PLUME DE POÉSIES
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 Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) CHANT 4

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MessageSujet: Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) CHANT 4   Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) CHANT 4 Icon_minitimeMer 29 Fév - 23:19

CHANT 4



Les cloches dans les airs de leurs voix argentines
Appelloient à grand bruit les chantres à matines:
Quand leur chef agité d'un sommeil effrayant,
Encor tout en sueur se réveille en criant.
Aux élans redoublez de sa voix douloureuse,
Tous ses valets tremblans quittent la plume oyseuse.
Le vigilant Girot court à luy le premier.
C'est d'un maistre si saint le plus digne officier.
La porte dans le choeur à sa garde est commise:
Valet souple au logis, fier huissier à l'eglise.
"Quel chagrin, luy dit-il, trouble vostre sommeil?
Quoy? Voulez-vous au choeur prévenir le soleil?
Ah! Dormez, et laissez à des chantres vulgaires,
Le soin d'aller si-tost meriter leurs salaires."
-"Ami, luy dit le chantre encor pasle d'horreur,
N'insulte point, de grace, à ma juste terreur.
Mesle plûtost icy tes soûpirs à mes plaintes,
Et tremble en écoutant le sujet de mes craintes.
Pour la seconde fois un sommeil gracieux
Avoit sous ses pavots appesanti mes yeux:
Quand l'esprit enyvré d'une douce fumée,
J'ay crû remplir au choeur ma place accoûtumée.
Là, triomphant aux yeux des chantres impuissans,
Je benissois le peuple, et j'avalois l'encens:
Lorsque du fond caché de nostre sacristie,
Une épaisse nuée à longs flots est sortie,


Qui s'ouvrant à mes yeux dans son bluastre éclat,
M'a fait voir un serpent conduit par le prelat.
Du corps de ce dragon plein de souffre et de nitre,
Une teste sortoit en forme de pupitre,
Dont le triangle affreux tout herissé de crins,
Surpassoit en grosseur nos plus épais lutrins.
Animé par son guide en siflant il s'avance:
Contre moy sur mon banc, je le voy qui s'élance.
J'ay crié, mais envain; et fuyant sa fureur,
Je me suis réveillé plein de trouble et d'horreur."
Le chantre s'arrestant à cet endroit funeste,
À ses yeux effrayez laisse dire le reste.
Girot envain l'assure, et riant de sa peur,
Nomme sa vision l'effet d'une vapeur.
Le desolé vieillard qui hait la raillerie,
Lui deffend de parler, sort du lit en furie.
On apporte à l'instant ses somptueux habits,
Où sur l'oüate molle éclate le tabis.
D'une longue soutane il endosse la moire,
Prend ses gands violets, les marques de sa gloire,
Et saisit en pleurant ce rochet, qu'autrefois
Le prelat trop jaloux luy rogna de trois doigts.
Aussi-tost d'un bonnet ornant sa teste grise,
Déja l'aumusse en main il marche vers l'eglise;
Et hastant de ses ans l'importune langueur,
Court, vole, et le premier arrive dans le choeur.
Ô toy, qui sur ces bords qu'une eau dormante moüille,
Vis combattre autrefois le rat et la grenoüille:
Qui par les traits hardis d'un bizarre pinceau
Mis l'Italie en feu pour la perte d'un seau


Muse, prête à ma bouche une voix plus sauvage,
Pour chanter le dépit, la colere, la rage,
Que le chantre sentit allumer dans son sang,
À l'aspect du pupitre élevé sur son banc.
D'abord pasle et muet, de colere immobile,
À force de douleur, il demeura tranquille:
Mais sa voix s'échapant au travers des sanglots,
Dans sa bouche à la fin fit passage à ces mots.
"La voilà donc, Girot, cette hydre épouventable,
Que m'a fait voir un songe, helas! Trop veritable.
Je le voy ce dragon tout prest à m'égorger,
Ce pupitre fatal qui me doit ombrager.
Prelat, que t'ai-je fait? Quelle rage envieuse
Rend pour me tourmenter ton ame ingenieuse?
Quoy? Mesme dans ton lit, cruel, entre deux draps,
Ta profâne fureur ne se repose pas?
Ô ciel! Quoy? Sur mon banc une honteuse masse
Desormais me va faire un cachot de ma place?
Inconnu dans l'eglise, ignoré dans ce lieu,
Je ne pourai donc plus estre vû que de Dieu?
Ah! Plûtost qu'un moment cet affront m'obscurcisse,
Renonçons à l'autel, abandonnons l'office,
Et sans lasser le ciel par des chants superflus,
Ne voyons plus un choeur où l'on ne nous voit plus.
Sortons. Mais cependant mon ennemi tranquille
Joüira sur son banc de ma rage inutile,
Et verra dans le choeur le pupitre exhaussé
Tourner sur le pivot où sa main l'a placé.
Non, s'il n'est abbattu, je ne sçaurois plus vivre.
À moy, Girot, je veux que mon bras m'en délivre.
Perissons, s'il le faut: mais de ses ais brisez
Entraînons, en mourant, les restes divisez."
À ces mots, d'une main par la rage affermie,
Il saisissait déja la machine ennemie,


