PLUME DE POÉSIES
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 Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XXIII. L’abbé Scarron

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MessageSujet: Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XXIII. L’abbé Scarron   Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XXIII. L’abbé Scarron Icon_minitimeDim 7 Avr - 16:11

XXIII. L’abbé Scarron

Il y avait, rue des Tournelles, un logis que connaissaient tous
les porteurs de chaises et tous les laquais de Paris, et cependant
ce logis n’était ni celui d’un grand seigneur ni celui d’un
financier. On n’y mangeait pas, on n’y jouait jamais, on n’y
dansait guère.

Cependant, c’était le rendez-vous du beau monde, et tout Paris y
allait.

Ce logis était celui du petit Scarron.

On y riait tant, chez ce spirituel abbé; on y débitait tant de
nouvelles; ces nouvelles étaient si vite commentées, déchiquetées
et transformées, soit en contes, soit en épigrammes, que chacun
voulait aller passer une heure avec le petit Scarron, entendre ce
qu’il disait et reporter ailleurs ce qu’il avait dit. Beaucoup
brûlaient aussi d’y placer leur mot; et, s’il était drôle, ils
étaient eux-mêmes les bienvenus.

Le petit abbé Scarron, qui n’était au reste abbé que parce qu’il
possédait une abbaye, et non point du tout parce qu’il était dans
les ordres, avait été autrefois un des plus coquets prébendiers de
la ville du Mans, qu’il habitait. Or, un jour de carnaval, il
avait voulu réjouir outre mesure cette bonne ville dont il était
l’âme; il s’était donc fait frotter de miel par son valet; puis,
ayant ouvert un lit de plume, il s’était roulé dedans, de sorte
qu’il était devenu le plus grotesque volatile qu’il fût possible
de voir. Il avait commencé alors à faire des visites à ses amis et
amies dans cet étrange costume; on avait commencé par le suivre
avec ébahissement, puis avec des huées, puis les crocheteurs
l’avaient insulté, puis les enfants lui avaient jeté des pierres,
puis enfin il avait été obligé de prendre la fuite pour échapper
aux projectiles. Du moment où il avait fui, tout le monde l’avait
poursuivi; pressé, traqué, relancé de tous côtés, Scarron n’avait
trouvé d’autre moyen d’échapper à son escorte qu’en se jetant à la
rivière. Il nageait comme un poisson, mais l’eau était glacée.
Scarron était en sueur, le froid le saisit, et en atteignant
l’autre rive, il était perclus.

On avait alors essayé, par tous les moyens connus, de lui rendre
l’usage de ses membres; on l’avait tant fait souffrir du
traitement, qu’il avait renvoyé tous les médecins en déclarant
qu’il préférait de beaucoup la maladie; puis il était revenu à
Paris, où déjà sa réputation d’homme d’esprit était établie. Là,
il s’était fait confectionner une chaise de son invention; et
comme un jour, dans cette chaise, il faisait une visite à la reine
Anne d’Autriche, celle-ci, charmée de son esprit, lui avait
demandé s’il ne désirait pas quelque titre.

- Oui, Votre Majesté, il en est un que j’ambitionne fort, avait
répondu Scarron.

- Et lequel? avait demandé Anne d’Autriche.

- Celui de votre malade, répondit l’abbé.

Et Scarron avait été nommé _malade de la reine_ avec une pension
de quinze cents livres.

À partir de ce moment, n’ayant plus d’inquiétude sur l’avenir,
Scarron avait mené joyeuse vie, mangeant le fonds et le revenu.

Un jour cependant un émissaire du cardinal lui avait donné à
entendre qu’il avait tort de recevoir M. le coadjuteur.

- Et pourquoi cela? avait demandé Scarron, n’est-ce donc point un
homme de naissance?

- Si fait, pardieu!

- Aimable?

- Incontestablement.

- Spirituel?

- Il n’a malheureusement que trop d’esprit.

- Eh bien! alors, avait répondu Scarron, pourquoi voulez-vous que
je cesse de voir un pareil homme?

- Parce qu’il pense mal.

- Vraiment? et de qui?

- Du cardinal.

- Comment! avait dit Scarron, je continue bien de voir M. Gilles
Despréaux, qui pense mal de moi, et vous voulez que je cesse de
voir M. le coadjuteur parce qu’il pense mal d’un autre?
impossible!

La conversation en était restée là, et Scarron, par esprit de
contrariété, n’en avait vu que plus souvent M. de Gondy.

