PLUME DE POÉSIES
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 Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) CHANT 1

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MessageSujet: Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) CHANT 1   Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) CHANT 1 Icon_minitimeMer 29 Fév - 23:17

CHANT 1



Je chante les combats, et ce prelat terrible,
Qui par ses longs travaux, et sa force invincible,
Dans une illustre eglise exerçant son grand coeur,
Fit placer à la fin un lutrin dans le choeur.
C'est envain que le chantre abusant d'un faux titre,
Deux fois l'en fit oster par les mains du chapitre:
Ce prelat sur le banc de son rival altier,
Deux fois le reportant l'en couvrit tout entier.
Muse, redy-moy donc quelle ardeur de vengeance,
De ces hommes sacrez rompit l'intelligence,
Et troubla si long-temps deux celebres rivaux.
Tant de fiel entre-t-il dans l'ame des devots?
Et toy, fameux heros, dont la sage entremise
De ce schisme naissant débarrassa l'eglise;
Vien d'un regard heureux animer mon projet,
Et garde-toy de rire en ce grave sujet.
Parmy les doux plaisirs d'une paix fraternelle,
Paris voyoit fleurir son antique chappelle.
Ses chanoines vermeils et brillans de santé,
S'engraissoient d'une longue et sainte oisiveté.
Sans sortir de leurs lits plus doux que leurs hermines,
Ces pieux faineans faisoient chanter matines,
Veilloient à bien disner, et laissoient en leur lieu
À des chantres gagez le soin de loüer Dieu.


Quand la discorde encor toute noire de crimes,
Sortant des cordeliers pour aller aux minimes,
Avec cet air hideux qui fait fremir la paix,
S'arresta prés d'un arbre au pié de son palais.
Là, d'un oeil attentif, contemplant son empire,
A l'aspect du tumulte, elle-même s'admire.
Elle y voit par le coche et d'Evreux et du Mans,
Accourir à grands flots ses fideles normans.
Elle y voit aborder le marquis, la comtesse,
Le bourgeois, le manant, le clergé, la noblesse,
Et par tout des plaideurs les escadrons épars,
Faire autour de Themis flotter ses étendars.
Mais une eglise seule à ses yeux immobile,
Garde au sein du tumulte une assiette tranquille.
Elle seule la brave, elle seule aux procez
De ses paisibles murs veut deffendre l'accez.
La discorde, à l'aspect d'un calme qui l'offence,
Fait sifler ses serpens, s'excite à la vengeance.
Sa bouche se remplit d'un poison odieux,
Et de longs traits de feu luy sortent par les yeux.
"quoy, dit-elle, d'un ton qui fit trembler les vitres,
J'auray pû jusqu'ici broüiller tous les chapitres,
Diviser cordeliers, carmes et celestins?
J'auray fait soûtenir un siege aux augustins?
Et cette eglise seule à mes ordres rebelle
Nourira dans son sein une paix eternelle?
Suis-je donc la discorde? Et parmi les mortels,
Qui voudra desormais encenser mes autels?"
À ces mots, d'un bonnet couvrant sa teste énorme,
Elle prend d'un vieux chantre et la taille et la forme.
Elle peint de bourgeons son visage guerrier
Et s'en va de ce pas trouver le tresorier.
Dans le reduit obscur d'une alcove enfoncée,
S'éleve un lit de plume à grands frais amassée.


Quatre rideaux pompeux, par un double contour,
En deffendent l'entrée à la clarté du jour.
Là, parmi les douceurs d'un tranquille silence,
Regne sur le duvet une heureuse indolence.
C'est là que le prélat muni d'un déjeûner,
Dormant d'un leger somme, attendoit le disner.
La jeunesse en sa fleur brille sur son visage:
Son menton sur son sein descend à double étage:
Et son corps ramassé dans sa courte grosseur,
Fait gemir les coussins sous sa molle épaisseur.
La déesse en entrant, qui voit la nappe mise
Admire un si bel ordre et reconnoit l'eglise
Et marchant à grands pas vers le lieu du repos,
Au prélat sommeillant, elle adresse ces mots:
"Tu dors? Prélat, tu dors? Et là-haut à ta place,
Le chantre aux yeux du choeur étale son audace,
Chante les oremus, fait des processions,
Et répand à grands flots les benedictions.
Tu dors? Attens-tu donc, que sans bulle et sans titre
Il te ravisse encor le rochet et la mitre?
Sors de ce lit oyseux, qui te tient attaché,
Et renonce au repos, ou bien à l'evesché.
Elle dit, et du vent de sa bouche profane,
Lui souffle avec ces mots l'ardeur de la chicane.
Le prélat se réveille, et plein d'émotion
Lui donne toutefois la benediction.

