PLUME DE POÉSIES
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 Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XLVI. Où il est prouvé que le premier mouvement est toujours le bon

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MessageSujet: Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XLVI. Où il est prouvé que le premier mouvement est toujours le bon   Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XLVI. Où il est prouvé que le premier mouvement est toujours le bon Icon_minitimeDim 14 Avr - 19:14

XLVI. Où il est prouvé que le premier mouvement est toujours le
bon

Les trois gentilshommes prirent la route de Picardie, cette route
si connue d’eux, et qui rappelait à Athos et à Aramis quelques-uns
des souvenirs les plus pittoresques de leur jeunesse.

- Si Mousqueton était avec nous, dit Athos en arrivant à
l’endroit où ils avaient eu dispute avec des paveurs, comme il
frémirait en passant ici; vous rappelez-vous, Aramis? c’est ici
que lui arriva cette fameuse balle.

- Ma foi, je le lui permettrais, dit Aramis, car moi je me sens
frissonner à ce souvenir; tenez, voici au-delà de cet arbre un
petit endroit où j’ai bien cru que j’étais mort.

On continua le chemin. Bientôt ce fut à Grimaud à redescendre dans
sa mémoire. Arrivés en face de l’auberge où son maître et lui
avaient fait autrefois une si énorme ripaille, il s’approcha
d’Athos, et, lui montrant le soupirail de la cave, il lui dit:

- Saucissons!

Athos se mit à rire, et cette folie de son jeune âge lui parut
aussi amusante que si quelqu’un la lui eût racontée comme d’un
autre.

Enfin, après deux jours et une nuit de marche, ils arrivèrent vers
le soir, par un temps magnifique, à Boulogne, ville alors presque
déserte, bâtie entièrement sur la hauteur; ce qu’on appelle la
basse ville n’existait pas. Boulogne était une position
formidable.

En arrivant aux portes de la ville:

- Messieurs, dit de Winter, faisons ici comme à Paris: séparons-
nous pour éviter les soupçons; j’ai une auberge peu fréquentée,
mais dont le patron m’est entièrement dévoué. Je vais y aller, car
des lettres doivent m’y attendre; vous, allez à la première
hôtellerie de la ville, à l’_Épée du Grand Henri_, par exemple;
rafraîchissez-vous, et dans deux heures trouvez-vous sur la jetée,
notre barque doit nous y attendre.

La chose fut arrêtée ainsi. Lord de Winter continua son chemin le
long des boulevards extérieurs pour entrer par une autre porte,
tandis que les deux amis entrèrent par celle devant laquelle ils
se trouvaient; au bout de deux cents pas ils rencontrèrent l’hôtel
indiqué.

On fit rafraîchir les chevaux, mais sans les desseller; les
laquais soupèrent, car il commençait à se faire tard, et les deux
maîtres, fort impatients de s’embarquer, leur donnèrent rendez-
vous sur la jetée, avec ordre de n’échanger aucune parole avec qui
que ce fût. On comprend bien que cette recommandation ne regardait
que Blaisois; pour Grimaud, il y avait longtemps qu’elle était
devenue inutile.

Athos et Aramis descendirent vers le port.

Par leurs habits couverts de poussière, par certain air dégagé qui
fait toujours reconnaître un homme habitué aux voyages, les deux
amis excitèrent l’attention de quelques promeneurs.

Ils en virent un surtout à qui leur arrivée avait produit une
certaine impression. Cet homme, qu’ils avaient remarqué les
premiers, par les mêmes causes qui les avaient fait, eux,
remarquer des autres, allait et venait tristement sur la jetée.
Dès qu’il les vit, il ne cessa de les regarder à son tour et parut
brûler d’envie de leur adresser la parole.

Cet homme était jeune et pâle; il avait les yeux d’un bleu si
incertain, qu’ils paraissaient s’irriter comme ceux du tigre,
selon les couleurs qu’ils reflétaient; sa démarche, malgré la
lenteur et l’incertitude de ses détours, était raide et hardie; il
était vêtu de noir et portait une longue épée avec assez de grâce.

Arrivés sur la jetée, Athos et Aramis s’arrêtèrent à regarder un
petit bateau amarré à un pieu et tout équipé comme s’il attendait.

- C’est sans doute le nôtre, dit Athos.

