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| | Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VIII | |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
 | Sujet: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VIII Mer 12 Juin - 8:48 | |
| Rappel du premier message :
Chapitre VIII
D'après ce qui précède, on peut voir que j'avais pour la poésie, sinon de grandes aptitudes, du moins un goût très prononcé, qui m'aurait permis peut-être de produire quelque chose de sérieux, si je me fusse trouvé dans un milieu plus favorable. Je voyais les choses étrangement, et comme enveloppées dans une atmosphère de rêve. Le moindre incident, les banalités les plus vulgaires de la vie revêtaient dans ma pensée, soit une auréole dorée, soit un aspect grandiose ou sévère qui ébranlaient ma sensibilité nerveuse. Cependant les effluves de la poésie n'étaient pas les seuls à hanter mon cerveau. D'autres visions d'art s'y manifestaient avec moins de persistance peut-être, mais tout aussi vivement. Une peinture, un dessin, un croquis m'enthousiasmaient. Rien ne m'intéressait plus qu'une feuille de papier avec un crayon. Alors je dessinais des vaches, des chiens, des oiseaux, des poissons, et surtout des bâtiments et des chevaux. |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
 | Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VIII Mer 12 Juin - 8:52 | |
| En quelques années il avait acquis un prestige extraordinaire. C'était, du reste, un habile tireur de ficelles; ou, pour me servir d'une expression moins abusive, il savait pincer la vraie corde au bon endroit, et la faire vibrer en virtuose accompli. Il ne négligeait rien de ce qui constitue un élément de succès; et, le but d'intérêt public étant donné, je suis loin de lui faire un reproche d'avoir su mieux que personne se mettre à la portée de son auditoire pour frapper l'imagination populaire et s'emparer des esprits. Il avait été un saint Louis de Gonzague au collège; il devint un saint François-Xavier dans le monde. Une idée géniale lui avait passé par la tête. Notre population était rongée par une plaie sociale l'alcoolisme plaie qui n'est pas encore tout à fait guérie, par parenthèse: l'abbé Chiniquy résolut de combattre l'ennemi corps à corps, et de le vaincre.
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 | Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VIII Mer 12 Juin - 8:52 | |
| C'était une tâche plus qu'herculéenne; c'était vouloir vider la mer avec un panier; mais la fortune, comme dit Horace, favorise les audacieux. D'ailleurs le drapeau était beau, la nouvelle croisade prêtait à l'éloquence de la chaire, aux effets de scène, aux récits dramatiques, aux saisissantes peintures: le jeune prédicateur, dont la nature effervescente aimait les élans passionnés et les choses théâtrales, vit là sa mission, et probablement aussi son affaire. Il trouvait là son joint, comme on dit en argot d'atelier. Il y voyait sans doute aussi une grande somme de bien à accomplir, pourquoi pas? L'abbé Chiniquy se fit dans cette voie une réputation colossale; on ne le nommait plus, d'un bout à l'autre du pays, que l'Apôtre de la Tempérance. On s'écrasait pour le voir; on faisait des dix lieues pour l'entendre. |
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 | Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VIII Mer 12 Juin - 8:53 | |
| Quand il allait prêcher une retraite quelque part, on venait le recevoir en procession, bannière en tête, à l'entrée de la paroisse. Les conversions étaient éclatantes. Les vieux ivrognes ne se reconnaissaient plus. Des cabaretiers j'ai vu cela de mes yeux vidaient leurs tonneaux de whisky en pleines rues (sic). Ceux qui s'obstinaient à ne pas fermer boutique faisaient faillite. C'était un gold cure (sic) universel. Badinage à part, les retraites de l'abbé Chiniquy eurent un succès absolument inouï dans l'histoire de la prédication américaine. Il était à l'apogée du succès et de la réputation quand je le vis pour la deuxième fois. C'était dans l'église de Saint-Joseph de Lévis. Il venait de monter en chaire, et d'un geste sculptural faisait le signe de la croix. Ici la mémoire me fait défaut. Je serais porté à croire que ce sermon de l'abbé Chiniquy fut donné à peu près à l'époque où eut lieu la visite dont j'ai parlé plus haut; mais comme lors de cette visite, |
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 | Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VIII Mer 12 Juin - 8:53 | |
