PLUME DE POÉSIES
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 Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LII. Le malheur donne de la mémoire

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MessageSujet: Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LII. Le malheur donne de la mémoire   Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LII. Le malheur donne de la mémoire Icon_minitimeDim 14 Avr - 19:28

LII. Le malheur donne de la mémoire

Anne était rentrée furieuse dans son oratoire.

- Quoi! s’écria-t-elle en tordant ses beaux bras, quoi, le peuple
a vu M. de Condé, le premier prince du sang, arrêté par ma belle-
mère, Marie de Médicis; il a vu ma belle-mère, son ancienne
régente, chassée par le cardinal; il a vu M. de Vendôme, c’est-à-
dire le fils de Henri IV, prisonnier à Vincennes; il n’a rien dit
tandis qu’on insultait, qu’on incarcérait, qu’on menaçait ces
grands personnages! et pour un Broussel! Jésus, qu’est donc
devenue la royauté?

Anne touchait sans y penser à la question brûlante. Le peuple
n’avait lien dit pour les princes, le peuple se soulevait pour
Broussel; c’est qu’il s’agissait d’un plébéien, et qu’en défendant
Broussel le peuple sentait instinctivement qu’il se défendait lui-
même.

Pendant ce temps, Mazarin se promenait de long en large dans son
cabinet, regardant de temps en temps sa belle glace de Venise tout
étoilée.

- Eh! disait-il, c’est triste, je le sais bien, d’être forcé de
céder ainsi; mais bah! nous prendrons notre revanche: qu’importe
Broussel! c’est un nom, ce n’est pas une chose.

Si habile politique qu’il fût, Mazarin se trompait cette fois:
Broussel était une chose et non pas un nom.

Aussi, lorsque le lendemain matin Broussel fit son entrée à Paris
dans un grand carrosse, ayant son fils Louvières à côté de lui et
Friquet derrière la voiture, tout le peuple en armes se précipita-
t-il sur son passage! les cris de: «Vive Broussel! Vive notre
père!» retentissaient de toutes parts et portaient la mort aux
oreilles de Mazarin; de tous les côtés les espions du cardinal et
de la reine rapportaient de fâcheuses nouvelles, qui trouvaient le
ministre fort agité et la reine fort tranquille. La reine
paraissait mûrir dans sa tête une grande résolution, ce qui
redoublait les inquiétudes de Mazarin. Il connaissait
l’orgueilleuse princesse et craignait fort les résolutions d’Anne
d’Autriche.

Le coadjuteur était rentré au parlement plus roi que le roi, la
reine et le cardinal ne l’étaient à eux trois ensemble; sur son
avis, un édit du parlement avait invité les bourgeois à déposer
leurs armes et à démolir les barricades: ils savaient maintenant
qu’il ne fallait qu’une heure pour reprendre les armes et qu’une
nuit pour refaire les barricades.

Planchet était rentré dans sa boutique; la victoire amnistie:
Planchet n’avait donc plus peur d’être pendu; il était convaincu
que, si l’on faisait seulement mine de l’arrêter, le peuple se
soulèverait pour lui comme il venait de le faire pour Broussel.

Rochefort avait rendu ses chevau-légers au chevalier d’Humières:
il en manquait bien deux à l’appel; mais le chevalier, qui était
frondeur dans l’âme, n’avait pas voulu entendre parler de
dédommagement.

Le mendiant avait repris sa place au parvis Saint-Eustache,
distribuant toujours son eau bénite d’une main et demandant
l’aumône de l’autre; et nul ne se doutait que ces deux mains-là
venaient d’aider à tirer de l’édifice social la pierre
fondamentale de la royauté.

Louvières était fier et content, il s’était vengé du Mazarin,
qu’il détestait, et avait fort contribué à faire sortir son père
de prison; son nom avait été répété avec terreur au Palais-Royal,
et il disait en riant au conseiller réintégré dans sa famille:

- Croyez-vous, mon père, que si maintenant je demandais une
compagnie à la reine elle me la donnerait?

D’Artagnan avait profité du moment de calme pour renvoyer Raoul,
qu’il avait eu grand’peine à retenir enfermé pendant l’émeute, et
qui voulait absolument tirer l’épée pour l’un ou l’autre parti.
Raoul avait fait quelque difficulté d’abord, mais d’Artagnan avait
parlé au nom du comte de La Fère. Raoul avait été faire une visite
à madame de Chevreuse et était parti pour rejoindre l’armée.

Rochefort seul trouvait la chose assez mal terminée: il avait
écrit à M. le duc de Beaufort de venir; le duc allait arriver et
trouverait Paris tranquille.

Il alla trouver le coadjuteur, pour lui demander s’il ne fallait
pas donner avis au prince de s’arrêter en route; mais Gondy y
réfléchit un instant et dit:

- Laissez-le continuer son chemin.

- Mais ce n’est donc pas fini? demanda Rochefort.

