PLUME DE POÉSIES
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 Anatole France (1844-1924) PUTOIS, II

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Anatole France (1844-1924) PUTOIS, II Empty
MessageSujet: Anatole France (1844-1924) PUTOIS, II   Anatole France (1844-1924) PUTOIS, II Icon_minitimeDim 3 Fév - 13:24

PUTOIS, II

Messieurs Goubin et Jean Marteau étant survenus,
M. Bergeret les mit au point de la conversation:
-nous parlions de celui qu'un jour ma mère fit naître
jardinier à Saint-omer et nomma par son nom. Dès lors
il agit.

-cher maître, voudriez-vous répéter? Dit M. Goubin
en essuyant le verre de son lorgnon.

-volontiers, répondit M. Bergeret. Il n'y avait pas
de jardinier. Le jardinier n'existait pas. Ma mère
dit: "j'attends le jardinier. "aussitôt le jardinier
fut. Et il agit.

-cher maître, demanda M. Goubin, comment agit-il,
puisqu'il n'existait pas?

-il avait une sorte d'existence, répondit M.
Bergeret.

-vous voulez dire une existence imaginaire, répliqua
dédaigneusement M. Goubin.
-n'est-ce donc rien qu'une existence imaginaire?
S'écria le maître. Et les personnages mythiques ne
sont-ils donc pas capables d'agir sur les hommes?
Réfléchissez sur la mythologie, monsieur Goubin, et
vous vous apercevrez que ce sont, non point des êtres
réels, mais des êtres imaginaires qui exercent sur les
âmes l'action la plus profonde et la plus durable.
Partout et toujours des êtres, qui n'ont pas plus de
réalité que Putois, ont inspiré aux peuples la haine
et l'amour, la terreur et l'espérance, conseillé des
crimes, reçu des offrandes, fait les moeurs et les
lois. Monsieur Goubin, réfléchissez sur l'éternelle
mythologie. Putois est un personnage mythique, des
plus obscurs, j'en conviens, et de la plus basse
espèce. Le grossier satyre, assis jadis à la table de
nos paysans du Nord, fut jugé digne de paraître dans
un tableau de Jordaëns et dans une fable de La
Fontaine. Le fils velu de Sycorax entra dans le
monde sublime de Shakespeare. Putois, moins heureux,
sera toujours méprisé des artistes et des poètes. Il
lui manque la grandeur et l'étrangeté, le style et le
caractère. Il naquit dans des esprits trop
raisonnables, parmi des gens qui savaient lire et
écrire et n'avaient point cette imagination charmante
qui sème les fables. Je pense, messieurs, que j'en ai
dit assez pour vous faire connaître la véritable
nature de Putois.

-je la conçois, dit M. Goubin.
Et M. Bergeret poursuivit son discours:
-Putois était. Je puis l'affirmer. Il était.
Regardez-y, messieurs, et vous vous assurerez qu'être
n'implique nullement la substance et ne signifie que
le lien de l'attribut au sujet, n'exprime qu'une relation.

-sans doute, dit Jean Marteau, mais être sans
attributs, c'est être aussi peu que rien. Je ne sais
plus qui a dit autrefois: "je suis celui qui est. "
excusez le défaut de ma mémoire. On ne peut tout se
rappeler. Mais l'inconnu qui parla de la sorte commit
une rare imprudence. En donnant à entendre par ce
propos inconsidéré qu'il était dépourvu d'attributs
et privé de toutes relations, il proclama qu'il
n'existait pas et se supprima lui-même étourdiment.

Je parie qu'on n'a plus entendu parler de lui.
-vous avez perdu, répliqua M. Bergeret. Il a
corrigé le mauvais effet de cette parole égoïste en
s'appliquant des potées d'adjectifs, et l'on a
beaucoup parlé de lui, le plus souvent sans aucun
bon sens.

-je ne comprends pas, dit M. Goubin.
-il n'est pas nécessaire de comprendre, répondit
Jean Marteau.

Et il pria M. Bergeret de parler de Putois.
-vous êtes bien aimable de me le demander, fit le
maître.

"Putois naquit dans la seconde moitié du xixe siècle,
à Saint-omer. Il lui aurait mieux valu naître
quelques siècles auparavant dans la forêt des
Ardennes ou dans la forêt de Brocéliande. ç'aurait
été alors un mauvais esprit d'une merveilleuse
adresse.

-une tasse de thé, monsieur Goubin, dit Pauline.
-Putois était-il donc un mauvais esprit? Demanda
Jean Marteau.

