PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LV. Le carrosse de M. le coadjuteur

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LV. Le carrosse de M. le coadjuteur Empty
MessageSujet: Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LV. Le carrosse de M. le coadjuteur   Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LV. Le carrosse de M. le coadjuteur Icon_minitimeLun 15 Avr - 18:14

LV. Le carrosse de M. le coadjuteur

Au lieu de rentrer par la porte Saint-Honoré, d’Artagnan qui avait
du temps devant lui, fit le tour et rentra par la porte Richelieu.
On vint le reconnaître, et, quand on vit à son chapeau à plumes et
à son manteau galonné qu’il était officier des mousquetaires, on
l’entoura avec l’intention de lui faire crier: «À bas le Mazarin!»
Cette première démonstration ne laissa pas que de l’inquiéter
d’abord; mais quand il sut de quoi il était question, il cria
d’une si belle voix que les plus difficiles furent satisfaits.

Il suivait la rue de Richelieu, rêvant à la façon dont il
emmènerait à son tour la reine, car de l’emmener dans un carrosse
aux armes de France il n’y fallait pas songer, lorsqu’à la porte
de l’hôtel de madame de Guéménée il aperçut un équipage.

Une idée subite l’illumina.

- Ah! pardieu, dit-il, ce serait de bonne guerre.

Et il s’approcha du carrosse, regarda les armes qui étaient sur
les panneaux et la livrée du cocher qui était sur le siège.

Cet examen lui était d’autant plus facile que le cocher dormait
les poings fermés.

- C’est bien le carrosse de M. le coadjuteur, dit-il; sur ma
parole, je commence à croire que la Providence est pour nous.

Il monta doucement dans le carrosse, et tirant le fil de soie qui
correspondait au petit doigt du cocher:

- Au Palais-Royal! dit-il.

Le cocher, réveillé en sursaut, se dirigea vers le point désigné
sans se douter que l’ordre vînt d’un autre que de son maître. Le
suisse allait fermer les grilles; mais en voyant ce magnifique
équipage il ne douta pas que ce ne fût une visite d’importance, et
laissa passer le carrosse, qui s’arrêta sous le péristyle.

Là seulement le cocher s’aperçut que les laquais n’étaient pas
derrière la voiture.

Il crut que M. le coadjuteur en avait disposé, sauta à bas du
siège sans lâcher les rênes et vint ouvrir.

D’Artagnan sauta à son tour à terre, et, au moment où le cocher,
effrayé en ne reconnaissant pas son maître, faisait un pas en
arrière, il le saisit au collet de la main gauche, et de la droite
lui mit un pistolet sur la gorge:

- Essaye de prononcer un seul mot, dit d’Artagnan, et tu es mort!

Le cocher vit à l’expression du visage de celui qui lui parlait
qu’il était tombé dans un guet-apens, et il resta la bouche béante
et les yeux démesurément ouverts.

Deux mousquetaires se promenaient dans la cour, d’Artagnan les
appela par leur nom.

- Monsieur de Bellière, dit-il à l’un, faites-moi le plaisir de
prendre les rênes des mains de ce brave homme, de monter sur le
siège de la voiture, de la conduire à la porte de l’escalier
dérobé et de m’attendre là; c’est pour affaire d’importance et qui
tient au service du roi.

Le mousquetaire, qui savait son lieutenant incapable de faire une
mauvaise plaisanterie à l’endroit du service, obéit sans dire un
mot, quoique l’ordre lui parût singulier.

Alors, se retournant vers le second mousquetaire:

- Monsieur du Verger, dit-il, aidez-moi à conduire cet homme en
lieu de sûreté.

Le mousquetaire crut que son lieutenant venait d’arrêter quelque
prince déguisé, s’inclina et, tirant son épée, fit signe qu’il
était prêt.

D’Artagnan monta l’escalier suivi de son prisonnier, qui était
suivi lui-même du mousquetaire, traversa le vestibule et entra
dans l’antichambre de Mazarin.

Bernouin attendait avec impatience des nouvelles de son maître.

- Eh bien! monsieur? dit-il.

- Tout va à merveille, mon cher monsieur Bernouin; mais voici,
s’il vous plaît, un homme qu’il vous faudrait mettre en lieu de
sûreté...

- Où cela, monsieur?

- Où vous voudrez, pourvu que l’endroit que vous choisirez ait
des volets qui ferment au cadenas et une porte qui ferme à la
clef.

- Nous avons cela, monsieur, dit Bernouin.

Et l’on conduisit le pauvre cocher dans un cabinet dont les
fenêtres étaient grillées et qui ressemblait fort à une prison.

- Maintenant, mon cher ami, je vous invite, dit d’Artagnan, à
vous défaire en ma faveur de votre chapeau et de votre manteau.

