PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) Le noir

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MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Le noir   Victor HUGO (1802-1885) Le noir Icon_minitimeMar 27 Sep - 20:21

LE NOIR

Le satyre chanta la terre monstrueuse.

L'eau perfide sur mer, dans les champs tortueuse,
Sembla dans son prélude errer comme à travers
Les sables, les graviers, l'herbe et les roseaux verts ;
Puis il dit l'Océan, typhon couvert de baves,
Puis la Terre lugubre avec toutes ses caves,
Son dessous effrayant, ses trous, ses entonnoirs,
Où l'ombre se fait onde, où vont des fleuves noirs,
Où le volcan, noyé sous d'affreux lacs, regrette
La montagne, son casque, et le feu, son aigrette,
Où l'on distingue, au fond des gouffres inouïs,
Les vieux enfers éteints des dieux évanouis.
Il dit la séve ; il dit la vaste plénitude
De la nuit, du silence et de la solitude,
Le froncement pensif du sourcil des rochers ;
Sorte de mer ayant les oiseaux pour nochers,
Pour algue le buisson, la mousse pour éponge,
La végétation au mille têtes songe ;
Les arbres pleins de vent ne sont pas oublieux ;
Dans la vallée, au bord des lacs, sur les hauts lieux,
Ils gardent la figure antique de la terre ;
Le chêne est entre tous profond, fidèle, austère ;
Il protége et défend le coin du bois ami
Où le gland l'engendra, s'entr'ouvrant à demi,
Où son ombrage attire et fait rêver le pâtre.
Pour arracher de là ce vieil opiniâtre,
Que d'efforts, que de peine au rude bûcheron!
Le sylvain raconta Dodone et Cithéron,
Et tous ceux qu'aux bas-fonds d'Hémus, sur l'Érymanthe,
Sur l'Hymète, l'autan tumultueux tourmente ;
Avril avec Tellus pris en flagrant délit,
Les fleuves recevant les sources dans leur lit,
La grenade montrant sa chair sous sa tunique,
Le rut religieux du grand cèdre cynique,
Et, dans l'âcre épaisseur des branchages flottants,
La palpitation sauvage du printemps.
-Tout l'abîme est sous l'arbre énorme comme une urne.
-La terre sous la plante ouvre son puits nocturne
-Plein de feuilles, de fleurs et de l'amas mouvant
-Des rameaux que, plus tard, soulèvera le vent,
-Et dit : Vivez! Prenez. C'est à vous. Prends, brin d'herbe!
-Prends, sapin! - La forêt surgit ; l'arbre superbe
-Fouille le globe avec une hydre sous ses pieds ;
-La racine effrayante aux longs cous repliés,
-Aux mille becs béants dans la profondeur noire,
-Descend, plonge, atteint l'ombre et tâche de la boire,
-Et, bue, au gré de l'air, du lieu, de la saison,
-L'offre au ciel en encens ou la crache en poison,
-Selon que la racine, embaumée ou malsaine,
-Sort, parfum, de l'amour, ou, venin, de la haine.
-De là, pour les héros, les grâces et les dieux,
-L'oeillet, le laurier-rose et le lys radieux,
-Et pour l'homme qui pense et qui voit, la ciguë.

-Mais, qu'importe à la terre! Au chaos contiguë,
Elle fait son travail d'accouchement sans fin.
-Elle a pour nourrisson l'universelle faim.
-C'est vers son sein qu'en bas les racines s'allongent.
-Les arbres sont autant de mâchoires qui rongent
-Les éléments, épars dans l'air souple et vivant ;
-Ils dévorent la pluie, ils dévorent le vent ;
-Tout leur est bon, la nuit, la mort ; la pourriture
-Voit la rose et lui va porter sa nourriture ;
-L'herbe vorace broute au fond des bois touffus ;
-A toute heure, on entend le craquement confus
-Des choses sous la dent des plantes ; on voit paître
-Au loin, de toutes parts, l'immensité champêtre ;
-L'arbre transforme tout dans son puissant progrès ;
-Il faut du sable, il faut de l'argile et du grès ;
-Il en faut au lentisque, il en faut à l'yeuse,
-Il en faut à la ronce, et la terre joyeuse
-Regarde la forêt formidable manger.-

Le satyre semblait dans l'abîme songer ;
Il peignit l'arbre vu du côté des racines,
Le combat souterrain des plantes assassines,
L'antre que le feu voit, qu'ignore le rayon,
Le revers ténébreux de la création,
Comment filtre la source et flambe le cratère ;
Il avait l'air de suivre un esprit sous la terre ;
Il semblait épeler un magique alphabet ;
On eût dit que sa chaîne invisible tombait ;
Il brillait ; on voyait s'échapper de sa bouche
Son rêve avec un bruit d'ailes vague et farouche :