-il était mauvais, répondit M. Bergeret ; il
l'était en quelque manière, mais il ne l'était pas
absolument. Il en est de lui comme des diables qu'on
dit très méchants, mais en qui l'on découvre de bonnes
qualités quand on les fréquente. Et je serais disposé
à croire qu'on a fait tort à Putois. Madame
Cornouiller, qui, prévenue contre lui, l'avait tout
de suite soupçonné d'être un fainéant, un ivrogne et
un voleur, réfléchit que, puisque ma mère l'employait,
elle qui n'était pas riche, c'était qu'il se
contentait de peu, et elle se demanda si elle n'aurait
pas avantage à le faire travailler préférablement à
son jardinier qui avait meilleur renom, mais aussi
plus d'exigences. On entrait dans la saison de tailler
les ifs. Elle pensa que si madame éloi Bergeret, qui
était pauvre, ne donnait pas grand'chose à Putois,
elle-même, qui était riche, lui donnerait moins
encore, puisque c'est l'usage que les riches payent
moins cher que les pauvres. Et elle voyait déjà ses
ifs taillés en murailles, en boules et en pyramides,
sans qu'elle y fît grande dépense. "j'aurai l'oeil, se
dit-elle, à ce que Putois ne flâne point et ne me
vole point. Je ne risque rien et ce sera tout profit.
Ces vagabonds travaillent quelquefois avec plus
d'adresse que les ouvriers honnêtes. "elle résolut
d'en faire l'essai et dit à ma mère: "mignonne,
envoyez-moi Putois. Je le ferai travailler à
monplaisir. "ma mère le lui promit. Elle l'eût fait
volontiers. Mais vraiment ce n'était pas possible.
Madame Cornouiller attendit Putois à monplaisir, et
l'attendit en vain. Elle avait de la suite dans les
idées et de la constance dans ses projets. Quand elle
revit ma mère, elle se plaignit à elle de n'avoir pas
de nouvelles de Putois. "mignonne, vous ne lui avez donc
pas dit que je l'attendais? -si! Mais il est étrange,
bizarre... -oh! Je connais ce genre-là. Je le sais
par coeur votre Putois. Mais il n'y a pas d'ouvrier
assez lunatique pour refuser de venir travailler à
monplaisir. Ma maison est connue, je pense. Putois se
rendra à mes ordres, et lestement, ma mignonne.

Dites-moi seulement où il loge ; j'irai moi-même le
trouver. "ma mère répondit qu'elle ne savait pas où
logeait Putois, qu'on ne lui connaissait pas de
domicile, qu'il était sans feu ni lieu. "je ne l'ai
pas revu, madame. Je crois qu'il se cache. "
pouvait-elle mieux dire?

"madame Cornouiller pourtant ne l'écouta pas sans
défiance ; elle la soupçonna de circonvenir Putois,
de le soustraire aux recherches, dans la crainte de le
perdre ou de le rendre plus exigeant. Et elle la
jugea vraiment trop égoïste. Beaucoup de jugements
acceptés par tout le monde, et que l'histoire a
consacrés, sont aussi bien fondés que celui-là.
-c'est pourtant vrai, dit Pauline.
-qu'est-ce qui est vrai? Demanda Zoé, à demi
sommeillant.
-que les jugements de l'histoire sont souvent faux.
Je me souviens, papa, que tu as dit un jour:
"madame Roland était bien naïve d'en appeler à
l'impartiale postérité et de ne pas s'apercevoir que,
si ses contemporains étaient de mauvais singes, leur
postérité serait aussi composée de mauvais singes. "
-Pauline, demanda sévèrement mademoiselle Zoé,
quel rapport y a-t-il entre l'histoire de Putois et
ce que tu nous contes là?

-un très grand, ma tante.

-je ne le saisis pas. M. Bergeret, qui n'était pas
ennemi des digressions, répondit à sa fille:

-si toutes les injustices étaient finalement réparées
en ce monde, on n'en aurait jamais imaginé un autre
pour ces réparations. Comment voulez-vous que la
postérité juge équitablement tous les morts? Comment
les interroger dans l'ombre où ils fuient? Dès qu'on
pourrait être juste envers eux, on les oublie. Mais
peut-on jamais être juste? Et qu'est-ce que la
justice? Madame Cornouiller, du moins, fut bien
obligée de reconnaître à la longue que ma mère ne la
trompait pas et que Putois était introuvable.
"pourtant elle ne renonça pas à le découvrir. Elle
demanda à tous ses parents, amis, voisins,
domestiques, fournisseurs, s'ils connaissaient Putois.
Deux ou trois seulement répondirent qu'ils n'en
avaient jamais entendu parler. Pour la plupart, ils
croyaient bien l'avoir vu. "j'ai entendu ce nom-là,
dit la cuisinière, mais je ne peux pas mettre un
visage dessus. -Putois! Je ne connais que lui, dit
le cantonnier en se grattant l'oreille. Mais je ne
saurais pas vous dire qui c'est. "le renseignement le
plus précis vint de monsieur Blaise, receveur de
l'enregistrement, qui déclara avoir employé Putois à
fendre du bois dans sa cour, du 19 au 23 octobre,
l'année de la comète.

"un matin, madame Cornouiller tomba en soufflant
dans le cabinet de mon père: "je viens de voir
Putois. -ah! -je l'ai vu. -vous croyez? -j'en
suis sûre. Il rasait le mur de monsieur Tenchant.
Puis il a tourné dans la rue des abbesses, il
marchait vite. Je l'ai perdu.

-était-ce bien lui? -sans aucun doute. Un homme d'une
cinquantaine d'années, maigre, voûté, l'air d'un
vagabond, une blouse sale. -il est vrai, dit mon
père, que ce signalement peut s'appliquer à Putois. -
vous voyez bien! D'ailleurs, je l'ai appelé. J'ai
crié: "Putois! "et il s'est retourné. -c'est le
moyen, dit mon père, que les agents de la sûreté
emploient pour s'assurer de l'identité des
malfaiteurs qu'ils recherchent. -quand je vous le
disais, que c'était lui!... j'ai bien su le trouver,
moi, votre Putois. Eh bien! C'est un homme de
mauvaise mine. Vous avez été bien imprudents, vous
et votre femme, de l'employer chez vous. Je me connais
en physionomies et, quoique je ne l'aie vu que de dos,
je jurerais que c'est un voleur, et peut-être un
assassin. Ses oreilles ne sont point ourlées, et c'est
un signe qui ne trompe point. -ah! Vous avez
remarqué que ses oreilles n'étaient point ourlées? -
rien ne m'échappe. Mon cher monsieur Bergeret, si
vous ne voulez point être assassiné avec votre femme
et vos enfants, ne laissez plus entrer Putois chez
vous. Un conseil: faites changer toutes vos
serrures. "

"or, à quelques jours de là, il advint à madame
Cornouiller qu'on lui vola trois melons de son
potager. Le voleur n'ayant pu être trouvé, elle
soupçonna Putois. Les gendarmes furent appelés à
monplaisir et leurs constatations confirmèrent les
soupçons de madame Cornouiller. Des bandes de
maraudeurs ravageaient alors les jardins de la contrée.
Mais cette fois le vol semblait commis par un seul
individu, et avec une adresse singulière. Nulle
trace d'effraction, pas d'empreintes de souliers dans
la terre humide. Le voleur ne pouvait être que
Putois. C'était l'avis du brigadier, qui en savait
long sur Putois et qui se faisait fort de mettre la
main sur cet oiseau-là.

"Le journal de Saint-omer consacra un article
aux trois melons de madame Cornouiller et publia,
d'après des renseignements fournis en ville, un
portrait de Putois. "il a, disait le journal, le
front bas, les yeux vairons, le regard fuyant, une
patte d'oie à la tempe, les pommettes aiguës, rouges
et luisantes. Les oreilles ne sont point ourlées.
Maigre, un peu voûté, débile en apparence, il est en
réalité d'une force peu commune: il ploie
facilement une pièce de cent sous entre l'index
et le pouce. "

"On avait de bonnes raisons, affirmait le journal, de
lui attribuer une longue suite de vols accomplis avec
une habileté surprenante.

"toute la ville s'occupait de Putois. On apprit un
jour qu'il avait été arrêté et écroué dans la prison.
Mais on reconnut bientôt que l'homme qu'on avait pris
pour lui était un marchand d'almanachs nommé
Rigobert. Comme on ne put relever aucune charge
contre lui, on le renvoya après quatorze mois de
détention préventive. Et Putois demeurait
introuvable. Madame Cornouiller fut victime d'un
nouveau vol, plus audacieux que le premier. On prit
dans son buffet trois petites cuillers d'argent.
"elle reconnut la main de Putois, fit mettre une
chaîne à la porte de sa chambre et ne dormit plus.

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