- Bon! mon cher comte, nous ne sommes encore qu’au commencement.

- Qui vous fait croire cela?

- La connaissance que j’ai du coeur de la reine: elle ne voudra
pas demeurer battue.

- Prépare-t-elle donc quelque chose?

- Je l’espère.

- Que savez-vous, voyons?

- Je sais qu’elle a écrit à M. le Prince de revenir de l’armée en
toute hâte.

- Ah! ah! dit Rochefort, vous avez raison, il faut laisser venir
M. de Beaufort.

Le soir même de cette conversation, le bruit se répandit que M. le
Prince était arrivé.

C’était une nouvelle bien simple et bien naturelle, et cependant
elle eut un immense retentissement; des indiscrétions, disait-on,
avaient été commises par madame de Longueville, à qui M. le
Prince, qu’on accusait d’avoir pour sa soeur une tendresse qui
dépassait les bornes de l’amitié fraternelle, avait fait des
confidences.

Ces confidences dévoilaient de sinistres projets de la part de la
reine.

Le soir même de l’arrivée de M. le Prince, des bourgeois plus
avancés que les autres, des échevins, des capitaines de quartier
s’en allaient chez leurs connaissances, disant:

- Pourquoi ne prendrions-nous pas le roi et ne le mettrions-nous
pas à l’Hôtel de Ville? c’est un tort de le laisser élever par nos
ennemis, qui lui donnent de mauvais conseils; tandis que s’il
était dirigé par M. le coadjuteur, par exemple, il sucerait des
principes nationaux et aimerait le peuple.

La nuit fut sourdement agitée; le lendemain on revit les manteaux
gris et noirs, les patrouilles de marchands en armes et les bandes
de mendiants.

La reine avait passé la nuit à conférer seule à seul avec M. le
Prince; à minuit il avait été introduit dans son oratoire et ne
l’avait quittée qu’à cinq heures.

À cinq heures la reine se rendit au cabinet du cardinal.

Si elle n’était pas encore couchée, elle, le cardinal était déjà
levé.

Il rédigeait une réponse à Cromwell, six jours étaient déjà
écoulés sur les dix qu’il avait demandés à Mordaunt.

- Bah! disait-il, je l’aurai fait un peu attendre, mais
M. Cromwell sait trop ce que c’est que les révolutions pour ne pas
m’excuser.

Il relisait donc avec complaisance le premier paragraphe de son
factum, lorsqu’on gratta doucement à la porte qui communiquait aux
appartements de la reine. Anne d’Autriche pouvait seule venir par
cette porte. Le cardinal se leva et alla ouvrir.

La reine était en négligé, mais le négligé lui allait encore, car,
ainsi que Diane de Poitiers et Ninon, Anne d’Autriche conserva ce
privilège de rester toujours belle: seulement ce matin-là elle
était plus belle que de coutume, car ses yeux avaient tout le
brillant que donne au regard une joie intérieure.

- Qu’avez-vous, Madame, dit Mazarin inquiet, vous avez l’air
toute fière?

- Oui, Giulio, dit-elle, fière et heureuse, car j’ai trouvé le
moyen d’étouffer cette hydre.

- Vous êtes un grand politique, ma reine, dit Mazarin, voyons le
moyen.

Et il cacha ce qu’il écrivait en glissant la lettre commencée sous
du papier blanc.

- Ils veulent me prendre le roi, vous savez? dit la reine.

- Hélas! oui! et me pendre, moi.

- Ils n’auront pas le roi.

- Et ils ne me pendront pas, _benone._

- Écoutez: je veux leur enlever mon fils et moi-même, et vous
avec moi; je veux que cet événement, qui du jour au lendemain
changera la face des choses, s’accomplisse sans que d’autres le
sachent que vous, moi et une troisième personne.

- Et quelle est cette troisième personne?

- M. le Prince.

- Il est donc arrivé, comme on me l’avait dit?

- Hier soir.

- Et vous l’avez vu?

- Je le quitte.

- Il prête les mains à ce projet?

- Le conseil vient de lui.

- Et Paris?

- Il l’affame et le force à se rendre à discrétion.

- Le projet ne manque pas de grandiose, mais je n’y vois qu’un
empêchement.

- Lequel?

- L’impossibilité.

- Parole vide de sens. Rien n’est impossible.

- En projet.

- En exécution. Avons-nous de l’argent?

- Un peu, dit Mazarin tremblant qu’Anne d’Autriche ne demandât à
puiser dans sa bourse.

- Avons-nous des troupes?

- Cinq ou six mille hommes.

- Avons-nous du courage?

- Beaucoup.

- Alors la chose est facile. Oh! comprenez-vous, Giulio? Paris,
cet odieux Paris, se réveillant un matin sans reine et sans roi,
cerné, assiégé, affamé, n’ayant plus pour toute ressource que son
stupide parlement et son maigre coadjuteur aux jambes torses!