| l'abbé Chiniquy était encore curé de Kamouraska, et qu'il quitta cette cure en 1846 c'est-à-dire quand je n'avais encore que six ans je ne puis avoir été, à cet âge, susceptible d'une pareille impression. Peut-être fut-il invité à prêcher chez nous dans une autre circonstance. En tout cas, lorsque je l'entendis pour la première et dernière fois de ma vie, je n'avais pas encore fait ma première communion, et comme je l'ai faite à neuf ans, je ne pouvais guère en avoir plus que huit. On va comprendre pourquoi j'entre dans ces détails. Chiniquy était-il réellement un grand orateur? Voilà ce que je me demande quelquefois. Grand orateur au point de vue de la dialectique, je ne saurais le dire; mais au point de vue du charme entraînant de son élocution, le fait même que je relate peut en donner une idée. En effet, comme je viens de le mentionner, je ne pouvais pas avoir plus de huit ans. Or je fus, cette fois-là, tellement frappé, saisi, enlevé par cette parole fiévreuse, par cette éloquence pleine de fougue, que j'en ressens encore le choc nerveux après cinquante-six ans passés. Je vois encore l'orateur penché au-dessus de moi du haut de la chaire. Je me rappelle tout, son organe puissant, sonore, sympathique, foudroyant ou attendri, ses tableaux à donner la chair de poule, son attitude, ses poses dramatiques avec son crucifix à la main, la petite scène gracieuse et poétique du verre d'eau, et surtout sa physionomie, à laquelle il savait donner je ne sais quelle expression de mysticisme que les moins enthousiastes trouvaient angélique. |
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 | Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VIII Mer 12 Juin - 8:53 | |
| On me dira que cela ne prouve rien, que j'aurai subi tout simplement un effet de sensibilité bien ordinaire chez un enfant à imagination vive. Je le croirais, si je n'avais gardé de ce sermon qu'une simple impression de l'oreille et des yeux et non la mémoire très vive et très nette du discours tout entier, que je pourrais refaire presque d'un bout à l'autre. Depuis cette époque, sans doute, j'ai compris qu'il y avait là probablement beaucoup de la mise en scène, pour ne pas dire du charlatanisme, des détails trop invraisemblables pour un auditoire d'aujourd'hui; je me rends compte de ce qu'il pouvait y avoir de faux ou d'outré dans ce genre d'éloquence; mais il n'en est pas moins clair pour moi qu'un homme qui peut, non seulement remuer les masses comme Chiniquy les remuait, mais encore produire un pareil effet sur l'esprit, et laisser une trace aussi persistante dans les souvenirs d'un enfant de huit ans, ne peut être qu'un grand orateur. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VIII Mer 12 Juin - 8:53 | |
| Grand orateur ou non, néanmoins, on ne peut pas prêcher sur la tempérance toute sa vie; et l'abbé Chiniquy dut, à un moment donné, tourner son activité vers autre chose. Toujours remuant, et tourmenté plus que jamais par l'ambition d'accomplir quelque chose de grand, il voulut étendre son envergure au delà de nos frontières. Il rêva de fonder une ville, une province, une nation peut-être; et il partit pour les prairies de l'Illinois, entraînant toute une colonie à sa suite. Ce qui s'ensuivit est connu de tout le monde: difficultés avec l'évêque de Chicago, résistance latente d'abord, puis révolte ouverte, excommunication solennelle; et enfin schisme, suivi d'abjuration définitive. L'abbé Chiniquy, l'idole des catholiques, était devenu pasteur protestant. Cette nouvelle éclata comme un coup de foudre. J'étais au collège à ce moment; ni les maîtres ni les élèves n'osaient en croire leurs oreilles jamais chute ne produisit un pareil effet d'écroulement. Tout le clergé du pays eût abjuré en bloc, que la population n'eût pas été plus stupéfiée. Il y a de cela tout |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VIII Mer 12 Juin - 8:53 | |
| près de cinquante ans, et la douloureuse meurtrissure produite par ce choc inattendu est encore sensible. Je revis le célèbre prédicateur quelque dix ans plus tard. J'étais en visite chez mon frère Achille, à Sainte-Anne de Kankakee, et les circonstances nous mirent en contact. Il était marié depuis peu, et habitait une maison d'apparence modeste, mais confortable. Il fut charmant de gaieté et de cordiale bonhomie; il causa longuement du passé, mais sans amertume. Je le rencontrai aussi quelquefois à Montréal, sur ses dernières années. Son tact et sa bienveillance ne se démentirent jamais. Il était très vert pour son âge: l'année de sa mort, à quatre-vingt-neuf ans, il lisait encore sans besicles et avait l'ouïe aussi délicate qu'un jeune homme de vingt ans. Maintenant, on se demande où est l'oeuvre de cet homme si bien doué et qui, lancé dans une autre voie, eût pu accomplir tant de bien. Je ne la vois nulle part. Il a prêché contre le catholicisme durant quarante ans; il peut avoir ébranlé la foi de quelques-uns; il n'a, en réalité, convaincu personne. Ses plus chauds partisans de l'Illinois sont à peu près tous revenus à la religion de leurs pères à commencer par ses deux frères et leurs familles. De sorte que, à son point de vue même, sa longue vie, qui aurait pu être si féconde, a été manquée ratée, comme on dit aujourd'hui. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VIII Mer 12 Juin - 8:54 | |