Le cocher, comme on le comprend bien, ne fit aucune résistance;
d’ailleurs il était si étonné de ce qui lui arrivait qu’il
chancelait et balbutiait comme un homme ivre: d’Artagnan mit le
tout sous le bras du valet de chambre.

- Maintenant, monsieur du Verger, dit d’Artagnan, enfermez-vous
avec cet homme jusqu’à ce que M. Bernouin vienne ouvrir la porte;
la faction sera passablement longue et fort peu amusante, je le
sais, mais vous comprenez, ajouta-t-il gravement, service du roi.

- À vos ordres, mon lieutenant, répondit le mousquetaire, qui vit
qu’il s’agissait de choses sérieuses.

- À propos, dit d’Artagnan; si cet homme essaie de fuir ou de
crier, passez-lui votre épée au travers du corps.

Le mousquetaire fit un signe de tête qui voulait dire qu’il
obéirait ponctuellement à la consigne.

D’Artagnan sortit emmenant Bernouin avec lui.

Minuit sonnait.

- Menez-moi dans l’oratoire de la reine, dit-il; prévenez-la que
j’y suis, et allez me mettre ce paquet-là, avec un mousqueton bien
chargé, sur le siège de la voiture qui attend au bas de l’escalier
dérobé.

Bernouin introduisit d’Artagnan dans l’oratoire où il s’assit tout
pensif.

Tout avait été au Palais-Royal comme d’habitude. À dix heures,
ainsi que nous l’avons dit, presque tous les convives étaient
retirés; ceux qui devaient fuir avec la cour eurent le mot
d’ordre; et chacun fut invité à se trouver de minuit à une heure
au Cours-la-Reine.

À dix heures, Anne d’Autriche passa chez le roi. On venait de
coucher Monsieur; et le jeune Louis, resté le dernier, s’amusait à
mettre en bataille des soldats de plomb, exercice qui le récréait
fort. Deux enfants d’honneur jouaient avec lui.

- Laporte, dit la reine, il serait temps de coucher Sa Majesté.

Le roi demanda à rester encore debout, n’ayant aucune envie de
dormir, disait-il; mais la reine insista.

- Ne devez-vous pas aller demain matin à six heures vous baigner
à Conflans, Louis? C’est vous-même qui l’avez demandé, ce me
semble.

- Vous avez raison, Madame, dit le roi, et je suis prêt à me
retirer dans mon appartement quand vous aurez bien voulu
m’embrasser. Laporte, donnez le bougeoir à M. le chevalier de
Coislin.

La reine posa ses lèvres sur le front blanc et poli que l’auguste
enfant lui tendait avec une gravité qui sentait déjà l’étiquette.

- Endormez-vous bien vite, Louis, dit la reine, car vous serez
réveillé de bonne heure.

- Je ferai de mon mieux pour vous obéir, Madame, dit le jeune
Louis, mais je n’ai aucune envie de dormir.

- Laporte, dit tout bas Anne d’Autriche, cherchez quelque livre
bien ennuyeux à lire à Sa Majesté, mais ne vous déshabillez pas.

Le roi sortit accompagné du chevalier de Coislin, qui lui portait
le bougeoir. L’autre enfant d’honneur fut reconduit chez lui.

Alors la reine rentra dans son appartement. Ses femmes, c’est-à-
dire madame de Brégy, mademoiselle de Beaumont, madame de
Motteville et Socratine sa soeur, que l’on appelait ainsi à cause
de sa sagesse, venaient de lui apporter dans la garde-robe des
restes du dîner, avec lesquels elle soupait, selon son habitude.

La reine alors donna ses ordres, parla d’un repas que lui offrait
le surlendemain le marquis de Villequier, désigna les personnes
qu’elle admettait à l’honneur d’en être, annonça pour le lendemain
encore une visite au Val-de-Grâce, où elle avait l’intention de
faire ses dévotions, et donna à Béringhen, son premier valet de
chambre, ses ordres pour qu’il l’accompagnât.

Le souper des dames fini, la reine feignit une grande fatigue et
passa dans sa chambre à coucher. Madame de Motteville, qui était
de service particulier ce soir-là, l’y suivit, puis l’aida à se
dévêtir. La reine alors se mit au lit, lui parla affectueusement
pendant quelques minutes et la congédia.

C’était en ce moment que d’Artagnan entrait dans la cour du
Palais-Royal avec la voiture du coadjuteur.

Un instant après, les carrosses des dames d’honneur en sortaient
et la grille se refermait derrière eux.

Minuit sonnait.

Cinq minutes après, Bernouin frappait à la chambre à coucher de la
reine, venant par le passage secret du cardinal.

Anne d’Autriche alla ouvrir elle-même.

Elle était déjà habillée, c’est-à-dire qu’elle avait remis ses bas
et s’était enveloppée d’un long peignoir.

