PLUME DE POÉSIES
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 Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) CHANT 2

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MessageSujet: Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) CHANT 2   Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) CHANT 2 Icon_minitimeMer 29 Fév - 23:18

CHANT 2



Cependant cet oyseau qui prosne les merveilles,
Ce monstre composé de bouches et d'oreilles,
Qui sans cesse volant de climats en climats,
Dit par tout ce qu'il sçait, et ce qu'il ne sçait pas,
La renommée enfin, cette promte couriere,
Va d'un mortel effroy glacer la perruquiere;
Luy dit que son epoux d'un faux zele conduit,
Pour placer un lutrin doit veiller cette nuit.
À ce triste recit tremblante, desolée,
Elle accourt l'oeil en feu, la teste échevelée,
Et trop seure d'un mal qu'on pense luy celer:
"Oses-tu bien encor, traistre, dissimuler,
Dit-elle? Et ni la foy que ta main m'a donnée,
Ni nos embrassemens qu'a suivi l'hymenée,
Ni ton espouse enfin toute preste à perir,
Ne sçauroient donc t'oster cette ardeur de courir?
Perfide, si du moins à ton devoir fidele
Tu veillois pour orner quelque teste nouvelle;
L'espoir d'un juste gain consolant ma langueur,
Pouroit de ton absence adoucir la longueur.
Mais quel zele indiscret, quelle aveugle entreprise
Arme aujourd'huy ton bras en faveur d'une eglise?
Où vas-tu, cher epoux? Est-ce que tu me fuis?
As-tu donc oublié tant de si douces nuits?
Quoi? D'un oeil sans pitié vois-tu couler mes larmes?
Au nom de nos baisers jadis si pleins de charmes;


Si mon coeur de tout temps facile à tes desirs
N'a jamais d'un moment differé tes plaisirs;
Si pour te prodiguer mes plus tendres caresses
Je n'ay point exigé ni sermens ni promesses;
Si toi seul à mon lit enfin eus toûjours part,
Differe au moins d'un jour ce funeste départ."
En achevant ces mots, cette amante enflammée
Sur un placet voisin tombe demi-pasmée.
Son epoux s'en émeut, et son coeur éperdu
Entre deux passions demeure suspendu;
Mais enfin rappellant son audace premiere,
"Ma femme, lui dit-il, d'une voix douce et fiére,
Je ne veux point nier les solides bienfaits
Dont ton amour prodigue a comblé mes souhaits:
Et le Rhin de ses flots ira grossir la Loire,
Avant que tes faveurs sortent de ma memoire.
Mais ne présume pas qu'en te donnant ma foi,
L'hymen m'ait pour jamais asservi sous ta loi.
Si le ciel en mes mains eust mis ma destinée,
Nous aurions fui tous deux le joug de l'hymenée:
Et sans nous opposer ces devoirs prétendus,
Nous goûterions encor des plaisirs deffendus.
Cesse donc à mes yeux d'étaler un vain titre.
Ne m'oste pas l'honneur d'élever un pupitre:
Et toi-mesme donnant un frein à tes desirs,
Raffermy ma vertu qu'ébranlent tes soûpirs.
Que te dirai-je enfin? C'est le ciel qui m'appelle:
Une eglise, un prelat m'engage en sa querelle.
Il faut partir: j'y cours. Dissipe tes douleurs,
Et ne me trouble plus par ces indignes pleurs."
Il la quitte à ces mots. Son amante effarée
Demeure le teint pasle, et la veuë égarée;
La force l'abandonne, et sa bouche trois fois
Voulant le rappeller ne trouve plus de voix.


Elle fuit, et de pleurs inondant son visage,
Seule pour s'enfermer vole au cinquiéme étage,
Mais d'un bouge prochain accourant à ce bruit,
Sa servante Alizon la ratrappe, et la suit.
Les ombres cependant sur la ville épanduës,
Du faiste des maisons descendent dans les ruës:
Le souper hors du choeur chasse les chappelains,
Et de chantres beuvans les cabarets sont pleins.
Le redouté Brontin, que son devoir éveille,
Sort à l'instant chargé d'une triple bouteille,
D'un vin dont Gilotin, qui sçavoit tout prévoir,
Au sortir du conseil eut soin de le pourvoir.
L'odeur d'un jus si doux luy rend le faix moins rude.
Il est bien-tost suivi du sacristain Boirude,
Et tous deux de ce pas s'en vont avec chaleur
Du trop lent perruquier réveiller la valeur.
"Partons, luy dit Brontin. Déja le jour plus sombre
Dans les eaux s'éteignant va faire place à l'ombre.
D'où vient ce noir chagrin que je lis dans tes yeux?
Quoy? Le pardon sonnant te retrouve en ces lieux?
Où donc est ce grand coeur, dont tantost l'allegresse
Sembloit du jour trop long accuser la paresse?
Marche, et sui-nous du moins où l'honneur nous attend."
Le perruquier honteux rougit en l'écoutant.
Aussi-tost de longs clous il prend une poignée:
Sur son épaule il charge une lourde coignée:
Et derriere son dos qui tremble sous le poids,
Il attache une scie en forme de carquois.
Il sort au mesme instant, il se met à leur teste.
À suivre ce grand chef l'un et l'autre s'appreste.
Leur coeur semble allumé d'un zele tout nouveau.
Brontin tient un maillet, et Boirude un marteau.
La lune qui du ciel voit leur démarche altiere,
Retire en leur faveur sa paisible lumiere.