-Les forêts sont le lieu lugubre ; la terreur,
-Noire, y résiste même au matin, ce doreur ;
-Les arbres tiennent l'ombre enchaînée à leurs tiges ;
-Derrière le réseau ténébreux des vertiges,
-L'aube est pâle, et l'on voit se tordre les serpents
-Des branches sur l'aurore horribles et rampants ;
-Là, tout tremble ; au-dessus de la ronce hagarde,
-Le mont, ce grand témoin, se soulève et regarde ;
-La nuit, les hauts sommets, noyés dans la vapeur,
-Les antres froids, ouvrant la bouche avec stupeur,
-Les blocs, ces durs profils, les rochers, ces visages
-Avec qui l'ombre voit dialoguer les sages,
-Guettent le grand secret, muets, le cou tendu ;
-L'oeil des montagnes s'ouvre et contemple éperdu ;
-On voit s'aventurer dans les profondeurs fauves
-La curiosité de ces noirs géants chauves ;
-Ils scrutent le vrai ciel, de l'Olympe inconnu ;
-Ils tâchent de saisir quelque chose de nu ;
-Ils sondent l'étendue auguste, chaste, austère,
-Irritée, et, parfois, surprenant le mystère,
-Aperçoivent la Cause au pur rayonnement,
-Et l'Énigme sacrée, au loin, sans vêtements,
-Montrant sa forme blanche au fond de l'insondable.
-O nature terrible! Ô lien formidable
-Du bois qui pousse avec l'idéal contemplé!
-Bain de la déité dans le gouffre étoilé!
-Farouche nudité de la Diane sombre
-Qui, de loin regardée et vue à travers l'ombre,
-Fait croître au font des rocs les arbres monstrueux!
-O forêt!-

Le sylvain avait fermé les yeux ;
La flûte que, parmi des mouvements de fièvre,
Il prenait et quittait, importunait sa lèvre ;
Le faune la jeta sur le sacré sommet ;
Sa paupière était close, on eût dit qu'il dormait,
Mais ses cils roux laissaient passer de la lumière ;

Il poursuivit :

-Salut, Chaos! gloire à la Terre!
-Le chaos est un dieu ; son geste est l'élément ;
-Et lui seul a ce nom sacré : Commencement.
-C'est lui qui, bien avant la naissance de l'heure,
-Surprit l'aube endormie au fond de sa demeure,
-Avant le premier jour et le premier moment ;
-C'est lui qui, formidable, appuya doucement
-La gueule de la nuit aux lèvres de l'aurore ;
-Et c'est de ce baiser qu'on vit l'étoile éclore.
-Le chaos est l'époux lascif de l'infini.
-Avant le Verbe, il a rugi, sifflé, henni ;
-Les animaux, aînés de tout, sont les ébauches
-De sa fécondité comme de ses débauches.
-Fussiez-vous dieux, songez en voyant l'animal!
-Car il n'est pas le jour, mais il n'est pas le mal.
-Toute la force obscure et vague de la terre
-Est dans la brute, larve auguste et solitaire ;
-La sibylle au front gris le sait, et les devins
-Le savent, ces rôdeurs des sauvages ravins ;
-Et c'est là ce qui fait que la Thessalienne
-Prend des touffes de poil aux cuisses de l'hyène,
-Et qu'Orphée écoutait, hagard, presque jaloux,
-Le chant sombre qui sort du hurlement des loups.-

- Marsyas!- murmura Vulcain, l'envieux louche.
Apollon attentif mit le doigt sur sa bouche.
Le faune ouvrit les yeux, et peut-être entendit ;
Calme, il prit son genou dans ses deux mains, et dit :

-Et maintenant, ô dieux! écoutez ce mot : L'âme!
-Sous l'arbre qui bruit, près du monstre qui brame,
-Quelqu'un parle. C'est l'Ame. Elle sort du chaos.
-Sans elle, pas de vents, le miasme ; pas de flots,
-L'étang ; l'âme, en sortant du chaos, le dissipe ;
-Car il n'est que l'ébauche, et l'âme est le principe.
-L'Être est d'abord moitié brute et moitié forêt ;
-Mais l'Air veut devenir l'Esprit, l'homme apparaît.
-L'homme ? qu'est-ce que c'est que ce sphinx ? Il commence
-En sagesse, ô mystère! et finit en démence.
-O ciel qu'il a quitté, rends-lui son âge d'or!-

Le faune, interrompant son orageux essor,
Ouvrit d'abord un doigt, puis deux, puis un troisième,
Comme quelqu'un qui compte en même temps qu'il sème,
Et cria, sur le haut de l'Olympe vénéré :

-O dieux, l'arbre est sacré, l'animal est sacré,
-L'homme est sacré ; respect à la terre profonde!
-La terre où l'homme crée, invente, bâtit, fonde,
-Géant possible, encor caché dans l'embryon,
-La terre où l'animal erre autour du rayon,
-La terre où l'arbre ému prononce des oracles,
-Dans l'obscur infini, tout rempli de miracles,
-Est le prodige, ô dieux, le plus proche de vous.
-C'est le globe inconnu qui vous emporte tous,
-Vous les éblouissants, la grande bande altière,
-Qui dans des coupes d'or buvez de la lumière,
-Vous qu'une aube précède et qu'une flamme suit,
-Vous les dieux, à travers la formidable nuit!-

La sueur ruisselait sur le front du satyre,
Comme l'eau du filet que des mers on retire ;
Ses cheveux s'agitaient comme au vent libyen.

Phoebus lui dit : -Veux-tu la lyre ?

Je veux bien,-
Dit le faune ; et, tranquille, il prit la grande lyre.

Alors il se dressa debout dans le délire
Des rêves, des frissons, des aurores, des cieux,
Avec deux profondeurs splendides dans les yeux.

-Il est beau !- murmura Vénus épouvantée.

Et Vulcain, s'approchant d'Hercule, dit : -Antée.-
Hercule repoussa du coude ce boiteux.

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