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| | Théophile Gautier. (1811-1872) Une Visite Nocturne. | |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Théophile Gautier. (1811-1872) Une Visite Nocturne. Sam 27 Juil - 23:23 | |
| Une Visite Nocturne.
J’ai un ami, je pourrais en avoir deux ; son nom, je l’ignore, sa demeure, je ne la soupçonne pas. Perche-t-il sur un arbre ? se terre-t-il dans une carrière abandonnée ? Nous autres de la Bohème, nous ne sommes pas curieux, et je n’ai jamais pris le moindre renseignement sur lui. Je le rencontre de loin en loin, dans des endroits invraisemblables, par des temps impossibles. Suivant l’usage des romanciers à la mode, je devrais vous donner le signalement de cet ami inconnu ; je présume que son passeport doit être rédigé ainsi : « Visage ovale, nez ordinaire, bouche moyenne, menton rond, yeux bruns, cheveux châtains ; signes distinctifs : aucun. » C’est cependant un homme très singulier. Il m’aborde toujours en criant comme Archimède : « J’ai trouvé ! » car mon ami est un inventeur. |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Une Visite Nocturne. Sam 27 Juil - 23:23 | |
| Tous les jours, il fait le plan d’une machine nouvelle. Avec une demi-douzaine de gaillards pareils, l’homme deviendrait inutile dans la création. Tout se fait tout seul : les mécaniques sont produites par d’autres mécaniques, les bras et les jambes passent à l’état de pures superfluidités. Mon ami, vrai puits de Grenelle de science, ne néglige rien, pas même l’alchimie. Le Dragon vert, le Serviteur rouge et la Femme blanche sont à ses ordres ; il a dépassé Raymond Lulle, Paracelse, Agrippa, Cardan, Flamel et tous les hermétiques.
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Une Visite Nocturne. Sam 27 Juil - 23:23 | |
| -Vous avez donc fait de l’or ? lui dis-je un jour d’un air de doute, en regardant son chapeau presque aussi vieux que le mien.
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Une Visite Nocturne. Sam 27 Juil - 23:24 | |
| -Oui, me répondit-il avec un parfait dédain, j’ai eu cet enfantillage ; j’ai fabriqué des pièces de vingt francs qui m’en coûtaient quarante ; du reste, tout le monde fait de l’or, rien n’est plus commun : Esq-, d’Abad., de Ru., en ont fait ; c’est ruineux. J’ai aussi composé du tissu cellulaire en faisant traverser des blancs d’oeuf par un courant électrique ; c’est un bifteck médiocre et qui ressemble toujours un peu à de l’omelette. J’ai obtenu le poulet à tête humaine, et la mandragore qui chante, deux petits monstres assez désagréables ; comme maître Wagner, j’ai un homunculus dans un flacon de verre ; mais, décidément, les femmes sont de meilleures mères que les bouteilles. Ce qui m’occupe maintenant, c’est de sortir de l’atmosphère terrestre. Peut-être Newton s’est-il trompé, la loi de la gravitation n’est vraie que pour les corps : les corps se précipitent, mais les gaz remontent. Je voudrais me jeter du haut d’une tour et tomber dans la lune. Adieu ! |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Une Visite Nocturne. Sam 27 Juil - 23:24 | |
| Et mon ami disparut si subitement, que je dus croire qu’il était entré dans le mur comme Cardillac. Un soir, je revenais d’un théâtre lointain situé vers le pôle arctique du boulevard ; il commençait à tomber une de ces pluies fines, pénétrantes, qui finissent par percer le feutre, le caoutchouc, et toutes les étoffes qui abusent du prétexte d’être imperméables pour sentir la poix et le goudron. Les voitures de place étaient partout, excepté, bien entendu, sur les places. À la douteuse clarté d’un réverbère qui faisait des tours d’acrobate sur la corde lâche, je reconnus mon ami, qui marchait à petits pas comme s’il eût fait le plus beau temps du monde.
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Une Visite Nocturne. Sam 27 Juil - 23:24 | |
| -Que faites-vous maintenant ? lui dis-je en passant mon bras sous le sien. -Je m’exerce à voler. -Diable ! répondis-je avec un mouvement involontaire en portant la main sur ma poche. -Oh ! je ne travaille pas à la tire, soyez tranquille, je méprise les foulards ; je m’exerce à voler, mais non sur un mannequin chargé de grelots comme Gringoire dans la cour des Miracles. Je vole en l’air, j’ai loué un jardin du côté de la barrière d’Enfer, derrière le Luxembourg ; et, la nuit, je me promène à cinquante ou soixante pieds d’élévation ; quand je suis fatigué, je me mets à cheval sur un tuyau de cheminée. C’est commode
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Une Visite Nocturne. Sam 27 Juil - 23:24 | |
| -Et par quel procédé ? -Mon Dieu, rien n’est plus simple. Et, là-dessus, mon ami m’expliqua son invention ; en effet, c’était fort simple, simple comme les deux verres qui, posés aux deux bouts d’un tube, font apercevoir des mondes inconnus, simple comme la boussole, l’imprimerie, la poudre à canon et la vapeur. Je fus très étonné de ne pas avoir fait moi-même cette découverte ; c’est le sentiment qu’on éprouve en face des révélations du génie. |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Une Visite Nocturne. Sam 27 Juil - 23:24 | |
| -Gardez-moi le secret, me dit mon ami en me quittant. J’ai trouvé pour ma découverte un prospectus fort efficace. Les annonces des journaux sont trop chères, et, d’ailleurs, personne ne les lit ; j’irai de nuit m’asseoir sur le toit de la Madeleine, et, vers onze heures du matin, je commencerai une petite promenade d’agrément au-dessus de la zone des réverbères ; promenade que je prolongerai en suivant la ligne des boulevards jusqu’à la place de la Bastille, où j’irai embrasser le génie de la liberté sur sa colonne de bronze. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Une Visite Nocturne. Sam 27 Juil - 23:24 | |
| Cela dit, l’homme singulier me quitta. Je ne le revis plus pendant trois ou quatre mois. Une nuit, je venais de me coucher, je ne dormais pas encore. J’entendis frapper distinctement trois coups contre mes carreaux. J’avouerai courageusement que j’éprouvais une frayeur horrible. Au moins si ce n’était qu’un voleur, m’écriai-je dans une angoisse d’épouvante, mais ce doit être le diable, l’inconnu, celui qui rôde la nuit, quaerens quem devoret. On frappa encore, et je vis se dessiner à travers la vitre des traits qui ne m’étaient pas étrangers. Une voix prononça mon nom et me dit :
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Une Visite Nocturne. Sam 27 Juil - 23:24 | |
| -Ouvrez donc, il fait un froid atroce. Je me levai. J’ouvris la fenêtre, et mon ami sauta dans la chambre. Il était entouré d’une ceinture gonflée de gaz ; des ligatures et des ressorts couraient le long de ses bras et de ses jambes ; il se défit de son appareil et s’assit devant le feu, dont je ranimai les tisons. Je tirai de l’armoire deux verres et une bouteille de vieux bordeaux. Puis je remplis les verres, que mon ami avala tous deux par distraction, c’est-à-dire dont il avala le contenu. Sa figure était radieuse. Une espèce de lumière argentée brillait sur son front, ses cheveux jouaient l’auréole à s’y méprendre. |
| | | | Théophile Gautier. (1811-1872) Une Visite Nocturne. | |
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