Tel qu'on voit un taureau, qu'une guespe en furie
A piqué dans les flancs, aux dépens de sa vie,
Le superbe animal agité de tourmens,
Exhale sa douleur en longs mugissemens.
Tel le fougueux prélat, que ce songe épouvante,
Querelle en se levant et laquais et servante,
Et d'un juste courroux ranimant sa vigueur,
Mesme avant le disner, parle d'aller au choeur.


Le prudent Gilotin, son aumônier fidele,
Envain par ses conseils sagement le rappelle;
Luy montre le péril: que midi va sonner:
Qu'il va faire, s'il sort, refroidir le disner.
"Quelle fureur, dit-il, quel aveugle caprice,
Quand le disner est prest, vous appelle à l'office?
De vostre dignité soûtenés mieux l'éclat.
Est-ce pour travailler que vous estes prélat?
À quoy bon ce dégoust et ce zele inutile?
Est-il donc pour jeûner quatre-temps ou vigile?
Reprenez vos esprits, et souvenez-vous bien,
Qu'un disner réchauffé ne valut jamais rien."
Ainsi dit Gilotin, et ce ministre sage
Sur table, au mesme instant, fait servir le potage.
Le prélat voit la soupe, et plein d'un saint respect
Demeure quelque temps muet à cet aspect.
Il cede, il disne enfin: mais toûjours plus farouche,
Les morceaux trop hastez se pressent dans sa bouche.
Gilotin en gemit, et sortant de fureur,
Chez tous ses partisans va semer la terreur.
On voit courir chez lui leurs troupes éperduës:
Comme l'on voit marcher les bataillons de gruës;
Quand le pygmée altier redoublant ses efforts
De l'Hebre ou du Strymon vient d'occuper les bords.
À l'aspect imprévû de leur foule agreable,
Le prélat radouci veut se lever de table.
La couleur lui renaist, sa voix change de ton.
Il fait par Gilotin rapporter un jambon.
Lui-mesme le premier, pour honnorer la troupe,
D'un vin pur et vermeil il fait remplir sa coupe:
Il l'avale d'un trait: et chacun l'imitant,
La cruche au large ventre est vuide en un instant.
Si-tost que du nectar la troupe est abreuvée,
On dessert: et soudain la nappe estant levée,


Le prelat, d'une voix conforme à son malheur,
Leur confie en ces mots sa trop juste douleur.
"Illustres compagnons de mes longues fatigues,
Qui m'avez soûtenu par vos pieuses ligues,
Et par qui, maistre enfin d'un chapitre insensé,
Seul à magnificat je me vois encensé.
Souffrirez-vous toûjours qu'un orgueilleux m'outrage:
Que le chantre à vos yeux détruise vostre ouvrage;
Usurpe tous mes droits, et s'égalant à moy,
Donne à vostre lutrin et le ton et la loi?
Ce matin mesme encor, ce n'est point un mensonge,
(une divinité me l'a fait voir en songe)
L'insolent s'emparant du fruit de mes travaux,
A prononcé pour moy le benedicat vos.
Oüi, pour mieux m'égorger, il prend mes propres armes."
Le prelat à ces mots verse un torrent de larmes.
Il veut, mais vainement, poursuivre son discours.
Ses sanglots redoublez en arrestent le cours.
Le zelé Gilotin, qui prend part à sa gloire,
Pour luy rendre la voix fait rapporter à boire.
Quand Sidrac, à qui l'âge alonge le chemin,
Arrive dans la chambre, un baston à la main.
Ce vieillard dans le choeur a déja vû quatre âges:
Il sçait de tous les temps les differens usages:
Et son rare sçavoir, de simple marguillier,
L'éleva par degrez au rang de chevecier.
À l'aspect du prelat qui tombe en défaillance,
Il devine son mal, il se ride, il s'avance,
Et d'un ton paternel reprimant ses douleurs:
"Laisse au chantre, dit-il, la tristesse et les pleurs,
Prelat, et pour sauver tes droits et ton empire,
Ecoute seulement ce que le ciel m'inspire.