- Oui, répondit Aramis, et le sloop qui appareille là-bas a bien
l’air d’être celui qui doit nous conduire à notre destination;
maintenant, continua-t-il, pourvu que de Winter ne se fasse pas
attendre. Ce n’est point amusant de demeurer ici: il n’y passe pas
une seule femme.

- Chut! dit Athos: on nous écoutait.

En effet, le promeneur, qui, pendant l’examen des deux amis, avait
passé et repassé plusieurs fois derrière eux, s’était arrêté au
nom de Winter; mais comme sa figure n’avait exprimé aucune émotion
en entendant ce nom, ce pouvait être aussi bien le hasard qui
l’avait fait s’arrêter.

- Messieurs, dit le jeune homme en saluant avec beaucoup
d’aisance et de politesse, pardonnez à ma curiosité, mais je vois
que vous venez de Paris, ou du moins que vous êtes étrangers à
Boulogne.

- Nous venons de Paris, oui, monsieur, répondit Athos avec la
même courtoisie, qu’y a-t-il pour votre service?

- Monsieur, dit le jeune homme, seriez-vous assez bon pour me
dire s’il est vrai que monsieur le cardinal Mazarin ne soit plus
ministre?

- Voilà une question étrange, dit Aramis.

- Il l’est et ne l’est pas, répondit Athos; c’est-à-dire que la
moitié de la France le chasse, et qu’à force d’intrigues et de
promesses, il se fait maintenir par l’autre moitié: cela peut
durer ainsi fort longtemps, comme vous voyez.

- Enfin, monsieur, dit l’étranger, il n’est pas en fuite ni en
prison?

- Non, monsieur, pas pour le moment du moins.

- Messieurs, agréez mes remerciements pour votre complaisance,
dit le jeune homme en s’éloignant.

- Que dites-vous de ce questionneur? dit Aramis.

- Je dis que c’est un provincial qui s’ennuie ou un espion qui
s’informe.

- Et vous lui avez répondu ainsi?

- Rien ne m’autorisait à lui répondre autrement. Il était poli
avec moi, je l’ai été avec lui.

- Mais cependant si c’est un espion...

- Que voulez-vous que fasse un espion? nous ne sommes plus au
temps du cardinal de Richelieu, qui, sur un simple soupçon,
faisait fermer les ports.

- N’importe, vous avez eu tort de lui répondre comme vous avez
fait, dit Aramis, en suivant des yeux le jeune homme qui
disparaissait derrière les dunes.

- Et vous, dit Athos, vous oubliez que vous avez commis une bien
autre imprudence, c’était celle de prononcer le nom de lord de
Winter. Oubliez-vous que c’est à ce nom que le jeune homme s’est
arrêté?

- Raison de plus, quand il vous a parlé, de l’inviter à passer
son chemin.

- Une querelle, dit Athos.

- Et depuis quand une querelle vous fait-elle peur?

- Une querelle me fait toujours peur lorsqu’on m’attend quelque
part et que cette querelle peut m’empêcher d’arriver. D’ailleurs,
voulez-vous que je vous avoue une chose? moi aussi je suis curieux
de voir ce jeune homme de près.

- Et pourquoi cela?

- Aramis, vous allez vous moquer de moi; Aramis, vous allez dire
que je répète toujours la même chose; vous allez m’appeler le plus
peureux des visionnaires.

- Après?

- À qui trouvez-vous que cet homme ressemble?

- En laid ou en beau? demanda en riant Aramis.

- En laid, et autant qu’un homme peut ressembler à une femme.

- Ah! pardieu! s’écria Aramis, vous m’y faites penser. Non,
certes, vous n’êtes pas visionnaire, mon cher ami, et, à présent
que je réfléchis, oui, vous avez ma foi raison: cette bouche fine
et rentrée, ces yeux qui semblent toujours aux ordres de l’esprit
et jamais à ceux du coeur. C’est quelque bâtard de Milady.

- Vous riez, Aramis!

- Par habitude, voilà tout; car, je vous le jure, je n’aimerais
pas plus que vous à rencontrer ce serpenteau sur mon chemin.

- Ah! voici de Winter qui vient, dit Athos.

- Bon, il ne manquerait plus qu’une chose, dit Aramis, c’est que
ce fussent maintenant nos laquais qui se fissent attendre.

- Non, dit Athos, je les aperçois, ils viennent à vingt pas
derrière milord. Je reconnais Grimaud à sa tête raide et à ses
longues jambes. Tony porte nos carabines.