Or, le matin du jour où nous sommes arrivés, et qui était le jour
d’échéance de son trimestre, Scarron, comme c’était son habitude,
avait envoyé son laquais avec son reçu pour toucher son trimestre
à la caisse des pensions; mais il lui avait été répondu:

«Que l’état n’avait plus d’argent pour M. l’abbé Scarron.»

Lorsque le laquais apporta cette réponse à Scarron, il avait près
de lui M. le duc de Longueville, qui offrait de lui donner une
pension double de celle que le Mazarin lui supprimait; mais le
rusé goutteux n’avait garde d’accepter. Il fit si bien, qu’à
quatre heures de l’après-midi toute la ville savait le refus du
cardinal. Justement c’était jeudi, jour de réception chez l’abbé;
on y vint en foule, et l’on fronda d’une manière enragée par toute
la ville.

Athos rencontra dans la rue Saint-Honoré deux gentilshommes qu’il
ne connaissait pas, à cheval comme lui, suivis d’un laquais comme
lui, et faisant le même chemin que lui. L’un des deux mit le
chapeau à la main et lui dit:

- Croyez-vous bien, monsieur, que ce pleutre de Mazarin a
supprimé la pension au pauvre Scarron!

- Cela est extravagant, dit Athos en saluant à son tour les deux
cavaliers.

- On voit que vous êtes honnête homme, monsieur, répondit le même
seigneur qui avait déjà adressé la parole à Athos, et ce Mazarin
est un véritable fléau.

- Hélas, monsieur, répondit Athos, à qui le dites-vous! Et ils se
séparèrent avec force politesses.

- Cela tombe bien que nous devions y aller ce soir, dit Athos au
vicomte, nous ferons notre compliment à ce pauvre homme.

- Mais qu’est-ce donc que M. Scarron, qui met ainsi en émoi tout
Paris? demanda Raoul; est-ce quelque ministre disgracié?

- Oh! mon Dieu, non, vicomte, répondit Athos, c’est tout
bonnement un petit gentilhomme de grand esprit qui sera tombé dans
la disgrâce du cardinal pour avoir fait quelque quatrain contre
lui.

- Est-ce que les gentilshommes font des vers? demanda naïvement
Raoul, je croyais que c’était déroger.

- Oui, mon cher vicomte, répondit Athos en riant, quand on les
fait mauvais; mais quand on les fait bons, cela illustre encore.
Voyez M. de Rotrou. Cependant, continua Athos du ton dont on donne
un conseil salutaire, je crois qu’il vaut mieux ne pas en faire.

- Et alors, demanda Raoul, ce monsieur Scarron est poète?

- Oui, vous voilà prévenu, vicomte; faites bien attention à vous
dans cette maison; ne parlez que par gestes, ou plutôt, écoutez
toujours.

- Oui, monsieur, répondit Raoul.

- Vous me verrez causant beaucoup avec un gentilhomme de mes
amis: ce sera l’abbé d’Herblay, vous m’avez souvent entendu
parler.

- Je me rappelle, monsieur.

- Approchez-vous quelquefois de nous comme pour nous parler, mais
ne nous parlez pas; n’écoutez pas non plus. Ce jeu servira pour
que les importuns ne nous dérangent pas.

- Fort bien, monsieur, et je vous obéirai de point en point.

Athos alla faire deux visites dans Paris. Puis, à sept heures, ils
se dirigèrent vers la rue des Tournelles. La rue était obstruée
par les porteurs, les chevaux et les valets de pied. Athos se fit
faire passage et entra suivi du jeune homme. La première personne
qui le frappa en entrant fut Aramis, installé près d’un fauteuil à
roulettes, fort large, recouvert d’un dais en tapisserie, sous
lequel s’agitait, enveloppée dans une couverture de brocart, une
petite figure assez jeune, assez rieuse, mais parfois pâlissante,
sans que ses yeux cessassent néanmoins d’exprimer un sentiment
vif, spirituel ou gracieux. C’était l’abbé Scarron, toujours
riant, raillant, complimentant, souffrant et se grattant avec une
petite baguette.

Autour de cette espèce de tente roulante, s’empressait une foule
de gentilshommes et de dames. La chambre était fort propre et
convenablement meublée. De grandes pentes de soies brochées de
fleurs qui avaient été autrefois de couleurs vives, et qui pour le
moment étaient un peu passées, tombaient de larges fenêtres, la
tapisserie était modeste, mais de bon goût. Deux laquais fort
polis et dressés aux bonnes manières faisaient le service avec
distinction.