Vers cet endroit du choeur, où le chantre orgueilleux
Montre, assis à ta gauche, un front si sourcilleux,
Sur ce rang d'ais serrez qui forment sa closture,
Fut jadis un lutrin d'inégale structure,
Dont les flancs élargis de leur vaste contour
Ombrageoient pleinement tous les lieux d'alentour.
Derriere ce lutrin, ainsi qu'au fond d'un antre,
À peine sur son banc on discernoit le chantre:
Tandis qu'à l'autre banc le prelat radieux,
Découvert au grand jour attiroit tous les yeux.
Mais un demon fatal à cette ample machine,
Soit qu'une main la nuit eust hasté sa ruine,
Soit qu'ainsi de tout temps l'ordonnast le destin,
Fit tomber à nos yeux le pûpitre un matin.
J'eus beau prendre le ciel et le chantre à partie:
Il falut l'emporter dans nostre sacristie,
Où depuis trente hyvers sans gloire enseveli,
Il languit tout poudreux dans un honteux oubli.
Enten-moy donc, prelat. Dés que l'ombre tranquille
Viendra d'un crespe noir envelopper la ville:
Il faut que trois de nous sans tumulte, et sans bruit,
Partent à la faveur de la naissante nuit,
Et du lutrin rompu réünissant la masse,
Aillent d'un zele adroit le remettre en sa place.
Si le chantre demain ose le renverser,
Alors de cent arrests tu le peux terrasser.
Pour soûtenir tes droits, que le ciel authorise,
Abisme tout plûtost, c'est l'esprit de l'eglise.
C'est par là qu'un prelat signale sa vigueur.
Ne borne pas ta gloire à prier dans un choeur.
Ces vertus dans Aleth peuvent estre en usage,
Mais dans Paris, plaidons: c'est là nostre partage.
Tes benedictions dans le trouble croissant,
Tu pouras les répandre et par vingt et par cent:


Et pour braver le chantre en son orgueil extrême,
Les répandre à ses yeux et le benir luy-mesme."
Ce discours aussi-tost frappe tous les esprits,
Et le prelat charmé l'approuve par des cris.
Il veut que sur le champ dans la troupe on choisisse
Les trois que Dieu destine à ce pieux office.
Mais chacun prétend part à cet illustre emploi.
"Le sort, dit le prelat, vous servira de loi.
Que l'on tire au billet ceux que l'on doit élire."
Il dit, on obéit, on se presse d'écrire.
Aussi-tost trente noms sur le papier tracez
Sont au fond d'un bonnet par billets entassez.
Pour tirer ces billets avec moins d'artifice,
Guillaume enfant de choeur prête sa main novice,
Son front nouveau tondu, symbole de candeur,
Rougit en approchant d'une honneste pudeur.
Cependant le prelat, l'oeil au ciel, la main nuë,
Benit trois fois les noms et trois fois les remuë.
Il tourne le bonnet. L'enfant tire: et Brontin
Est le premier des noms qu'apporte le destin.
Le prelat en conçoit un favorable augure,
Et ce nom dans la troupe excite un doux murmure.
On se taist, et bien-tost on voit paroistre au jour
Le nom, le fameux nom du perruquier l'amour.
Ce nouvel Adonis à la blonde criniere,
Est l'unique souci d'Anne sa perruquiere.
Ils s'adorent l'un l'autre: et ce couple charmant
S'unit long-temps, dit-on, avant le sacrement:
Mais depuis trois moissons, à leur saint assemblage
L'official a joint le nom de mariage.
Ce perruquier superbe est l'effroi du quartier,
Et son courage est peint sur son visage altier.
Un des noms reste encore, et le prelat par grace
Une derniere fois les broüille et les resasse.


Chacun croit que son nom est le dernier des trois.
Mais que ne dis-tu point, ô puissant porte-croix,
Boirude sacristain, cher appuy de ton maistre,
Lorsqu'aux yeux du prelat tu vis ton nom paraistre?
On dit que ton front jaune, et ton teint sans couleur
Perdit en ce moment son antique pasleur,
Et que ton corps gouteux plein d'une ardeur guerriere
Pour sauter au plancher fit deux pas en arriere.
Chacun benit tout haut l'arbitre des humains,
Qui remet leur bon droit en de si bonnes mains.
Aussi-tost on se leve, et l'assemblée en foule,
Avec un bruit confus, par les portes s'écoule.
Le prelat resté seul calme un peu son dépit,
Et jusques au souper se couche et s'assoupit.
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Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) CHANT 1
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