La discorde en soûrit, et les suivant des yeux,
De joye, en les voyant, pousse un cri dans les cieux.
L'air qui gemit du cri de l'horrible deesse,
Va jusques dans cisteaux réveiller la mollesse.
C'est là qu'en un dortoir elle fait son sejour.
Les plaisirs nonchalans folastrent à l'entour.
L'un paîtrit dans un coin l'embonpoint des chanoines;
L'autre broye en riant le vermillon des moines:
La volupté la sert avec des yeux devots,
Et toûjours le sommeil luy verse des pavots.
Ce soir plus que jamais en vain il les redouble.
La mollesse à ce bruit se réveille, se trouble.
Quand la nuit, qui déja va tout envelopper,
D'un funeste recit vient encor la frapper:
Luy conte du prelat l'entreprise nouvelle.
Aux piez des murs sacrez d'une sainte chappelle
Elle a vû trois guerriers ennemis de la paix,
Marcher à la faveur de ses voiles épais.
La discorde en ce lieu menace de s'accroistre.
Demain avec l'aurore un lutrin va paroistre,
Qui doit y soûlever un peuple de mutins.
Ainsi le ciel l'écrit au livre des destins.
À ce triste discours, qu'un long soûpir acheve,
La mollesse en pleurant sur un bras se releve,
Ouvre un oeil languissant, et d'une foible voix,
Laisse tomber ces mots, qu'elle interrompt vingt fois.
"O nuit, que m'as-tu dit? Quel demon sur la terre
Souffle dans tous les coeurs la fatigue et la guerre?
Helas! Qu'est devenu ce temps, cet heureux temps,
Où les rois s'honnoroient du nom de faineans,
S'endormoient sur le trône, et me servant sans honte,
Laissoient leur sceptre aux mains ou d'un maire ou d'un
Comte?


Aucun soin n'approchoit de leur paisible cour.
On reposoit la nuit, on dormoit tout le jour.
Seulement au printemps, quand Flore dans les plaines
Faisoit taire des vents les bruyantes haleines,
Quatre boeufs attelez, d'un pas tranquille et lent,
Promenoient dans Paris le monarque indolent.
Ce doux siecle n'est plus. Le ciel impitoyable
A placé sur leur trône un prince infatigable.
Il brave mes douceurs, il est sourd à ma voix:
Tous les jours il m'éveille au bruit de ses exploits.
Rien ne peut arrester sa vigilante audace.
L'esté n'a point de feux, l'hyver n'a point de glace.
J'entens à son seul nom tous mes sujets fremir.
Envain deux fois la paix a voulu l'endormir:
Loin de moy son courage entraîné par la gloire,
Ne se plaist qu'à courir de victoire en victoire.
Je me fatiguerois, à te tracer le cours
Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours.
Je croyois, loin des lieux d'où ce prince m'exile,
Que l'eglise du moins m'assuroit un azile.
Mais envain j'esperois y regner sans effroi:
Moines, abbez, prieurs, tout s'arme contre moi.
Par mon exil honteux la trape est anoblie.
J'ay vû dans saint Denis la réforme établie.
Le carme, le feüillant s'endurcit aux travaux.
Et la regle déja se remet dans Clervaux,
Citeaux dormoit encore, et la sainte chappelle
Conservoit du vieux temps l'oisiveté fidele;
Et voici qu'un lutrin prest à tout renverser,
D'un séjour si cheri vient encor me chasser.
Ô toi, de mon repos compagne aimable et sombre,
A de si noirs forfaits presteras-tu ton ombre?
Ah! Nuit, si tant de fois, dans les bras de l'amour,
Je t'admis aux plaisirs que je cachois au jour.


Du moins ne permets pas..." la mollesse oppressée
Dans sa bouche à ce mot sent sa langue glacée
Et lasse de parler succombant sous l'effort,
Soûpire, étend les bras, ferme l'oeil, et s'endort.
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Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) CHANT 2
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