LE PATRIARCHE
Seigneur et docteur, grand lévite,
Pape sublime, évêque illustre et souverain,
Les tables de la loi sont un livre d'airain ;
Nul n'y peut rien changer, pas même toi, mon père.
UN ÉVÊQUE
Il faut que l'homme souffre afin que Dieu prospère ;
L'or du temple éblouit le pauvre utilement.
Il faut la perle au dogme et l'astre au firmament;
Il faut que les vivants, foules, essaims; mêlées,
Volent à la lueur des mitres constellées ;
Cette clarté leur est nécessaire en leur nuit.
Le temple opulent sert et l'autel pauvre nuit.
Il sied que le pasteur comme un soleil se lève.
AUTRE ÉVÊQUE
Parlons des rois avec précaution ; leur glaive
Jette à peu près la même ombre que notre croix ;
Le temple a Dieu pour base et pour cime les rois ;
Dieu croule si les rois tombent.
AUTRE ÉVÊQUE
La foule est faite
Pour le maître, qu'il soit soldat, juge ou prophète ;
Le prêtre est le premier des maîtres ; le second
C'est le roi.
AUTRE ÉVÊQUE
Le soc dur fait le sillon fécond ;
Oui, déchirons! Ainsi l'on sème, ainsi l'on fonde ;
Et l'épi sera beau si la plaie est profonde.
AUTRE ÉVÊQUE
Frère, Dieu n'a jamais voulu qu'on le comprît.
AUTRE ÉVÊQUE
Le royaume des cieux est aux pauvres d'esprit;
Donc peu d'écoles, point de science, un seul livre.
AUTRE ÉVÊQUE
Les peuples ont pour loi d'être en bas et de suivre;
Et leur ascension est faite quand vers nous.
Ils montent les degrés dès temples à genoux,
AUTRE ÉVÊQUE
La pensée en dehors du dogme est de l'ivraie.
C'est la justice juste et la vérité vraie
Que j'aflrrme. Anathème à l'homme révolté !
AUTRE ÉVÊQUE
Nous avons dans nos mains la terrible clarté.
Il faut que la lumière éclaire, ou qu'elle brûle.
Le prêtre est infidèle à son Dieu s'il recule
Et si, devant l'impie, il hésite à pencher
Le flambeau jusqu'au tas de paille du bûcher.
LE PATRIARCHE
Ce qu'on nomme aujourd'hui liberté, c'est l'abîme.
Et c'est là que dit l'effrayant Kéroubime
Debout sur le mur noir de l'infini. Croyez.
Soyez des coeurs tremblants, soyez des fronts ployés,
Obéissez. Le prince est un prêtre ; le prêtre
Est un prince. Vouloir comprendre, vouloir être,
Vouloir penser, c'est faire obstacle à Dieu. Vivants
Qui sous l'énormité redoutable des vents
Résistez, vous avez des âmes insensées.
Dieu maudit vos efforts, vos travaux, vos pensées,
Et votre raison, soeur de l'antique péché,
Et votre vain progrès, sinistrement léché
Par la langue de feu qui sort du lac de soufre.
Voilà les vérités qui jaillirent du gouffre
Le jour où sur l'Horeb le tonnerre a brillé.
LE PAPE
Frères, figurez-vous, - je me suis réveillé !
LES ÉVÊQUES
Qu'entendez-vous par là ?
LE PATRIARCHE
Qu'est-ce que tu médites ?
LE PAPE
Je ne crois plus un mot de tout ce que vous dites !
LE PATRIARCHE
Quoi ! vous seriez l'horrible et vivant démenti
De vos prédécesseurs glorieux ?
LE PAPE
J'ai senti
Un mécontentement inquiétant dans l'ombre.
LE PATRIARCHE
Le pilote aveuglé, c'est le vaisseau qui sombre.
Ne changez pas de route! O Père, n'allez pas
Du côté de la nuit, du côté du trépas !
LE PAPE
Je marche vers la vie.
LE PATRIARCHE
Il faudra rendre compte.
LE PAPE
Certes !
LE PATRIARCHE
Songez au ciel. Vous en tombez.
LE PAPE
J'y monte.