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 François Coppée. (1842-1908) AU SON DES CLOCHES.

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James
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MessageSujet: François Coppée. (1842-1908) AU SON DES CLOCHES.   François Coppée. (1842-1908) AU SON DES CLOCHES. Icon_minitimeVen 13 Juil - 0:48

AU SON DES CLOCHES.

C'est dans une petite ville de la presqu'île nor
mande, où tout le monde, quand il n'a pas plu
depuis trois jours, se met à gémir, à cause des
herbages; - une petite ville de l'Ouest, où, d'ordi-
naire, les nuages, chassés et bouleversés par le
vent marin, courent si bas qu'on croirait qu'ils
vont se déchirer aux flèches des églises; - une
petite ville sombre et cléricale, dont le touriste
peut parcourir, pendant une heure, les rues
désertes sans y rencontrer d'autres passants qu'un
prêtre qui se hâte vers l'évêché et deux ou trois
couples de religieuses; - une petite ville absolu-
ment rurale, qui, seulement le mercredi, jour de
marché, s'emplit du tapage et du grouillement des
cultivateurs en blouse, des paysannes en robe
noire et en bonnet blanc, des bestiaux et des char-
rettes; - une petite ville comme il y en a beau-
coup, où le Parisien de passage, après avoir
donné dix minutes d'admiration à la cathédrale
(gothique rayonnant), ne sait plus que faire de son
corps, va déjeuner à l'auberge, et dégoûté par le
cidre fade et les biscuits à la poussière, demande
l'Indicateur pour y chercher l'heure du plus pro-
chain départ; - mais, tout de même, une bonne
petite ville, dont émane un charme très pénétrant
de paix et d'intimité, où l'on aimerait à être né et
où l'on sent qu'on aurait doucement, longuement
savouré les mois et les années, avec, dans le coeur
ou dans le cerveau, un sentiment profond ou un
beau rêve.
Baoum !... Boum !... Braoum!... Boum !...
Baoum!... Brabaoum!...
Aujourd'hui, jour de la Pentecôte, les cloches
de la cathédrale sonnent à toute volée et appellent,
pour la troisième fois, les fidèles ,à la grand'messe,
qui doit commencer à dix heures précises. Mais
dans la dévote petite ville, on est très exact aux
offices, et déjà l'église est pleine. Déjà les longues
files de gamins conduits par les Frères, les ribam-
belles de petites filles guidées par les Soeurs, les
bourgeois endimanchés, les dames à eucologe et
les béguines à rosaire ont défilé sous le double cou-
vert des tilleuls de la place et ont disparu sous le
porche ogival. Les rares et derniers retardataires
s'espacent. La petite ville, où les boutiques sont
fermées, est plus tranquille et plus solitaire que
jamais, et les cloches - boum!... baoum ! ... -
sonnent dans le désert.
Mais quel beau temps !...
Si cela dure encore une quinzaine, ce sera un
désastre, et les veaux seront à vil prix, en juin, à
la Saint-Jean. Plus d'un propriétaire rural, inquiet
de la prochaine foire, plus d'une bonne dame pos-
sédant des pâturages aux environs et chez qui le fer-
mier est venu, l'autre jour, faire des jérémiades sur
la sécheresse, avaient ce gros souci, tout à l'heure,
en entrant à l'église et en prenant l'eau bénite.
N'importe, c'est délicieux, cette matinée de
printemps, ce vent tiède et léger, ce feuillage
tendre des tilleuls, cet azur rajeuni, où glissent de
grands nuages d'argent, avec une lenteur triom-
phale !
Les cloches elles-mêmes paraissent contentes;
et la grosse, celle qu'on voit se remuer lourdement
dans le clocher de droite, derrière les pierres
ajourées, n'a jamais bourdonné plus joyeusement. .
Baoum !... Boum !... Brabaoum ! Et les corneilles,
troublées par tout ce vacarme, là-haut, dans leurs
nids, les corneilles, noires sur le ciel bleu, volent
et tournent autour des deux flèches grises et se
demandent si cela ne va pas bientôt finir.
La Pentecôte est fête chômée. Toutes les bou-
tiques - sauf une - sont hermétiquement closes,
sur la place, devant la cathédrale ; et l'on ne
reconnaît celle du chapelier qu'à son enseigne, un
énorme tricorne peint en rouge; celle de l'armu-
rier qu'à ses deux mousquets gigantesques; celle
du charcutier qu'à ses longs chapelets de saucisses
de bois. Le maréchal ferrant lui-même, - bien
que radical et libre-penseur, - a fermé les deux
battants de sa porte ronde, auréolée de fers à
cheval, et l'on n'entend pas, comme les autres
dimanches matin, le fracas de son enclume lutter
avec le tintamarre des cloches. Aussi, victorieuses
et débarrassées de cette concurrence, elles s'en
donnent de toute leur force et - baoum!...
boum ! braoum!... - versent leurs ondes sonores
sur la solitude de la petite ville.
Pourquoi donc, seul, l'horloger du coin n'a-t-il
pas fermé boutique?