- Alors nous allons nous embarquer de nuit? demanda Aramis en
jetant un coup d’oeil sur l’occident, où le soleil ne laissait
plus qu’un nuage d’or qui semblait s’éteindre peu à peu en se
trempant dans la mer.

- C’est probable, dit Athos.

- Diable! reprit Aramis, j’aime peu la mer le jour, mais encore
moins la nuit; le bruit des flots, le bruit des vents, le
mouvement affreux du bâtiment, j’avoue que je préférerais le
couvent de Noisy.

Athos sourit de son sourire triste, car il écoutait ce que lui
disait son ami tout en pensant évidemment à autre chose, et
s’achemina vers de Winter.

Aramis le suivit.

- Qu’a donc notre ami? dit Aramis, il ressemble aux damnés de
Dante, à qui Satan a disloqué le cou et qui regardent leurs
talons. Que diable a-t-il donc à regarder ainsi derrière lui?

En les apercevant à son tour, de Winter doubla le pas et vint à
eux avec une rapidité surprenante.

- Qu’avez-vous donc, milord, dit Athos, et qui vous essouffle
ainsi?

- Rien, dit de Winter, rien. Cependant, en passant près des
dunes, il m’a semblé...

Et il se retourna de nouveau.

Athos regarda Aramis.

- Mais partons, continua de Winter, partons, le bateau doit nous
attendre, et voici notre sloop à l’ancre, le voyez-vous d’ici? Je
voudrais déjà être dessus.

Et il se retourna encore.

- Ah çà! dit Aramis, vous oubliez donc quelque chose?

- Non, c’est une préoccupation.

- Il l’a vu, dit tout bas Athos à Aramis.

On était arrivé à l’escalier qui conduisait à la barque. De Winter
fit descendre les premiers les laquais qui portaient les armes,
les crocheteurs qui portaient les malles, et commença à descendre
après eux.

En ce moment, Athos aperçut un homme qui suivait le bord de la mer
parallèle à la jetée, et qui hâtant sa marche comme pour assister
de l’autre côté du port, séparé de vingt pas à peine, à leur
embarquement.

Il crut, au milieu de l’ombre qui commençait à descendre,
reconnaître le jeune homme qui les avait questionnés.

- Oh! oh! se dit-il, serait-ce décidément un espion et voudrait-
il s’opposer à notre embarquement?

Mais comme, dans le cas où l’étranger aurait eu ce projet, il
était déjà un peu tard pour qu’il fût mis à exécution, Athos, à
son tour, descendit l’escalier, mais sans perdre de vue le jeune
homme. Celui-ci, pour couper court, avait paru sur une écluse.

- Il nous en veut assurément, dit Athos, mais embarquons-nous
toujours, et, une fois en pleine mer, qu’il y vienne.

Et Athos sauta dans la barque, qui se détacha aussitôt du rivage
et qui commença de s’éloigner sous l’effort de quatre vigoureux
rameurs.

Mais le jeune homme se mit à suivre ou plutôt à devancer la
barque. Elle devait passer entre la pointe de la jetée, dominée
par le fanal qui venait de s’allumer, et un rocher qui
surplombait. On le vit de loin gravir le rocher de manière à
dominer la barque lorsqu’elle passerait.

- Ah çà! dit Aramis à Athos, ce jeune homme est décidément un
espion.

- Quel est ce jeune homme? demanda de Winter en se retournant.

- Mais celui qui nous a suivis, qui nous a parlé et qui nous a
attendus là-bas: voyez.

De Winter se retourna et suivit la direction du doigt d’Aramis. Le
phare inondait de clarté le petit détroit où l’on allait passer et
le rocher où se tenait debout le jeune homme, qui attendait la
tête nue et les bras croisés.

- C’est lui! s’écria lord de Winter en saisissant le bras
d’Athos, c’est lui; j’avais bien cru le reconnaître et je ne
m’étais pas trompé.

- Qui, lui? demanda Aramis.

- Le fils de Milady, répondit Athos.

- Le moine! s’écria Grimaud.

Le jeune homme entendit ces paroles; on eût dit qu’il allait se
précipiter, tant il se tenait à l’extrémité du rocher, penché sur
la mer.

- Oui, c’est moi, mon oncle; moi, le fils de Milady; moi, le
moine; moi, le secrétaire et l’ami de Cromwell, et je vous
connais, vous et vos compagnons.

