PLUME DE POÉSIES
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 Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XLIII. L’oncle et le neveu

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Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XLIII. L’oncle et le neveu Empty
MessageSujet: Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XLIII. L’oncle et le neveu   Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XLIII. L’oncle et le neveu Icon_minitimeDim 14 Avr - 19:09

XLIII. L’oncle et le neveu

Le cheval et le laquais de Winter l’attendaient à la porte. Il
s’achemina alors vers son logis tout pensif et regardant derrière
lui de temps en temps pour contempler la façade silencieuse et
noire du Louvre. Ce fut alors qu’il vit un cavalier se détacher
pour ainsi dire de la muraille et le suivre à quelque distance; il
se rappela avoir vu, en sortant du Palais-Royal, une ombre à peu
près pareille.

Le laquais de lord de Winter, qui le suivait à quelques pas,
suivait aussi de l’oeil ce cavalier avec inquiétude.

- Tony, dit le gentilhomme en faisant signe au valet de
s’approcher.

- Me voici, Monseigneur.

Et le valet se plaça côte à côte avec mon maître.

- Avez-vous remarqué cet homme qui nous suit?

- Oui, milord.

- Qui est-il?

- Je n’en sais rien; seulement il suit Votre Grâce depuis le
Palais-Royal, s’est arrêté au Louvre pour attendre sa sortie, et
repart du Louvre avec elle.

- Quelque espion du cardinal, dit de Winter à part lui; feignons
de ne pas nous apercevoir de sa surveillance.

Et, piquant des deux, il s’enfonça dans le dédale des rues qui
conduisaient à son hôtel situé du côté du Marais: ayant habité
longtemps la place Royale, lord de Winter était revenu tout
naturellement se loger près de son ancienne demeure.

L’inconnu mit son cheval au galop.

De Winter descendit à son hôtellerie et monta chez lui, se
promettant de faire observer l’espion; mais comme il déposait ses
gants et son chapeau sur une table, il vit dans une glace qui se
trouvait devant lui une figure qui se dessinait sur le seuil de la
chambre.

Il se retourna, Mordaunt était devant lui.

De Winter pâlit et resta debout et immobile; quant à Mordaunt, il
se tenait sur la porte, froid, menaçant, et pareil à la statue du
Commandeur.

Il y eut un instant de silence glacé entre ces deux hommes.

- Monsieur, dit de Winter, je croyais déjà vous avoir fait
comprendre que cette persécution me fatiguait, retirez-vous donc
ou je vais appeler pour vous faire chasser comme à Londres. Je ne
suis pas votre oncle, je ne vous connais pas.

- Mon oncle, répliqua Mordaunt de sa voix rauque et railleuse,
vous vous trompez; vous ne me ferez pas chasser cette fois comme
vous l’avez fait à Londres, vous n’oserez. Quant à nier que je
suis votre neveu, vous y songerez à deux fois, maintenant que j’ai
appris bien des choses que j’ignorais il y a un an.

- Et que m’importe ce que vous avez appris! dit de Winter.

- Oh! il vous importe beaucoup, mon oncle, j’en suis sûr, et vous
allez être de mon avis tout à l’heure, ajouta-t-il avec un sourire
qui fit passer un frisson dans les veines de celui auquel il
s’adressait. Quand je me suis présenté chez vous la première fois,
à Londres, c’était pour vous demander ce qu’était devenu mon bien;
quand je me suis présenté la seconde fois, c’était pour vous
demander ce qui avait souillé mon nom. Cette fois je me présente
devant vous pour vous faire une question bien autrement terrible
que toutes ces questions, pour vous dire, comme Dieu dit au
premier meurtrier: «Caïn, qu’as-tu fait de ton frère Abel?»

- Milord, qu’avez-vous fait de votre soeur, de votre soeur qui
était ma mère?

De Winter recula sous le feu de ces yeux ardents.

- De votre mère? dit-il.

- Oui, de ma mère, milord, répondit le jeune homme en jetant la
tête de haut en bas.

De Winter fit un effort violent sur lui-même, et, plongeant dans
ses souvenirs pour y chercher une haine nouvelle, il s’écria:

- Cherchez ce qu’elle est devenue, malheureux, et demandez-le à
l’enfer, peut-être que l’enfer vous répondra.

Le jeune homme s’avança alors dans la chambre jusqu’à ce qu’il se
trouvât face à face avec lord de Winter, et croisant les bras:

- Je l’ai demandé au bourreau de Béthune, dit Mordaunt d’une voix
sourde et le visage livide de douleur et de colère, et le bourreau
de Béthune m’a répondu.

De Winter tomba sur une chaise comme si la foudre l’avait frappé,
et tenta vainement de répondre.

- Oui, n’est-ce pas? continua le jeune homme, avec ce mot tout
s’explique, avec cette clef l’abîme s’ouvre. Ma mère avait hérité
de son mari, et vous avez assassiné ma mère! mon nom m’assurait le
bien paternel, et vous m’avez dégradé de mon nom; puis, quand vous
m’avez eu dégradé de mon nom, vous m’avez dépouillé de ma fortune.
Je ne m’étonne plus maintenant que vous ne me reconnaissiez pas;
je ne m’étonne plus que vous refusiez de me reconnaître. Il est
malséant d’appeler son neveu, quand on est spoliateur, l’homme
qu’on a fait pauvre; quand on est meurtrier, l’homme qu’on a fait
orphelin!