Oh ! une très humble, très étroite et très mes-
quine boutique, comme il n'y en a plus que dans
les lointaines provinces, presque une échoppe,
basse de plafond, où, pour entrer, il faut des-
cendre une marche. Et quels pauvres trésors, der-
rière la vitrine ! Des alliances, des coeurs et des
croix d'or, des chaînes d'argent, les bijoux de
camelote pour les campagnards. Et voilà plus de
dix ans qu'elle est à vendre, la belle pièce de l'éta-
lage, une horrible pendule en marbre couleur de
fromage d'Italie, surmontée d'un Marius, en zinc
doré, méditant sur les ruines de Carthage.
Pourquoi n'a-t-il pas clos ses volets, le petit
horloger? Il ne travaille cependant pas, aujour-
d'hui; il n'a même jamais assez de travail, le
pauvre garçon, pour se refuser le repos des
dimanches et fêtes. Pour le moment, sa besogne
est faite et, mélancoliquement appuyé au cham-
branle de sa porte, il pourrait entendre - sans ces
bruyantes cloches - derrière lui, dans sa bou-
tique, palpiter, palpiter toutes les montres -
lourds oignons d'or, massives toquantes d'argent
- que les paysans lui ont données à régler, mer-
credi dernier, et qui attendent, suspendues aux
clous de la muraille, le jour du prochain marché.
Si le petit Blaisot n'a pas mis encore ses con-
trevents, s'il reste debout sur le seuil de son
échoppe, l'air si chétif et mal d'aplomb sur sa
jambe de pied-bot, c'est qu'il attend là une des
seules bonnes minutes de sa vie, son heureuse
minute de tous les dimanches, c'est qu'il veut
voir Mlle de Gardemer qui passera tout à l'heure
devant lui pour aller à la grand'messe.
Baoum ! ... Braoum ...
La musique des cloches et la radieuse matinée
lui rappellent d'autres dimanches de printemps,
aussi purs, aussi doux que celui-ci, et le plus loin-
tain de tous, lorsque, petit gars du catéchisme de
persévérance, il vit pour la première fois, à
l'église, Geneviève de Gardemer, parmi les élèves
des Servantes de Marie, les dames du couvent
aristocratique où le minuscule faubourg Saint-
Germain de la petite ville fait élever ses filles,,
Geneviève de Gardemer qui lui apparaissait belle
comme une Sainte Vierge.
Il était alors apprenti chez son père, dans la
même petite boutique; il était le fils d'un pauvre
artisan, il était laid et estropié. Mile de Gardemer
était la plus noble parmi ses compagnes. II com-
prenait bien que jamais cette jeune fille - elle
avait quelques années de plus que lui - ne pour-
rait le connaître ni lui adresser la parole, que tou-
jours elle passerait à côté de lui, sans le voir. Il le
savait, et il trouvait cela tout naturel.
Mais, enfant maladif, inhabile à tous les jeux,
isolé, rêveur, et que son père surprenait sans cesse
lisant dans quelque coin, il n'imaginait rien de
meilleur que de regarder cette belle demoiselle;
dont le profil était si suave, quand elle baissait les
yeux sur son livre de prières.
Du temps passa. Elle quitta le couvent, assista
désormais aux offices devant un prie-Dieu marqué
à son nom, à côté de son père, maigre bonhomme
qui ressemblait à Charles X; et le petit Blaisot,
perdu loin d'elle dans la foule, ne pouvant plus la
regarder de près, négligea ses devoirs religieux,
se contenta et prit la chère habitude de la voir passer
devant la boutique, à l'heure de la grand'messe.
Et ce fut toute la joie du malingre adolescent, cet
instant si fugitif d'admiration, où se mêlait du res-
pect, de la tendresse et tant de rêve !
Il devint orphelin, hérita de l'humble établisse-
ment, connut la lente et douloureuse jeunesse des
timides et des disgraciés. Point d'amourettes. Les
filles se moquaient du boiteux. Il aurait pu se
marier. Avec qui ? Quelque grossière paysanne.
Il préféra rester seul, travailla pour gagner son
pain, tout juste, vécut comme en songe, se grisa et
s'anesthésia d'énormes lectures nocturnes, n'ayant,
au fond, de raison d'être que l'espoir et que le
souvenir de cette minute du dimanche, où la
noble demoiselle passait, au bras du vieux gen-
tilhomme, sous; les tilleuls.
Un Gardemer avait été tué devant Damiette, à
côté du roi saint Louis. Mlle Geneviève n'avait
point de dot et était trop fière pour se mésallier.
Elle non plus ne se maria pas. Son père mourut,
quand déjà elle n'était plus jeune. Et, désormais,
le petit horloger la vit passer, suivie d'une rus-
tique servante qui portait les deux missels.
Et ce fut ainsi pendant de longues années.
Boum!... Baoum!... Les cloches redoublent,
d'efforts et répandent, avec une sorte d'exaspéra-
tion, leurs nappes d'harmonie dans ce magnifique,
dans ce glorieux ciel de Pentecôte. Dépêchez-vous,
dépêchez-vous, les fidèles en retard, le prêtre a
déjà dit l'introït.
Enfin, - là-bas, sous les branches taillées, -
voici Mlle de Gardemer, suivie de sa paysanne en
coiffe normande.