En apercevant Athos, Aramis s’avança vers lui, le prit par la main
et le présenta à Scarron, qui témoigna autant de plaisir que de
respect pour le nouvel hôte, et fit un compliment très spirituel
pour le vicomte. Raoul resta interdit, car il ne s’était pas
préparé à la majesté du bel esprit. Toutefois il salua avec
beaucoup de grâce. Athos reçut ensuite les compliments de deux ou
trois seigneurs auxquels le présenta Aramis; puis le tumulte de
son entrée s’effaça peu à peu, et la conversation devint générale.

Au bout de quatre ou cinq minutes, que Raoul employa à se remettre
et à prendre topographiquement connaissance de l’assemblée, la
porte se rouvrit, et un laquais annonça mademoiselle Paulet.

Athos toucha de la main l’épaule du vicomte.

- Regardez cette femme, Raoul, dit-il, car c’est un personnage
historique; c’est chez elle que se rendait le roi Henri IV
lorsqu’il fut assassiné.

Raoul tressaillit; à chaque instant, depuis quelques jours, se
levait pour lui quelque rideau qui lui découvrait un aspect
héroïque: cette femme, encore jeune et encore belle, qui entrait,
avait connu Henri IV et lui avait parlé.

Chacun s’empressa auprès de la nouvelle venue, car elle était
toujours fort à la mode. C’était une grande personne à taille fine
et onduleuse, avec une forêt de cheveux dorés, comme Raphaël les
affectionnait et comme Titien en a mis à toutes ses Madeleines.
Cette couleur fauve, ou peut-être aussi la royauté qu’elle avait
conquise sur les autres femmes, l’avait fait surnommer la Lionne.

Nos belles dames d’aujourd’hui qui visent à ce titre fashionable
sauront donc qu’il leur vient, non pas d’Angleterre, comme elles
le croyaient peut-être, mais de leur belle et spirituelle
compatriote mademoiselle Paulet.

Mademoiselle Paulet alla droit à Scarron, au milieu du murmure qui
de toutes parts s’éleva à son arrivée.

- Eh bien, mon cher abbé! dit-elle de sa voix tranquille, vous
voilà donc pauvre? Nous avons appris cela cet après-midi, chez
madame de Rambouillet, c’est M. de Grasse qui nous l’a dit.

- Oui, mais État est riche maintenant, dit Scarron; il faut
savoir se sacrifier à son pays.

- Monsieur le cardinal va s’acheter pour quinze cents livres de
plus de pommades et de parfums par an, dit un frondeur qu’Athos
reconnut pour le gentilhomme qu’il avait rencontré rue Saint-
Honoré.

- Mais la Muse, que dira-t-elle, répondit Aramis de sa voix
mielleuse; la Muse qui a besoin de la médiocrité dorée? Car enfin:

_Si Virgilio puer aut tolerabile desit_
_Hospitium, caderent omnes a crinibus hydri._

- Bon! dit Scarron en tendant la main à mademoiselle Paulet; mais
si je n’ai plus mon hydre, il me reste au moins ma lionne.

Tous les mots de Scarron paraissaient exquis ce soir-là. C’est le
privilège de la persécution. M. Ménage en fit des bonds
d’enthousiasme.

Mademoiselle Paulet alla prendre sa place accoutumée; mais, avant
de s’asseoir, elle promena du haut de sa grandeur un regard de
reine sur toute l’assemblée, et ses yeux s’arrêtèrent sur Raoul.

Athos sourit.

- Vous avez été remarqué par mademoiselle Paulet, vicomte; allez
la saluer. Donnez-vous pour ce que vous êtes, pour un franc
provincial; mais ne vous avisez pas de lui parler de Henri IV.

Le vicomte s’approcha en rougissant de la Lionne, et on le
confondit bientôt avec tous les seigneurs qui entouraient la
chaise.

Cela faisait déjà deux groupes bien distincts: celui qui entourait
M. Ménage, et celui qui entourait mademoiselle Paulet; Scarron
courait de l’un à l’autre, manoeuvrant son fauteuil à roulettes au
milieu de tout ce monde avec autant d’adresse qu’un pilote
expérimenté ferait d’une barque au milieu d’une mer parsemée
d’écueils.

- Quand causerons-nous? dit Athos à Aramis.

- Tout à l’heure, répondit celui-ci; il n’y a pas encore assez de
monde, et nous serions remarqués.

En ce moment la porte s’ouvrit, et le laquais annonça M. le
coadjuteur.

À ce nom, tout le monde se retourna, car c’était un nom qui
commençait déjà à devenir fort célèbre.

