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 Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE LIV. TRENTIÈME ET DERNIER ESSAI DE L'ANNEAU. MIRZOZA.

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Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE LIV.  TRENTIÈME ET DERNIER ESSAI DE L'ANNEAU.  MIRZOZA. Empty
MessageSujet: Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE LIV. TRENTIÈME ET DERNIER ESSAI DE L'ANNEAU. MIRZOZA.   Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE LIV.  TRENTIÈME ET DERNIER ESSAI DE L'ANNEAU.  MIRZOZA. Icon_minitimeLun 3 Sep - 11:46

CHAPITRE LIV.

TRENTIÈME ET DERNIER ESSAI DE L'ANNEAU.

MIRZOZA.


Tandis que Mangogul s'entretenait dans ses jardins avec la favorite et
Sélim, on vint lui annoncer la mort de Sulamek. Sulamek avait commencé
par être maître de danse du sultan, contre les intentions d'Erguebzed;
mais quelques intrigantes, à qui il avait appris à faire des sauts
périlleux, le poussèrent de toutes leurs forces, et se remuèrent tant,
qu'il fut préféré à Marcel et à d'autres, dont il n'était pas digne
d'être le prévôt. Il avait un esprit de minutie, le jargon de la cour,
le don de conter agréablement et celui d'amuser les enfants; mais il
n'entendait rien à la haute danse. Lorsque la place du grand vizir vint
à vaquer, il parvint, à force de révérences, à supplanter le grand
sénéchal, danseur infatigable, mais homme roide et qui pliait de
mauvaise grâce. Son ministère ne fut point signalé par des événements
glorieux à la nation. Ses ennemis, et qui en manque? le vrai mérite en a
bien, l'accusaient de jouer mal du violon, et de n'avoir aucune
intelligence de la chorégraphie; de s'être laissé duper par les
pantomimes du prêtre Jean, et épouvanter par un ours du Monoémugi qui
dansait un jour devant lui; d'avoir donné des millions à l'empereur du
Tombut pour l'empêcher de danser dans un temps où il avait la goutte, et
dépensé tous les ans plus de cinq cent mille sequins en colophane, et
davantage à persécuter tous les ménétriers qui jouaient d'autres menuets
que les siens; en un mot, d'avoir dormi pendant quinze ans au son de la
vielle d'un gros habitant de Guinée qui s'accompagnait de son instrument
en baragouinant quelques chansons du Congo. Il est vrai qu'il avait
amené la mode des tilleuls de Hollande, etc...(100)

(100: Ce dernier portrait nous rappelle le cardinal de Fleury.
Il n'est pas plus exactement reproduit que tous ceux que nous avons cru
reconnaître; mais, comme nous l'avons déjà dit, ce n'est pas pour faire
du scandale que Diderot sème son roman d'allusions. Ces allusions lui
sont venues tout naturellement. Il commence souvent l'esquisse d'un
personnage: on peut croire qu'il va achever le tableau; mais la prudence
intervient et lui souffle de bons conseils; il tourne subitement et
tâche d'écarter le danger en déroutant les devineurs d'énigmes. C'est
donc sur les traits généraux et non sur les détails qu'il faut se fonder
pour essayer des explications. C'est par ce procédé que les lecteurs
contemporains ont reconnu le maréchal de Richelieu dans Sélim, quoique
les aventures de Sélim et celles du maréchal diffèrent considérablement
par la particularité et par la succession des événements. Il est fort
possible que cette habileté, qui a empêché qu'on poursuivît l'auteur des
Bijoux, ait contribué à faire enfermer celui de la Lettre sur les
aveugles. La punition a été retardée parce que, devant des peintures
volontairement vaporeuses, on était forcé de se dire: «C'est évidemment
tel ministre, tel courtisan, telle grande dame, et cependant on ne
saurait l'affirmer; elle est venue, comme cela arrive souvent, à propos
d'autre chose. Ici, on peut mieux qu'ailleurs suivre les habiletés et
les intrigues de Fleury avant d'arriver au ministère, son amour de la
paix qui le pousse à payer l'Angleterre pour conserver son alliance; ses
persécutions contre les jansénistes qui «jouaient d'autres menuets que
les siens;» sa maladroite condescendance vis-à-vis de l'Autriche, etc.