- Joli! joli! dit Mazarin: je comprends l’effet; mais je ne vois
pas le moyen d’y arriver.

- Je le trouverai, moi!

- Vous savez que c’est la guerre, la guerre civile, ardente,
acharnée, implacable.

- Oh! oui, oui, la guerre, dit Anne d’Autriche; oui, je veux
réduire cette ville rebelle en cendres; je veux éteindre le feu
dans le sang; je veux qu’un exemple effroyable éternise le crime
et le châtiment. Paris! je le hais, je le déteste.

- Tout beau, Anne, vous voilà sanguinaire! Prenez garde, nous ne
sommes pas au temps des Malatesta et des Castruccio Castracani;
vous vous ferez décapiter, ma belle reine, et ce serait dommage.

- Vous riez.

- Je ris très peu, la guerre est dangereuse avec tout un peuple:
voyez votre frère Charles Ier, il est mal, très mal.

- Nous sommes en France et je suis Espagnole.

- Tant pis, _per Baccho_, tant pis, j’aimerais mieux que vous
fussiez française, et moi aussi: on nous détesterait moins tous
les deux.

- Cependant vous m’approuvez?

- Oui, si je vois la chose possible.

- Elle l’est, c’est moi qui vous le dis; faites vos préparatifs
de départ.

- Moi! je suis toujours prêt à partir; seulement, vous le savez,
je ne pars jamais... et cette fois probablement pas plus que les
autres.

- Enfin, si je pars, partirez-vous?

- J’essaierai.

- Vous me faites mourir, avec vos peurs, Giulio, et de quoi donc
avez-vous peur?

- De beaucoup de choses.

- Desquelles?

La physionomie de Mazarin, de railleuse qu’elle était, devint
sombre.

- Anne, dit-il, vous n’êtes qu’une femme, et, comme femme, vous
pouvez insulter à votre aise les hommes, sûre que vous êtes de
l’impunité: vous m’accusez d’avoir peur: je n’ai pas tant peur que
vous, puisque je ne me sauve pas, moi. Contre qui crie-t-on? Est-
ce contre vous ou contre moi? Qui veut-on pendre? Est-ce vous ou
moi? Eh bien, je fais tête à l’orage, moi, cependant, que vous
accusez d’avoir peur, non pas en bravache, ce n’est pas ma mode,
mais je tiens. Imitez-moi, pas tant d’éclat, plus d’effet. Vous
criez très haut, vous n’aboutissez à rien. Vous parlez de fuir!

Mazarin haussa les épaules, prit la main de la reine et la
conduisit à la fenêtre:

- Regardez!

- Eh bien? dit la reine aveuglée par son entêtement.

- Eh bien, que voyez-vous de cette fenêtre? Ce sont, si je ne
m’abuse, des bourgeois cuirassés, casqués, armés de bons
mousquets, comme au temps de la Ligue, et qui regardent si bien la
fenêtre d’où vous les regardez, vous, que vous allez être vue si
vous soulevez si fort le rideau. Maintenant, venez à cette autre:
que voyez-vous? Des gens du peuple armés de hallebardes qui
gardent vos portes. À chaque ouverture de ce palais où je vous
conduirais, vous en verriez autant; vos portes sont gardées, les
soupiraux de vos caves sont gardés, et je vous dirai à mon tour ce
que ce bon La Ramée me disait de M. de Beaufort: À moins d’être
oiseau ou souris, vous ne sortirez pas.

- Il est cependant sorti, lui.

- Comptez-vous sortir de la même manière?

- Je suis donc prisonnière alors?

- Parbleu! dit Mazarin, il y a une heure que je vous le prouve.

Et Mazarin reprit tranquillement sa dépêche commencée, à l’endroit
où il l’avait interrompue.

Anne, tremblante de colère, rouge d’humiliation, sortit du cabinet
en repoussant derrière elle la porte avec violence.

Mazarin ne tourna pas même la tête.

Rentrée dans ses appartements, la reine se laissa tomber sur un
fauteuil et se mit à pleurer.

Puis tout à coup frappée d’une idée subite:

- Je suis sauvée, dit-elle en se levant. Oh! oui, oui, je connais
un homme qui saura me tirer de Paris, lui, un homme que j’ai trop
longtemps oublié.

Et, rêveuse, quoique avec un sentiment de joie:

- Ingrate que je suis, dit-elle, j’ai vingt ans oublié cet homme,
dont j’eusse dû faire un maréchal de France. Ma belle-mère a
prodigué l’or, les dignités, les caresses à Concini, qui l’a
perdue, le roi a fait Vitry maréchal de France pour un assassinat,
et moi, j’ai laissé dans l’oubli, dans la misère, ce noble
d’Artagnan qui m’a sauvée.

Et elle courut à une table sur laquelle étaient du papier et de
l’encre, et se mit à écrire.
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Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LII. Le malheur donne de la mémoire
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