Athos fit comme les autres. Il ne connaissait l’abbé de Gondy que
de nom.

Il vit entrer un petit homme noir, mal fait, myope, maladroit de
ses mains à toutes choses, excepté à tirer l’épée et le pistolet,
qui alla tout d’abord donner contre une table qu’il faillit
renverser; mais ayant avec tout cela quelque chose de haut et de
fier dans le visage.

Scarron se retourna de son côté et vint au-devant de lui dans son
fauteuil, mademoiselle Paulet salua de sa place et de la main.

- Eh bien! dit le coadjuteur en apercevant Scarron, ce qui ne fut
que lorsqu’il se trouva sur lui, vous voilà donc en disgrâce,
l’abbé?

C’était la phrase sacramentelle; elle avait été dite cent fois
dans la soirée, et Scarron en était à son centième bon mot sur le
même sujet: aussi faillit-il rester court; mais un effort
désespéré le sauva.

- M. le cardinal Mazarin a bien voulu songer à moi, dit-il.

- Prodigieux! s’écria Ménage.

- Mais comment allez-vous faire pour continuer de nous recevoir?
continua le coadjuteur. Si vos revenus baissent je vais être
obligé de vous faire nommer chanoine de Notre-Dame.

- Oh! non pas, dit Scarron, je vous compromettrais trop.

- Alors vous avez des ressources que nous ne connaissons pas?

- J’emprunterai à la reine.

- Mais Sa Majesté n’a rien à elle, dit Aramis; ne vit-elle pas
sous le régime de la communauté?

Le coadjuteur se retourna et sourit à Aramis, en lui faisant du
bout du doigt un signe d’amitié.

- Pardon, mon cher abbé, lui dit-il, vous êtes en retard, et il
faut que je vous fasse un cadeau.

- De quoi? dit Aramis.

- D’un cordon de chapeau.

Chacun se retourna du côté du coadjuteur, qui tira de sa poche un
cordon de soie d’une forme singulière.

- Ah! mais, dit Scarron, c’est une fronde, cela!

- Justement, dit le, coadjuteur, on fait tout à la fronde.
Mademoiselle Paulet, j’ai un éventail pour vous à la fronde. Je
vous donnerai mon marchand de gants, d’Herblay, il fait des gants
à la fronde; et à vous, Scarron, mon boulanger avec un crédit
illimité: il fait des pains à la fronde qui sont excellents.

Aramis prit le cordon et le noua autour de son chapeau.

En ce moment la porte s’ouvrit, et le laquais cria à haute voix:

- Madame la duchesse de Chevreuse!

Au nom de madame de Chevreuse, tout le monde se leva.

Scarron dirigea vivement son fauteuil du côté de la porte. Raoul
rougit. Athos fit un signe à Aramis, qui alla se tapir dans
l’embrasure d’une fenêtre.

Au milieu des compliments respectueux qui l’accueillirent à son
entrée, la duchesse cherchait visiblement quelqu’un ou quelque
chose. Enfin elle distingua Raoul, et ses yeux devinrent
étincelants: elle aperçut Athos, et devint rêveuse; elle vit
Aramis dans l’embrasure de la fenêtre, et fit un imperceptible
mouvement de surprise derrière son éventail.

- À propos, dit-elle comme pour chasser les idées qui
l’envahissaient malgré elle, comment va ce pauvre Voiture? Savez-
vous, Scarron?

- Comment! M. Voiture est malade? demanda le seigneur qui avait
parlé à Athos dans la rue Saint-Honoré, et qu’a-t-il donc encore?

- Il a joué sans avoir eu le soin de faire prendre par son
laquais des chemises de rechange, dit le coadjuteur, de sorte
qu’il a attrapé un froid et s’en va mourant.

- Où donc cela?

- Eh! mon Dieu! chez moi. Imaginez donc que le pauvre Voiture
avait fait un voeu solennel de ne plus jouer. Au bout de trois
jours il n’y peut plus tenir, et s’achemine vers l’archevêché pour
que je le relève de son voeu. Malheureusement, en ce moment-là,
j’étais en affaires très sérieuses avec ce bon conseiller
Broussel, au plus profond de mon appartement, lorsque Voiture
aperçoit le marquis de Luynes à une table et attendant un joueur.
Le marquis l’appelle, l’invite à se mettre à table. Voiture répond
qu’il ne peut pas jouer que je ne l’aie relevé de son voeu. Luynes
s’engage en mon nom, prend le péché pour son compte; Voiture se
met à table, perd quatre cents écus, prend froid en sortant et se
couche pour ne plus se relever.

