VII
NOTRE ÉCRITE À L'AUBE
Voilà la moisson d'une nuit d'hiver, ma première gerbe de souvenirs. La laisserai-je aller
au vent? Ne vaut-il pas mieux la lier et la porter à la grange? Elle sera, je crois, une
bonne nourriture pour les esprits.
Le meilleur et le plus savant des hommes, M. Littré, aurait voulu que chaque famille eût
ses archives et son histoire morale. « Depuis, a-t-il dit, qu'une bonne philosophie m'a
enseigné à estimer grandement la tradition et la conservation, j'ai bien des fois regretté
que, durant le Moyen âge, des familles bourgeoises n'aient pas songé à former de
modestes registres où seraient consignés les principaux incidents de la vie domestique,
et qu'on se transmettrait tant que la famille durerait. Combien curieux seraient ceux de
ces registres qui auraient atteint notre époque quelque succinctes qu'en fussent les
notices !
Que de notions et d'expériences perdues, qui auraient été sauvées par un peu de soin
et d'esprit de suite ! » Eh bien, je réaliserai pour ma part le désir du sage vieillard: ceci
sera gardé et commencera le registre de la famille Nozière. Ne perdons rien du passé.
Ce n'est qu'avec le passé qu'on fait l'avenir.