Dans le cas où nous ne nous tromperions pas, Brrrouboubou serait Charles
Frey de Neuville, qui prononça à Paris, en 1743, l'Oraison funèbre de
S. Exc. Mgr le cardinal A.-H. Fleury.)

Mangogul avait le coeur excellent; il regretta Sulamek, et lui ordonna
un catafalque avec une oraison funèbre, dont l'orateur Brrrouboubou fut
chargé.

Le jour marqué pour la cérémonie, les chefs des bramines, le corps du
divan et les sultanes, menées par leurs eunuques, se rendirent dans la
grande mosquée. Brrrouboubou montra pendant deux heures de suite, avec
une rapidité surprenante, que Sulamek était parvenu par des talents
supérieurs; fit préfaces sur préfaces; n'oublia ni Mangogul, ni ses
exploits sous l'administration de Sulamek; et il s'épuisait en
exclamations, lorsque Mirzoza, à qui le mensonge donnait des vapeurs, en
eut une attaque qui la rendit léthargique.

Ses officiers et ses femmes s'empressèrent à la secourir; on la remit
dans son palanquin; et elle fut aussitôt transportée au sérail.
Mangogul, averti du danger, accourut: on appela toute la pharmacie. Le
garus, les gouttes du général La Motte, celles d'Angleterre, furent
essayés, mais sans aucun succès. Le sultan, désolé, tantôt pleurant sur
Mirzoza, tantôt jurant contre Orcotome, perdit enfin toute espérance, ou
du moins n'en eut plus qu'en son anneau.

«Si je vous ai perdue, délices de mon âme, s'écria-t-il, votre bijou
doit, ainsi que votre bouche, garder un silence éternel.»

A l'instant il commande qu'on sorte; on obéit; et le voilà seul
vis-à-vis de la favorite: il tourne sa bague sur elle; mais le bijou de
Mirzoza, qui s'était ennuyé au sermon, comme il arrive tous les jours à
d'autres, et qui se sentait apparemment de la léthargie, ne murmura
d'abord que quelques mots confus et mal articulés. Le sultan réitéra
l'opération; et le bijou, s'expliquant très-distinctement, dit:

«Loin de vous, Mangogul, qu'allais-je devenir?... fidèle jusque dans la
nuit du tombeau, je vous aurais cherché; et si l'amour et la constance
ont quelque récompense chez les morts, cher prince, je vous aurais
trouvé.... Hélas! sans vous, le palais délicieux qu'habite Brama, et
qu'il a promis à ses fidèles croyants, n'eût été pour moi qu'une demeure
ingrate.»

Mangogul, transporté de joie, ne s'aperçut pas que la favorite sortait
insensiblement de sa léthargie; et que, s'il tardait à retourner sa
bague, elle entendrait les dernières paroles de son bijou: ce qui
arriva.

«Ah! prince, lui dit-elle, que sont devenus vos serments? Vous avez donc
éclairci vos injustes soupçons? Rien ne vous a retenu, ni l'état où
j'étais, ni l'injure que vous me faisiez, ni la parole que vous m'aviez
donnée?

-Ah! madame, lui répondit le sultan, n'imputez point à une honteuse
curiosité une impatience que le désespoir de vous avoir perdue m'a seul
suggérée: je n'ai point fait sur vous l'essai de mon anneau; mais j'ai
cru pouvoir, sans manquer à mes promesses, user d'une ressource qui vous
rend à mes voeux, et qui vous assure mon coeur à jamais.

-Prince, dit la favorite, je vous crois; mais que l'anneau soit remis
au génie, et que son fatal présent ne trouble plus ni votre cour ni
votre empire.»

A l'instant, Mangogul se mit en oraison, et Cucufa apparut:

«Génie tout-puissant, lui dit Mangogul, reprenez votre anneau, et
continuez-moi votre protection.

-Prince, lui répondit le génie, partagez vos jours entre l'amour et la
gloire; Mirzoza vous assurera le premier de ces avantages; et je vous
promets le second.»

A ces mots, le spectre encapuchonné serra la queue de ses hiboux, et
partit en pirouettant, comme il était venu.
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Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE LIV. TRENTIÈME ET DERNIER ESSAI DE L'ANNEAU. MIRZOZA.
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