- Est-il donc si mal que cela, ce cher Voiture? demanda Aramis à
demi caché derrière son rideau de fenêtre.

- Hélas! répondit M. Ménage, il est fort mal, et ce grand homme
va peut-être nous quitter, _deseret orbem._

- Bon, dit avec aigreur mademoiselle Paulet, lui, mourir! il n’a
garde! il est entouré de sultanes comme un Turc. Madame de Saintot
est accourue et lui donne des bouillons. La Renaudot lui chauffe
ses draps, et il n’y a pas jusqu’à notre amie, la marquise de
Rambouillet, qui ne lui envoie des tisanes.

- Vous ne l’aimez pas, ma chère Parthénie! dit en riant Scarron.

- Oh! quelle injustice, mon cher malade! je le hais si peu que je
ferais dire avec plaisir des messes pour le repos de son âme.

- Vous n’êtes pas nommée Lionne pour rien, ma chère, dit madame
de Chevreuse de sa place, et vous mordez rudement.

- Vous maltraitez fort un grand poète, ce me semble, madame,
hasarda Raoul.

- Un grand poète, lui?... Allons, on voit bien, vicomte, que vous
arrivez de province, comme vous me le disiez tout à l’heure, et
que vous ne l’avez jamais vu. Lui! un grand poète? Eh! il a à
peine cinq pieds.

- Bravo! bravo! dit un grand homme sec et noir avec une moustache
orgueilleuse et une énorme rapière. Bravo, belle Paulet! il est
temps enfin de remettre ce petit Voiture à sa place. Je déclare
hautement que je crois me connaître en poésie, et que j’ai
toujours trouvé la sienne fort détestable.

- Quel est donc ce capitan, monsieur? demanda Raoul à Athos.

- M. de Scudéry.

- L’auteur de la _Clélie_ et du _Grand Cyrus_?

- Qu’il a composés de compte à demi avec sa soeur, qui cause en
ce moment avec cette jolie personne, là-bas, près de M. Scarron.

Raoul se retourna et vit effectivement deux figures nouvelles qui
venaient d’entrer: l’une toute charmante, toute frêle, toute
triste, encadrée dans de beaux cheveux noirs, avec des yeux
veloutés comme ces belles fleurs violettes de la pensée sous
lesquelles étincelle un calice d’or; l’autre femme, semblant tenir
celle-ci sous sa tutelle, était froide, sèche et jaune, une
véritable figure de duègne ou de dévote.

Raoul se promit bien de ne pas sortir du salon sans avoir parlé à
la belle jeune fille aux yeux veloutés qui, par un étrange jeu de
la pensée, venait, quoiqu’elle n’eût aucune ressemblance avec
elle, de lui rappeler sa pauvre petite Louise qu’il avait laissée
souffrante au château de La Vallière, et qu’au milieu de tout ce
monde il avait oubliée un instant.

Pendant ce temps, Aramis s’était approché du coadjuteur, qui, avec
une mine toute rieuse, lui avait glissé quelques mots à l’oreille.
Aramis, malgré sa puissance sur lui-même, ne put s’empêcher de
faire un léger mouvement.

- Riez donc, lui dit M. de Retz; on nous regarde.

Et il le quitta pour aller causer avec madame de Chevreuse, qui
avait un grand cercle autour d’elle.

Aramis feignit de rire pour dépister l’attention de quelques
auditeurs curieux, et, s’apercevant qu’à son tour Athos était allé
se mettre dans l’embrasure de la fenêtre où il était resté quelque
temps, il s’en fut, après avoir jeté quelques mots à droite et à
gauche, le rejoindre sans affectation.

Aussitôt qu’ils se furent rejoints, ils entamèrent une
conversation accompagnée de force gestes.

Raoul alors s’approcha d’eux, comme le lui avait recommandé Athos.

- C’est un rondeau de M. Voiture que me débite M. l’abbé, dit
Athos à haute voix, et que je trouve incomparable.

Raoul demeura quelques instants près d’eux, puis il alla se
confondre au groupe de madame de Chevreuse, dont s’étaient
rapprochées mademoiselle Paulet d’un côté et mademoiselle de
Scudéry de l’autre.

- Eh bien! moi, dit le coadjuteur, je me permettrai de n’être pas
tout à fait de l’avis de M. de Scudéry; je trouve au contraire que
M. de Voiture est un poète, mais un pur poète. Les idées
politiques lui manquent complètement.

- Ainsi donc? demanda Athos.

- C’est demain, dit précipitamment Aramis.