| Encore une fois, je n'ai pas à juger sa volte-face. Bien qu'elle répugne extrêmement à nos convictions catholiques, elle est à mon avis un acte de conscience qui ne relève que de Dieu. Mais on admettra qu'il n'en est pas de même de ses actes de prosélytisme. Ceux-ci sont du domaine social, et le public a le droit d'apprécier. L'abbé Chiniquy pouvait fort bien avoir cessé de croire à certains de nos dogmes, mais il ne pouvait pas avoir cessé de savoir que le catholicisme n'enseigne pas le mal, que l'Église de Rome, qui a compté dans son sein les Bossuet et les Pascal, a le même code de morale que le protestantisme, que nous obéissons plus ou moins bien au même Evangile, et rendons hommage au même Créateur que les protestants. Pourquoi donc tant de déblatérations contre sa foi des anciens jours? Je parle ici de ses conférences et sermons, car, dans la conversation, il se montrait tout particulièrement réservé sur ce point. Était-ce son zèle pour le salut des âmes qui l'animait? C'est possible, mais à qui fera-t-on jamais croire qu'un homme ayant toute sa vie observé en conscience les préceptes de l'Église catholique n'aura pas sa place au ciel? En tout cas, il serait difficile de persuader à des auditeurs sérieux qu'un individu qui se damne en allant à confesse pourra mieux se sauver en n'y allant point. Je comprendrais ce zèle chez un païen converti au christianisme et qui voudrait éclairer ses frères; mais je ne le comprends guère chez un chrétien qui passe d'une Église dans une autre, quand ces deux Églises ne diffèrent ni dans la manière de comprendre le bien, ni dans la manière de le pratiquer, mais seulement sur des questions de controverse dogmatique et les formalités extérieures du culte. Il faisait la guerre, disait-il, aux erreurs de Rome. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VIII Mer 12 Juin - 8:54 | |
| Eh bien, moi, je ne suis pas un théologien, mais je crois sincèrement que si les différentes dénominations chrétiennes qui se partagent, sur notre globe, l'empire des consciences s'étudiaient surtout à démontrer la supériorité de leurs croyances respectives par la sainteté de leurs oeuvres, elles rempliraient mieux les vues du divin Fondateur qu'en consacrant autant de temps et de peine à ergoter sur des textes et à dénoncer les erreurs les unes des autres et réciproquement. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VIII Mer 12 Juin - 8:54 | |
| Il y a des abus partout; les religions sont gouvernées par des hommes, et les hommes ne sont parfaits nulle part. Mais, entre nous, là, je ne crois pas que l'abbé Chiniquy ait jamais songé sérieusement à démontrer qu'à la fin des temps, l'on verra beaucoup plus de protestants que de catholiques à la droite du souverain Juge. Aimons-nous et vivons en paix les uns à côté des autres; cela vaudra mieux que ces discussions oiseuses et souvent injurieuses qui aigrissent les esprits sans éclairer personne. M. Chiniquy a choisi son chemin pour arriver au ciel: à la rigueur c'était son droit. Où l'on dépasse son droit, c'est quand on exige que les autres vous fassent cortège en suivant la même route, et qu'on anathématise ceux qui ne veulent pas se laisser convaincre. Ceux qui trouvent puéril de porter un scapulaire devraient bien se demander s'il est moins absurde ou moins ridicule de se faire un crime d'une partie de whist le dimanche jour de repos. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VIII Mer 12 Juin - 8:54 | |
| Un autre tort que l'histoire reprochera amèrement à l'ancien apôtre de la tempérance, c'est d'avoir imprudemment mis, dans le passé, son talent au service de la politique de parti. Il fut le premier prêtre canadien qui dénonça les libéraux du haut de la chaire. Agissait-il en cela pour des considérations intéressées? En tout cas il en fut récompensé pécuniairement par le gouvernement du temps. Nous en avons eu l'aveu indirect lorsqu'on célébra le quatre- vingtième anniversaire de sa naissance. Cette ingérence intempestive exaspéra la jeunesse avancée de l'époque; les représailles ne furent pas toujours mesurées; le clergé tout entier en prit ombrage, et il n'y a pas d'exagération à dire
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