Ces paroles produisirent l’effet contraire qu’en attendait
Mordaunt: de Winter se rappela quel monstre était Milady; il se
releva calme et grave, contenant par son regard sévère le regard
exalté du jeune homme.

- Vous voulez pénétrer dans cet horrible secret, monsieur? dit de
Winter. Eh bien, soit!... Sachez donc quelle était cette femme
dont vous venez aujourd’hui me demander compte; cette femme avait,
selon toute probabilité, empoisonné mon frère, et, pour hériter de
moi, elle allait m’assassiner à mon tour; j’en ai la preuve. Que
direz-vous à cela?

- Je dirai que c’était ma mère!

- Elle a fait poignarder, par un homme autrefois juste, bon et
pur, le malheureux duc de Buckingham. Que direz-vous à ce crime,
dont j’ai la preuve?

- C’était ma mère!

- Revenue en France, elle a empoisonné dans le couvent des
Augustines de Béthune une jeune femme qu’aimait un de ses ennemis.
Ce crime vous persuadera-t-il de la justice du châtiment? Ce
crime, j’en ai la preuve!

- C’était ma mère! s’écria le jeune homme, qui avait donné à ces
trois exclamations une force toujours progressive.

- Enfin, chargée de meurtres, de débauches, odieuse à tous,
menaçante encore comme une panthère altérée de sang, elle a
succombé sous les coups d’hommes qu’elle avait désespérés et qui
jamais ne lui avaient causé le moindre dommage; elle a trouvé des
juges que ses attentats hideux ont évoqués: et ce bourreau que
vous avez vu, ce bourreau qui vous a tout raconté, prétendez-vous,
ce bourreau, s’il vous a tout raconté, a dû vous dire qu’il avait
tressailli de joie en vengeant sur elle la honte et le suicide de
son frère. Fille pervertie, épouse adultère, soeur dénaturée,
homicide, empoisonneuse, exécrable à tous les gens qui l’avaient
connue, à toutes les nations qui l’avaient reçue dans leur sein,
elle est morte maudite du ciel et de la terre; voilà ce qu’était
cette femme.

Un sanglot plus fort que la volonté de Mordaunt lui déchira la
gorge et fit remonter le sang à son visage livide; il crispa ses
poings, et le visage ruisselant de sueur, les cheveux hérissés sur
son front comme ceux d’Hamlet, il s’écria dévoré de fureur:

- Taisez-vous, monsieur! c’était ma mère! Ses désordres, je ne
les connais pas; ses vices, je ne les connais pas; ses crimes, je
ne les connais pas! Mais ce que je sais, c’est que j’avais une
mère, c’est que cinq hommes, ligués contre une femme, l’ont tuée
clandestinement, nuitamment, silencieusement, comme des lâches! Ce
que je sais, c’est que vous en étiez, monsieur; c’est que vous en
étiez, mon oncle, et que vous avez dit comme les autres, et plus
haut que les autres: _Il faut qu’elle meure!_ Donc, je vous en
préviens, écoutez bien ces paroles et qu’elles se gravent dans
votre mémoire de manière que vous ne les oubliez jamais: ce
meurtre qui m’a tout ravi, ce meurtre qui m’a fait sans nom, ce
meurtre qui m’a fait pauvre, ce meurtre qui m’a fait corrompu,
méchant, implacable, j’en demanderai compte à vous d’abord, puis à
ceux qui furent vos complices, quand je les connaîtrai.

La haine dans les yeux, l’écume à la bouche, le poing tendu,
Mordaunt avait fait un pas de plus, un pas terrible et menaçant
vers de Winter.

Celui-ci porta la main à son épée, et dit avec le sourire de
l’homme qui depuis trente ans joue avec la mort:

- Voulez-vous m’assassiner, monsieur? alors je vous reconnaîtrai
pour mon neveu, car vous êtes bien le fils de votre mère.

- Non, répliqua Mordaunt en forçant toutes les fibres de son
visage, tous les muscles de son corps à reprendre leur place et à
s’effacer; non, je ne vous tuerai pas, en ce moment du moins: car
sans vous je ne découvrirais pas les autres. Mais quand je les
connaîtrai, tremblez, monsieur; j’ai poignardé le bourreau de
Béthune, je l’ai poignardé sans pitié, sans miséricorde, et
c’était le moins coupable de vous tous.

À ces mots, le jeune homme sortit, et descendit l’escalier avec
assez de calme pour n’être pas remarqué; puis sur le palier
inférieur il passa devant Tony, penché sur la rampe et n’attendant
qu’un cri de son maître pour monter près de lui.

Mais de Winter n’appela point: écrasé, défaillant, il resta debout
et l’oreille tendue; puis seulement lorsqu’il eut entendu le pas
du cheval qui s’éloignait, il tomba sur une chaise en disant:

- Mon Dieu! je vous remercie qu’il ne connaisse que moi.
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Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XLIII. L’oncle et le neveu
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