- À quelle heure?

- À six heures.

- Où cela?

- À Saint-Mandé.

- Qui vous l’a dit?

- Le comte de Rochefort.

Quelqu’un s’approchait.

- Et les idées philosophiques? C’étaient celles-là qui lui
manquaient à ce pauvre Voiture. Moi je me range à l’avis de M. le
coadjuteur: pur poète.

- Oui certainement, en poésie il était prodigieux, dit Ménage, et
toutefois la postérité, tout en l’admirant, lui reprochera une
chose, c’est d’avoir amené dans la facture du vers une trop grande
licence; il a tué la poésie sans le savoir.

- Tué, c’est le mot, dit Scudéry.

- Mais quel chef-d’oeuvre que ses lettres, dit madame de
Chevreuse.

- Oh! sous ce rapport, dit mademoiselle de Scudéry, c’est un
illustre complet.

- C’est vrai, répliqua mademoiselle Paulet, mais tant qu’il
plaisante, car dans le genre épistolaire sérieux il est pitoyable,
et s’il ne dit les choses très crûment, vous conviendrez qu’il les
dit fort mal.

- Mais vous conviendrez au moins que dans la plaisanterie il est
inimitable.

- Oui, certainement, reprit Scudéry en tordant sa moustache; je
trouve seulement que son comique est forcé et sa plaisanterie est
par trop familière. Voyez sa _Lettre de la Carpe au Brochet._

- Sans compter, reprit Ménage, que ses meilleures inspirations
lui venaient de l’hôtel Rambouillet. Voyez _Zélide et Alcidalis._

- Quant à moi, dit Aramis en se rapprochant du cercle et en
saluant respectueusement madame de Chevreuse, qui lui répondit par
un gracieux sourire; quant à moi, je l’accuserai encore d’avoir
été trop libre avec les grands. Il a manqué souvent à madame la
Princesse, à M. le maréchal d’Albert, à M. de Schomberg, à la
reine elle-même.

- Comment, à la reine? demanda Scudéry en avançant la jambe
droite comme pour se mettre en garde. Morbleu! je ne savais pas
cela. Et comment donc a-t-il manqué à Sa Majesté?

- Ne connaissez-vous donc pas sa pièce:_ Je pensais?_

- Non, dit madame de Chevreuse.

- Non, dit mademoiselle de Scudéry.

- Non, dit mademoiselle Paulet.

- En effet, je crois que la reine l’a communiquée à peu de
personnes; mais moi je la tiens de mains sûres.

- Et vous la savez?

- Je me la rappellerais, je crois.

- Voyons! voyons! dirent toutes les voix.

- Voici dans quelle occasion la chose a été faite, dit Aramis.
M. de Voiture était dans le carrosse de la reine, qui se promenait
en tête à tête avec lui dans la forêt de Fontainebleau; il fit
semblant de penser pour que la reine lui demandât à quoi il
pensait, ce qui ne manqua point.

«- À quoi pensez-vous donc, monsieur de Voiture? demanda Sa
Majesté.

«Voiture sourit, fit semblant de réfléchir cinq secondes pour
qu’on crût qu’il improvisait, et répondit:

_Je pensais que la destinée,_
_Après tant d’injustes malheurs,_
_Vous a justement couronnée_
_De gloire, d’éclat et d’honneurs;_

_Mais que vous étiez plus heureuse,_
_Lorsque vous étiez autrefois,_
_Je ne dirai pas amoureuse! ..._
_La rime le veut toutefois._

Scudéry, Ménage et mademoiselle Paulet haussèrent les épaules.

- Attendez, attendez, dit Aramis, il y a trois strophes.

- Oh! dites trois couplets, dit mademoiselle de Scudéry, c’est
tout au plus une chanson.

_Je pensais que ce pauvre Amour,_
_Qui toujours vous prêta ses armes,_
_Est banni loin de votre cour,_
_Sans ses traits, son arc et ses charmes;_

_Et de quoi puis-je profiter,_
_En pensant près de vous, Marie,_
_Si vous pouvez si maltraiter_
_Ceux qui vous ont si bien servie?_

- Oh! quant à ce dernier trait, dit madame de Chevreuse, je ne
sais s’il est dans les règles poétiques, mais je demande grâce
pour lui comme vérité et madame de Hautefort et madame de Sennecey
se joindront à moi s’il le faut, sans compter M. de Beaufort.

- Allez, allez, dit Scarron, cela ne me regarde plus: depuis ce
matin je ne suis plus son malade.

