quelque distance de chez mon père; et, comme veiller un mort je l'ai dit précédemment était l'occasion de réunions sinon joyeuses, du moins assez intéressantes, j'avais obtenu la permission d'y prendre part, accompagné de Johnny Campbell, comme toujours, et d'un jeune oncle à moi, frère de ma mère, élève du petit séminaire de Québec, qui venait quelquefois passer ses congés chez mon père. Disons tout de suite que cet oncle, Fortunat Martineau, est mort, en 1851, notaire à Québec, où il avait pour compagnons intimes deux célébrités qui plus tard furent aussi mes amis à moi, les juges Télesphore Fournier et Marc-Aurèle Plamondon. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre V Mer 5 Juin - 11:57 | |
| Durant toute la soirée, la conversation avait roulé sur les faits et gestes d'une bande de sauvages en révolte qui depuis deux jours jetaient la terreur d'un bout de la paroisse à l'autre. On parlait de vols, de déprédations, de méfaits de toutes sortes commis par ces énergumènes à distance de nos quartiers heureusement, car personne n'aurait osé sortir de chez soi, la nuit tombée. Nous n'étions guère rassurés tout de même; et vers les dix heures, nous reprîmes assez inquiets le chemin de la maison. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre V Mer 5 Juin - 11:57 | |
| Jugez de notre stupeur, lorsqu'à mi-chemin à peu près, nous entendîmes tout à coup, venant d'une des côtes en ravin qui descendaient au fleuve très confuse d'abord, mais grossissant au fur et à mesure que nous avancions une tempête de cris et de clameurs enragées qui nous semblèrent comme les imprécations furibondes d'une vingtaine de déchaînés ivres hurlant mille rugissements barbares dans la nuit. Les voix s'approchaient rapidement. Que faire? À notre droite, la grève, à découvert sous un clair de lune impossible; à gauche, la falaise qui aurait pu nous offrir un refuge sous les arbres ou dans les anfractuosités du roc, mais qui était trop éloignée pour nous permettre de l'atteindre à temps. Trois maisons étaient à notre portée; mais nous ne songeâmes même pas à essayer de nous faire ouvrir, tant chaque porte et chaque fenêtre semblait barricadée par l'épouvante. Or le temps pressait; il fallait fuir, ou plutôt nous cacher, car la fuite en pleine lumière nous aurait trahis. Tremblant comme une feuille au vent, je me cramponnais à mes deux compagnons, lorsque mon oncle m'enlève sur ses épaules. - Chut! fit-il en s'adressant à Campbell, pas de bruit, et par ici! Et toi, ajouta-t-il en me serrant les deux mains, tiens- moi par le cou, ferme, et n'aie pas peur! Et le voilà à grimper dans une échelle dressée le long du toit d'une écurie qui se trouvait au plus près. Johnny nous suivait. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre V Mer 5 Juin - 11:57 | |
| - N'aie pas peur! me répétait-on. Le conseil était bon à donner, mais plus difficile à suivre. Les hurlements approchaient toujours, et ma terreur était telle que, sans la confiance absolue que j'avais en mon oncle, je me serais infailliblement évanoui. Arrivés à l'angle du toit, mes deux compagnons quittèrent l'échelle, et se suspendirent par les poignets sur la déclivité opposée du toit, en sorte que nous nous trouvions invisibles tout en étant en pleine lumière. Les sauvages passèrent à dix pas de nous, comme une trombe, parmi les vociférations infernales d'un formidale chahut. Sans tout ce bruit, ou aurait pu entendre nos coeurs battre dans nos poitrines. Quelques minutes plus tard, mon père arrivait à notre recherche, armé jusqu'aux dents et la pâleur au visage. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre V Mer 5 Juin - 11:58 | |
| Qu'on me permette ici d'intervertir l'ordre chronologique de mes récits. Plus tard, j'eus des rapports d'une autre nature avec les descendants des premiers habitants du pays; des rapports assez anodins d'abord, mais qui se gâtèrent vers la fin. Pendant mes vacances de collégien, je visitai quelquefois les wigwams de Saint-Joseph, et je fis connaissance avec un vieux Montagnais du nom d'Isaac prononcez Zac un type dont la conversation ne manquait pas quelquefois de piquant. -As-tu connu le bom' Thomas Lalais? me demanda-t-il un jour. -Le chantre? Certainement. -Il est mort ben vieux, hein? -Oui. -Eh ben, il a pas toujours été vieux comme ça, va! -Probablement. -Et ce père José Capé, tu le connais? -Un peu, oui. -Il a été jeune lui aussi pendant un bout de temps. Tout cela était pour me dire que ces deux personnages lui avaient autrefois joué un tour plus ou moins pendable un tour que je ne raconterais pas à table, et que je ne consignerai pas ici de peur de ne pouvoir le faire en termes honnêtes. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre V Mer 5 Juin - 11:58 | |