Il y avait dans cette barque trois hommes qui étaient braves,
certes, et desquels nul homme n’eût osé contester le courage; eh
bien, à cette voix, à cet accent, à ce geste, ils sentirent le
frisson de la terreur courir dans leurs veines.

Quant à Grimaud, ses cheveux étaient hérissés sur sa tête, et la
sueur lui coulait du front.

- Ah! dit Aramis, c’est là le neveu, c’est le moine, c’est là le
fils de Milady, comme il le dit lui-même?

- Hélas! oui, murmura de Winter.

- Alors, attendez! dit Aramis.

Et il prit, avec le sang-froid terrible qu’il avait dans les
suprêmes occasions, un des deux mousquets que tenait Tony, l’arma
et coucha en joue cet homme qui se tenait debout sur ce rocher
comme l’ange des malédictions.

- Feu! cria Grimaud hors de lui.

Athos se jeta sur le canon de la carabine et arrêta le coup qui
allait partir.

- Que le diable vous emporte! s’écria Aramis, je le tenais si
bien au bout de mon mousquet; je lui eusse mis la balle en pleine
poitrine.

- C’est bien assez d’avoir tué la mère, dit sourdement Athos.

- La mère était une scélérate, qui nous avait tous frappés en
nous ou dans ceux qui nous étaient chers.

- Oui, mais le fils ne nous a rien fait, lui.

Grimaud, qui s’était soulevé pour voir l’effet du coup, retomba
découragé en frappant des mains.

Le jeune homme éclata de rire.

- Ah! c’est bien vous, dit-il, c’est bien vous, et je vous
connais maintenant.

Son rire strident et ses paroles menaçantes passèrent au-dessus de
la barque, emportés par la brise et allèrent se perdre dans les
profondeurs de l’horizon.

Aramis frémit.

- Du calme, dit Athos. Que diable! ne sommes-nous donc plus des
hommes?

- Si fait, dit Aramis; mais celui-là est un démon. Et, tenez,
demandez à l’oncle si j’avais tort de le débarrasser de son cher
neveu.

De Winter ne répondit que par un soupir.

- Tout était fini, continua Aramis. Ah! j’ai bien peur, Athos,
que vous ne m’ayez fait faire une folie avec votre sagesse.

Athos prit la main de de Winter, et, essayant de détourner la
conversation:

- Quand aborderons-nous en Angleterre? demanda-t-il au
gentilhomme.

Mais celui-ci n’entendit point ces paroles et ne répondit pas.

- Tenez, Athos, dit Aramis, peut-être serait-il encore temps.
Voyez, il est toujours à la même place.

Athos se retourna avec effort, la vue de ce jeune homme lui était
évidemment pénible.

En effet, il était toujours debout sur son rocher, le phare
faisant autour de lui comme une auréole de lumière.

- Mais que fait-il à Boulogne? demanda Athos, qui, étant la
raison même, cherchait en tout la cause, peu soucieux de l’effet.

- Il me suivait, il me suivait, dit de Winter, qui, cette fois,
avait entendu la voix d’Athos; car la voix d’Athos correspondait à
ses pensées.

- Pour vous suivre, mon ami, dit Athos, il aurait fallu qu’il sût
notre départ; et, d’ailleurs, selon toute probabilité, au
contraire, il nous avait précédés.

- Alors je n’y comprends rien! dit l’Anglais en secouant la tête
comme un homme qui pense qu’il est inutile d’essayer de lutter
contre une force surnaturelle.

- Décidément, Aramis, dit Athos, je crois que j’ai eu tort de ne
pas vous laisser faire.

- Taisez-vous, répondit Aramis; vous me feriez pleurer si je
pouvais.

Grimaud poussa un grognement sourd qui ressemblait à un
rugissement.

En ce moment, une voix les héla du sloop. Le pilote, qui était
assis au gouvernail, répondit, et la barque aborda le bâtiment.

En un instant, hommes, valets et bagages furent à bord. Le patron
n’attendait que les passagers pour partir; et, à peine eurent-ils
le pied sur le pont que l’on mit le cap vers Hastings où on devait
débarquer.

En ce moment les trois amis, malgré eux, jetèrent un dernier
regard vers le rocher, où se détachait visible encore l’ombre
menaçante qui les poursuivait.

Puis une voix arriva jusqu’à eux, qui leur envoyait cette dernière
menace:

- Au revoir, messieurs, en Angleterre!
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Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XLVI. Où il est prouvé que le premier mouvement est toujours le bon
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