- Et le dernier couplet? dit mademoiselle de Scudéry, le dernier
couplet? voyons.

- Le voici, dit Aramis; celui-ci a l’avantage de procéder par
noms propres, de sorte qu’il n’y a pas à s’y tromper.

_Je pensais, - nous autres poètes,_
_Nous pensons extravagamment, -_
_Ce que, dans l’humeur où vous êtes,_
_Vous feriez, si dans ce moment_

_Vous avisiez en cette place_
_Venir le duc de Buckingham,_
_Et lequel serait en disgrâce,_
_Du duc ou du père Vincent._

À cette dernière strophe, il n’y eut qu’un cri sur l’impertinence
de Voiture.

- Mais, dit à demi-voix la jeune fille aux yeux veloutés, mais
j’ai le malheur de les trouver charmants, moi, ces vers.

C’était aussi l’avis de Raoul, qui s’approcha de Scarron et lui
dit en rougissant:

- Monsieur Scarron, faites-moi donc l’honneur, je vous prie, de
me dire quelle est cette jeune dame qui est seule de son opinion
contre toute cette illustre assemblée.

- Ah! ah! mon jeune vicomte, dit Scarron, je crois que vous avez
envie de lui proposer une alliance offensive et défensive?

Raoul rougit de nouveau.

- J’avoue, dit-il, que je trouve ces vers fort jolis.

- Et ils le sont en effet, dit Scarron; mais chut, entre poètes,
on ne dit pas de ces choses-là.

- Mais moi, dit Raoul, je n’ai pas l’honneur d’être poète, et je
vous demandais...

- C’est vrai: quelle était cette jeune dame, n’est-ce pas? C’est
la belle Indienne.

- Veuillez m’excuser, monsieur, dit en rougissant Raoul, mais je
n’en sais pas plus qu’auparavant. Hélas! je suis provincial.

- Ce qui veut dire que vous ne connaissez pas grand’chose au
phébus qui ruisselle ici de toutes les bouches. Tant mieux, jeune
homme, tant mieux! Ne cherchez pas à comprendre, vous y perdriez
votre temps; et quand vous le comprendrez, il faut espérer qu’on
ne le parlera plus.

- Ainsi, vous me pardonnez, monsieur, dit Raoul, et vous
daignerez me dire quelle est la personne que vous appelez la belle
Indienne?

- Oui, certes, c’est une des plus charmantes personnes qui
existent, mademoiselle Françoise d’Aubigné.

- Est-elle de la famille du fameux Agrippa, l’ami du roi Henri
IV?

- C’est sa petite-fille. Elle arrive de la Martinique, voilà
pourquoi je l’appelle la belle Indienne.

Raoul ouvrit des yeux excessifs; et ses yeux rencontrèrent ceux de
la jeune dame qui sourit.

On continuait à parler de Voiture.

- Monsieur, dit mademoiselle d’Aubigné en s’adressant à son tour
à Scarron comme pour entrer dans la conversation qu’il avait avec
le jeune vicomte, n’admirez-vous pas les amis du pauvre Voiture!
Mais écoutez donc comme ils le plument tout en le louant! L’un lui
ôte le bon sens, l’autre la poésie, l’autre l’originalité, l’autre
le comique, l’autre l’indépendance, l’autre... Eh mais, bon Dieu!
que vont-ils donc lui laisser, à cet illustre complet? comme a dit
mademoiselle de Scudéry.

Scarron se mit à rire et Raoul aussi. La belle Indienne, étonnée
elle-même de l’effet qu’elle avait produit, baissa les yeux et
reprit son air naïf.

- Voilà une spirituelle personne, dit Raoul.

Athos, toujours dans l’embrasure de la fenêtre planait sur toute
cette scène, le sourire du dédain sur les lèvres.

- Appelez donc M. le comte de La Fère, dit madame de Chevreuse au
coadjuteur, j’ai besoin de lui parler.

- Et moi, dit le coadjuteur, j’ai besoin qu’on croie que je ne
lui parle pas. Je l’aime et l’admire, car je connais ses anciennes
aventures, quelques-unes, du moins; mais je ne compte le saluer
qu’après-demain matin.

- Et pourquoi après-demain matin? demanda madame de Chevreuse.

- Vous saurez cela demain soir, dit le coadjuteur en riant.

- En vérité, mon cher Gondy, dit la duchesse, vous parlez comme
l’Apocalypse. Monsieur d’Herblay, ajouta-t-elle en se retournant
du côté d’Aramis, voulez-vous bien encore une fois être mon
servant ce soir?

