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 Paul Claudel. (1868-1955) La Dérivation.

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MessageSujet: Paul Claudel. (1868-1955) La Dérivation.   Paul Claudel. (1868-1955) La Dérivation. Icon_minitimeLun 18 Juin - 21:40

La Dérivation.

Que d’autres fleuves emportent vers la mer des branches de chêne et la rouge
infusion des terres ferrugineuses; ou des roses avec des écorces de platane, ou
de la paille épandue, ou des dalles de glace; que la Seine, par l’humide matinée
de décembre, alors que la demie de neuf heures sonne au clocher de la ville,
sous le bras roide des grues démarre des barges d’ordures et des gabarres
pleines de tonneaux; que la rivière Haha à la crête fumante de ses rapides
dresse tout à coup, comme une pique sauvage, le tronc d’un sapin de cent pieds,
et que les fleuves équatoriaux entraînent dans leur flot turbide des mondes
confus d’arbres et d’herbes: à plat ventre, amarré à contre-courant, la largeur
de celui-ci ne suffit pas à mes bras et son immensité à mon engloutissement.

Les promesses de l’Occident ne sont pas mensongères! Apprenez-le, cet or ne fait
pas vainement appel à nos ténèbres, il n’est pas dépourvu de délices. J’ai
trouvé qu’il est insuffisant de voir, inexpédient d’être debout; l’examen de la
jouissance est de cela que je possède sous moi. Puisque d’un pied étonné
descendant la berge ardue j’ai découvert la dérivation! Les richesses de l’Ouest
ne me sont pas étrangères. Tout entier vers moi, versé par la pente de la Terre,
il coule.

Ni la soie que la main ou le pied nu pétrit, ni la profonde laine d’un tapis de
sacre ne sont comparables à la résistance de cette épaisseur liquide où mon
poids propre me soutient, ni le nom du lait, ni la couleur de la rose à cette
merveille dont je reçois sur moi la descente. Certes je bois, certes je suis
plongé dans le vin! Que les ports s’ouvrent pour recevoir les cargaisons de bois
et de grains qui s’en viennent du pays haut, que les pêcheurs tendent leurs
filets pour arrêter les épaves et les poissons, que les chercheurs d’or filtrent
l’eau et fouillent le sable: le fleuve ne m’apporte pas une richesse moindre. Ne
dites point que je vois, car l’oeil ne suffit point à ceci qui demande un tact
plus subtil. Jouir, c’est comprendre, et comprendre, c’est compter.

A l’heure où la sacrée lumière provoque à toute sa réponse l’ombre qu’elle
décompose, la surface de ces eaux à mon immobile navigation ouvre le jardin sans
fleurs. Entre ces gras replis violets, voici l’eau peinte comme du reflet des
cierges, voici l’ambre, voici le vert le plus doux, voici la couleur de l’or.
Mais taisons-nous: cela que je sais est à moi, et alors que cette eau deviendra
noire, je posséderai la nuit tout entière avec le nombre intégral des étoiles
visibles et invisibles.
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Paul Claudel. (1868-1955) La Dérivation.
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