C'est une vieille fille tout à fait, à présent, que
Mlle Geneviève. Svelte jadis, elle est maigre aujour-
d'hui. Son profil, son suave et délicat profil, s'est
accentué, desséché; et elle est en deuil pour tou-
jours.
On en rencontre beaucoup, des femmes en noir
comme celle-ci, dans les bas-côtés des églises,
s'agenouillant et marmonnant une prière devant
tous les autels, plantant et allumant un bout de
cire sur le triangle des cierges.
Elle se hâte, elle passe, rapide, sans jeter un
regard du côté de ce pauvre homme qu'elle n'a
jamais vu, qu'elle ne verra jamais, et elle entre
dans la cathédrale.
Mais le petit Blaisot ne sait pas qu'elle a vieilli,
le petit Blaisot la voit toujours aussi belle qu'au-
trefois. Il l'a reçu, le choc d'exquise émotion qu'il
a espéré pendant toute une semaine et dont il se
souviendra pendant toute une autre semaine. Il
reste encore un moment sur le seuil de sa porte,
s'appuyant de l'épaule au chambranle et tout de
guingois sur son gros soulier.
Cependant, il y a une nuance de tristesse dans
son bonheur. Devant cet éclatant soleil, ces
fraîches verdures, devant les deux flèches de
pierre qui s'élancent dans l'azur limpide, il
éprouve une confuse nostalgie, il songe vaguement
à tant de printemps passés, perdus. Et, comme,
enfin, les cloches se sont tues, - voyez, les cor-
neilles rassurées se perchent dans les trèfles à
jour des clochers, - le petit Blaisot entend main-
tenant, derrière lui, dans l'étroite boutique, les
montres suspendues à la muraille, qui palpitent,
palpitent, pour lui rappeler que la vie s'écoule,
qui palpitent, palpitent, moins vite pourtant que
son coeur. Mai 1896.

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James

François Coppée. (1842-1908) AU SON DES CLOCHES. Une_pa12François Coppée. (1842-1908) AU SON DES CLOCHES. Plumes19François Coppée. (1842-1908) AU SON DES CLOCHES. James_12François Coppée. (1842-1908) AU SON DES CLOCHES. Confes12


François Coppée. (1842-1908) AU SON DES CLOCHES. Sceau110
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