- Comment donc, duchesse? dit Aramis, ce soir, demain, toujours,
ordonnez.

- Eh bien! allez me chercher le comte de La Fère, je veux lui
parler.

Aramis s’approcha d’Athos et revint avec lui.

- Monsieur le comte, dit la duchesse en remettant une lettre à
Athos, voici ce que je vous ai promis. Notre protégé sera
parfaitement reçu.

- Madame, dit Athos, il est bien heureux de vous devoir quelque
chose.

- Vous n’avez rien à lui envier sous ce rapport; car moi je vous
dois de l’avoir connu, répliqua la malicieuse femme avec un
sourire qui rappela Marie Michon à Aramis et à Athos.

Et à ce mot, elle se leva et demanda son carrosse. Mademoiselle
Paulet était déjà partie, mademoiselle de Scudéry partait.

- Vicomte, dit Athos en s’adressant à Raoul, suivez madame la
duchesse de Chevreuse; priez-la qu’elle vous fasse la grâce de
prendre votre main pour descendre, et en descendant remerciez-la.

La belle indienne s’approcha de Scarron pour prendre congé de lui.

- Vous vous en allez déjà? dit-il.

- Je m’en vais une des dernières, comme vous le voyez. Si vous
avez des nouvelles de M. de Voiture, et qu’elles soient bonnes
surtout, faites-moi la grâce de m’en envoyer demain.

- Oh! maintenant, dit Scarron, il peut mourir.

- Comment cela? dit la jeune fille aux yeux de velours.

- Sans doute, son panégyrique est fait.

Et l’on se quitta en riant, la jeune fille se retournant pour
regarder le pauvre paralytique avec intérêt, le pauvre paralytique
la suivant des yeux avec amour.

Peu à peu les groupes s’éclaircirent. Scarron ne fit pas semblant
de voir que certains de ses hôtes s’étaient parlé mystérieusement,
que des lettres étaient venues pour plusieurs, et que sa soirée
semblait avoir eu un but mystérieux qui s’écartait de la
littérature, dont on avait cependant tant fait de bruit. Mais
qu’importait à Scarron? on pouvait maintenant fronder chez lui
tout à l’aise: depuis le matin comme il l’avait dit, il n’était
plus le malade de la reine.

Quant à Raoul, il avait en effet accompagné la duchesse jusqu’à
son carrosse, où elle avait pris place en lui donnant sa main à
baiser; puis, par un de ses fous caprices qui la rendaient si
adorable et surtout si dangereuse, elle l’avait saisi tout à coup
par la tête et l’avait embrassé au front en lui disant:

- Vicomte, que mes voeux et ce baiser vous portent bonheur!

Puis elle l’avait repoussé et avait ordonné au cocher de toucher à
l’hôtel de Luynes. Le carrosse était parti; madame de Chevreuse
avait fait au jeune homme un dernier signe par la portière, et
Raoul était remonté tout interdit.

Athos comprit ce qui s’était passé et sourit.

- Venez, vicomte, dit-il, il est temps de vous retirer; vous
partez demain pour l’armée de M. le Prince; dormez bien votre
dernière nuit de citadin.

- Je serai donc soldat? dit le jeune homme; oh! monsieur, merci
de tout mon coeur!

- Adieu, comte, dit l’abbé d’Herblay; je rentre dans mon couvent.

- Adieu, l’abbé, dit le coadjuteur, je prêche demain, et j’ai
vingt textes à consulter ce soir.

- Adieu, messieurs, dit le comte; moi je vais dormir vingt-quatre
heures de suite, je tombe de lassitude.

Les trois hommes se saluèrent après avoir échangé un dernier
regard.

Scarron les suivait du coin de l’oeil à travers les portières de
son salon.

- Pas un d’eux ne fera ce qu’il dit, murmura-t-il avec son petit
sourire de singe; mais qu’ils aillent, les braves gentilshommes!
Qui sait s’ils ne travaillent pas à me faire rendre ma pension!...
Ils peuvent remuer les bras, eux, c’est beaucoup; hélas! moi je
n’ai que la langue, mais je tâcherai de prouver que c’est quelque
chose. Holà! Champenois, voilà onze heures qui sonnent. Venez me
rouler vers mon lit... En vérité, cette demoiselle d’Aubigné est
bien charmante!

Sur ce, le pauvre paralytique disparut dans sa chambre à coucher,
dont la porte se referma derrière lui, et les lumières
s’éteignirent l’une après l’autre dans le salon de la rue des
Tournelles.
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Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XXIII. L’abbé Scarron
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