Soir d'alerte
Soliloque
3 février 1936
Bec de gaz, on t'a peint en bleu ;
Ça t'a vexé, pas pour un peu,
Toi qui voyais la vie en rose.
Cependant ta pâle clarté,
Auprès de l'électricité,
Ne saurait en être la cause.
Et dire, pourtant, que ce soir
Tes cheveux, sous ton chapeau noir,
Seront une voûte azurée.
Tu te fais déjà remarquer.
Combien viendront, pour reluquer
Une tignasse colorée ?
On eut acheté ta santé,
Pauvre bec de gaz argenté ;
Mais, je comprends, cela te gêne
Tu dois avoir des embarras,
Car le Docteur ne t'a-t-il pas
Prescrit le bleu de méthylène ?
Mais pourquoi te troubler ainsi
Et d'un inutile souci
Charger ta lanterne pensive ?
Car si l'on a mis la Cité
Dans la plus sombre obscurité
C'est pour la défense passive.
Tu te souviens des durs moments
Où, pour de vrais bombardements,
Aussi l'on voilait la lumière.
Vingt ans ont passé, tu le sais,
Et ton vieux coeur de bon Français
Bat pour ceux qui firent la guerre.
Quoi, tel un mauvais électeur
On te fait changer de couleur
Et tu t'inclines, sans rien dire.
J'ai compris : tu te dis tout bas
Que les avions ne viendront pas
Et que l'alerte -- c'est pour rire.
Bec de Gaz