Lors qu'en ce sacré lieu, par un heureux hazard,
Entrent Jean le choriste, et le sonneur Girard,
Deux manceaux renommés en qui l'experience
Pour les procés est jointe à la vaste science.
L'un et l'autre aussi-tost prend part à son affront.
Toutefois condamnant un mouvement trop promt,
"Du lutrin, disent-ils, abbattons la machine:
Mais ne nous chargeons pas tous seuls de sa ruine,
Et que tantost aux yeux du chapitre assemblé
Il soit sous trente mains en plein jour accablé."
Ces mots des mains du chantre arrachent le pupitre.
"J'y consens, leur dit-il, assemblons le chapitre.
Allez donc de ce pas, par de saints hurlemens,
Vous-mesmes appeller les chanoines dormans.
Partez." mais ce discours les surprend et les glace.
"Nous? Qu'en ce vain projet pleins d'une folle audace,
Nous allions, dit Girard, la nuit nous engager?
De nostre complaisance osez-vous l'exiger?
Hé, seigneur! Quand nos cris pouroient du fond des ruës
De leurs appartemens percer les avenuës,
Réveiller ces valets autour d'eux étendus,
De leur sacré repos ministres assidus,
Et penetrer des lits au bruit inaccessibles;
Pensez-vous, au moment que les ombres paisibles
À ces lits enchanteurs ont sçu les attacher,
Que la voix d'un mortel les en puisse arracher?
Deux chantres feront-ils, dans l'ardeur de vous plaire,
Ce que depuis trente ans six cloches n'ont pû faire?"
-"Ah! Je vois bien où tend tout ce discours trompeur,
Reprend le chaud vieillard, le prelat vous fait peur.
Je vous ai vû cent fois sous sa main benissante
Courber servilement une épaule tremblante.


Hé bien, allez, sous luy fléchissez les genoux.
Je sçauray reveiller les chanoines sans vous.
Vien, Girot, seul ami qui me reste fidele.
Prenons du saint jeudy la bruyante cresselle.
Suy-moi. Qu'à son lever le soleil aujourd'hui
Trouve tout le chapitre éveillé devant lui."
Il dit. Du fond poudreux d'une armoire sacrée
Par les mains de Girot, la cresselle est tirée.
Ils sortent à l'instant, et par d'heureux efforts
Du lugubre instrument font crier les ressorts.
Pour augmenter l'effroy, la discorde infernale
Monte dans le palais, entre dans la grand'sale,
Et du fond de cet antre, au travers de la nuit,
Fait sortir le demon du tumulte et du bruit.
Le quartier alarmé n'a plus d'yeux qui sommeillent.
Déja de toutes parts les chanoines s'éveillent.
L'un croit que le tonnerre est tombé sur les toits,
Et que l'eglise brûle une seconde fois.
L'autre encore agité de vapeurs plus funebres,
Pense estre au jeudy-saint, croit que l'on dit tenebres,
Et déja tout confus tenant midi sonné,
En soy-mesme fremit de n'avoir point disné.
Ainsi, lors que tout prest à briser cent murailles,
Louis la foudre en main abandonnant Versailles,
Au retour du soleil et des zephirs nouveaux,
Fait dans les champs de Mars déployer ses drapeaux:
Au seul bruit répandu de sa marche étonnante,
Le Danube s'émeut, le Tage s'épouvante,
Bruxelle attend le coup qui la doit foudroyer,
Et le Batave encore est prest à se noyer.