| Le voyant un jour cuisiner misérablement des pommes de terre dans la cendre chaude: -Pourquoi donc ne te procures-tu pas un petit poêle de tôle? lui demandai-je; ce serait beaucoup plus commode. -Un poêle! dit-il, c'est pas des inventions pour les sauvages, ça ! Le vieux était assez paisible d'ordinaire; mais quelquefois, lorsqu'il avait bu surtout, la nature du sauvage reprenait le dessus; alors il devenait féroce, et même dangereux. Un soir que j'étais entré dans son wigwam, en compagnie d'un camarade du nom de Marcel Bourget, dont j'aurai peut-être l'occasion de parler de nouveau, nous le trouvâmes étendu sur le mince amas de branches de sapin qui lui servait de couche. Son fils fumait tranquillement sa pipe près du foyer, au centre de la hutte, et sa vieille squaw était assise sur le pied du lit si l'on peut appeler cela un lit. A un moment donné, je ne sais trop à quel propos; peut-être à la suggestion de mon camarade, qui voulait me faire pièce: -Zac! dis je, chante-nous donc une chanson! -Je chante pas! répondit Zac, d'un ton bourru. -Mais si, tu chantes. -Dis-moi pus ça! rugit-il. Et, sans autre provocation, et avec le plus grand sang-froid du monde, le féroce animal me lance en pleine figure une hache qu'il avait sous la main. Je n'eus que le temps de baisser la tête devant l'arme meurtrière, qui creva l'écorce du wigwam derrière moi. Je n'ai pas besoin de vous dire si je bondis à la gorge du forcené, le poing levé sur sa figure grimaçante. Le fils ne bougea pas d'un doigt. -Encore la cabane percée! dit-il de cette voix traînarde propre à ceux de sa race. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre V Mer 5 Juin - 11:58 | |
| Ce flegme imperturbable conjura la râclée, désarmé que je fus surtout, lorsque j'entendis la vieille sauvagesse qui disait, avec le même calme que son fils: - Quand il a pris du whisky, il est un p'tit brin prompt! Je me contentai d'étrangler un peu le bonhomme, et l'on ne me revit plus sous les wigwams de Saint-Joseph ou d'ailleurs. Mais j'ai considérablement anticipé; revenons aux Chantiers. Si j'ai vu quelquefois des sauvages méchants, j'en ai vu aussi de bien inoffensifs. J'en ai même connu un très bon et qui, pour la reconnaissance, aurait pu en remontrer à bien des gens civilisés. C'était un très vieux; il s'appelait Étienne Gilman, Guillemet, ou quelque chose d'approchant. Il était entré un jour chez nous affublé d'un débris de... disons d'inexpressible. Je me sers à dessein de l'expression inventée par la pudeur britannique, car en vérité, l'objet ne saurait se désigner autrement pour en donner une idée. Le fait est que l'article de toilette en question ne pouvait guère qu'attirer l'attention sur ce qu'il avait dû avoir primitivement pour mission de dissimuler. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre V Mer 5 Juin - 11:58 | |
| - Y a ben des Saguenays que je l'ai, disait mon sauvage. Comme ces pauvres déshérités de la civilisation passaient tous leurs hivers au Saguenay, ils confondaient ce nom avec les années affaire de consonance. Un an, deux ans, trois ans, c'était dans leur langage, un, deux, trois saguenays. Mon père, qui je l'ai dit était la charité en personne, lui fit donner un pantalon. Pauvre diable! Je n'ai jamais vu, ma parole d'honneur, dans les soixante et quatre ans que j'ai passés sur la terre, un pareil degré de ravissement s'épanouir sur une figure humaine. C'était le ravissement de l'extase. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre V Mer 5 Juin - 11:58 | |
| Tous les printemps qui suivirent et cela dura plusieurs années on voyait apparaître le vieux sauvage avec son large et bon sourire. Il nous apportait, à mon frère et à moi, chacun un arc et des flèches. Vous dire si nous lui faisions fête!... Un jour, il nous apporta une espèce de marmotte qu'on appelle siffleux; une autre fois, ce fut une tortue, un écureuil, etc. Brave coeur! Ce pauvre Étienne, je lui garde un des bons souvenirs de mon enfance. Quand nous le vîmes pour la dernière fois, il avait cent trois ans cent trois saguenays, comme il disait et il avait fait plus de quatre milles à pied pour nous apporter son cadeau annuel. Je viens de faire allusion pour la première fois, je crois, à mon frère Edmond, qui devait être jusqu'à ce que Dieu l'enleva à mon affection le compagnon le plus intime de ma vie. Il était mon cadet de quatorze mois seulement; et jusqu'à sa mort, qui eut lieu en 1885, sa vie se confondit plus ou moins avec la mienne. Peu d'hommes ont à ma connaissance fait preuve de talents plus variés, ont acquis plus de connaissances avec moins d'efforts, et par leur bonne humeur et leur esprit primesautier, mieux et plus longtemps amusé leurs contemporains. |
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