Mais envain dans leurs lits un juste effroy les presse:
Aucun ne laisse encor la plume enchanteresse.
Pour les en arracher Girot s'inquietant,
Va crier qu'au chapitre un repas les attend.
Ce mot dans tous les coeurs répand la vigilance:
Tout s'ébranle, tout sort, tout marche en diligence.
Ils courent au chapitre, et chacun se pressant,
Flatte d'un doux espoir son appetit naissant.
Mais, ô d'un déjeuner vaine et frivole attente!
À peine ils sont assis, que d'une voix dolente,
Le chantre desolé lamentant son malheur,
Fait mourir l'appetit, et naistre la douleur.
Le seul chanoine Evrard d'abstinence incapable,
Ose encor proposer qu'on apporte la table.
Mais il a beau presser, aucun ne lui répond.
Quand le premier rompant ce silence profond,
Alain tousse, et se leve, Alain ce sçavant homme,
Qui de Bauny vingt fois a lû toute la Somme,
Qui possede Abély, qui sçait tout Raconis,
Et mesme entend, dit-on, le latin d'à Kempis.
"N'en doutez point, leur dit ce sçavant canoniste,
Ce coup part, j'en suis seur, d'une main janseniste.
Mes yeux en sont témoins: j'ay vû moi-mesme hier
Entrer chez le prelat le chappelain Garnier.
Arnaud, cet heretique ardent à nous détruire,
Par ce ministre adroit tente de le seduire.
Sans doute il aura lû dans son Saint Augustin,
Qu'autrefois Saint Loüis érigea ce lutrin.
Il va nous inonder des torrens de sa plume.
Il faut, pour luy répondre, ouvrir plus d'un volume.
Consultons sur ce point quelque auteur signalé.
Voyons si des lutrins Bauny n'a point parlé.
Estudions enfin, il en est temps encore;
Et pour ce grand projet, tantost dés que l'aurore


Rallumera le jour dans l'onde enseveli,
Que chacun prenne en main le moëleux Abéli".
Ce conseil imprévû de nouveau les étonne,
Sur tout le gras Evrard d'épouvante en frissonne.
"Moy? Dit-il, qu'à mon âge ecolier tout nouveau
J'aille pour un lutrin me troubler le cerveau?
Ô le plaisant conseil! Non, non, songeons à vivre.
Va maigrir, si tu veux, et secher sur un livre.
Pour moy, je lis la bible autant que l'alcoran.
Je sçay ce qu'un fermier nous doit rendre par an;
Sur quelle vigne à Rheims nous avons hypotheque.
Vingt muids rangez chez moy font ma bibliotheque.
En plaçant un pupitre on croit nous rabbaisser,
Mon bras seul sans latin sçaura le renverser.
Que m'importe qu'Arnaud me condamne ou m'approuve?
J'abbats ce qui me nuit par tout où je le trouve.
C'est là mon sentiment. à quoy bon tant d'apprests?
Du reste déjeûnons, messieurs, et beuvons frai."
Ce discours, que soutient l'embonpoint du visage,
Rétablit l'appetit, réchauffe le courage:
Mais le chantre sur tout en paroist rassuré.
"Ouï, dit-il, le pupitre a déja trop duré.
Allons sur sa ruine assûrer ma vengeance.
Donnons à ce grand oeuvre une heure d'abstinence,
Et qu'au retour tantost un ample déjeûner
Long-temps nous tienne à table, et s'unisse au disner."
Aussi-tost il se leve, et la troupe fidele,
Ils marchent droit au choeur d'un pas audacieux,
Et bien-tost le lutrin se fait voir à leurs yeux.


À ce terrible objet aucun d'eux ne consulte.
Sur l'ennemi commun ils fondent en tumulte.
Ils sappent le pivot qui se deffend en vain.
Chacun sur lui d'un coup veut honnorer sa main.
Enfin sous tant d'efforts la machine succombe,
Et son corps entr'ouvert chancele, éclate, et tombe.
Tel sur les monts glacés des farouches gelons
Tombe un chesne battu des voisins aquilons;
Ou tel abandonné de ses poutres usées
Fond enfin un vieux toit sous ses tuiles brisées.
La masse est emportée et ses ais arrachez
Sont aux yeux des mortels chez le chantre cachez.


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