- C’est vous, Bernouin, dit-elle, M. d’Artagnan est-il là?

- Oui, Madame, dans votre oratoire, il attend que Votre Majesté
soit prête.

- Je le suis. Allez dire à Laporte d’éveiller et d’habiller le
roi, puis de là passez chez le maréchal de Villeroy et prévenez-le
de ma part.

Bernouin s’inclina et sortit.

La reine entra dans son oratoire, qu’éclairait une simple lampe en
verroterie de Venise. Elle vit d’Artagnan debout et qui
l’attendait.

- C’est vous? lui dit-elle.

- Oui, Madame.

- Vous êtes prêt?

- Je le suis.

- Et M. le cardinal?

- Est sorti sans accident. Il attend Votre Majesté au Cours-la-
Reine.

- Mais dans quelle voiture partons-nous?

- J’ai tout prévu, un carrosse attend en bas Votre Majesté.

- Passons chez le roi.

D’Artagnan s’inclina et suivit la reine.

Le jeune Louis était déjà habillé, à l’exception des souliers et
du pourpoint, il se laissait faire d’un air étonné, en accablant
de questions Laporte, qui ne lui répondait que ces paroles:

- Sire, c’est par l’ordre de la reine.

Le fit était découvert, et l’on voyait les draps du roi tellement
usés qu’en certains endroits il y avait des trous.

C’était encore un des effets de la lésinerie de Mazarin.

La reine entra, et d’Artagnan se tint sur le seuil. L’enfant, en
apercevant la reine, s’échappa des mains de Laporte et courut à
elle.

La reine fit signe à d’Artagnan de s’approcher.

D’Artagnan obéit.

- Mon fils, dit Anne d’Autriche, en lui montrant le mousquetaire
calme, debout et découvert, voici M. d’Artagnan, qui est brave
comme un de ces anciens preux dont vous aimez tant que mes femmes
vous racontent l’histoire. Rappelez-vous bien son nom, et
regardez-le bien, pour ne pas oublier son visage, car ce soir il
nous rendra un grand service.

Le jeune roi regarda l’officier de son grand oeil fier et répéta:

- M. d’Artagnan?

- C’est cela, mon fils.

Le jeune roi leva lentement sa petite main et la tendit au
mousquetaire; celui-ci mit un genou en terre et la baisa.

- M. d’Artagnan, répéta Louis, c’est bien, Madame.

À ce moment on entendit comme une rumeur qui s’approchait.

- Qu’est-ce que cela? dit la reine.

- Oh! oh! répondit d’Artagnan en tendant tout à la fois son
oreille fine et son regard intelligent, c’est le bruit du peuple
qui s’émeut.

- Il faut fuir, dit la reine.

- Votre Majesté m’a donné la direction de cette affaire, il faut
rester et savoir ce qu’il veut.

- Monsieur d’Artagnan!

- Je réponds de tout.

Rien ne se communique plus rapidement que la confiance. La reine,
pleine de force et de courage, sentait au plus haut degré ces deux
vertus chez les autres.

- Faites, dit-elle, je m’en rapporte à vous.

- Votre Majesté veut-elle me permettre dans toute cette affaire
de donner des ordres en son nom?

- Ordonnez, monsieur.

- Que veut donc encore ce peuple? dit le roi.

- Nous allons le savoir, sire, dit d’Artagnan.

Et il sortit rapidement de la chambre.

Le tumulte allait croissant, il semblait envelopper le Palais-
Royal tout entier. On entendait de l’intérieur des cris dont on ne
pouvait comprendre le sens. Il était évident qu’il y avait clameur
et sédition. Le roi, à moitié habillé, la reine et Laporte
restèrent chacun dans l’état et presque à la place où ils étaient,
écoutant et attendant.

Comminges, qui était de garde cette nuit-là au Palais-Royal,
accourut; il avait deux cents hommes à peu près dans les cours et
dans les écuries, il les mettait à la disposition de la reine.

- Eh bien! demanda Anne d’Autriche en voyant reparaître
d’Artagnan, qu’y a-t-il?

- Il y a, madame, que le bruit s’est répandu que la reine avait
quitté le Palais-Royal, enlevant le roi, et que le peuple demande
à avoir la preuve du contraire, ou menace de démolir le Palais-
Royal.

- Oh! cette fois, c’est trop fort, dit la reine, et je leur
prouverai que je ne suis point partie.

D’Artagnan vit, à l’expression du visage de la reine, qu’elle
allait donner quelque ordre violent. Il s’approcha d’elle et lui
dit tout bas:

- Votre Majesté a-t-elle toujours confiance en moi?

Cette voix la fit tressaillir.

- Oui, monsieur, toute confiance, dit-elle... Dites.

- La reine daigne-t-elle se conduire d’après mes avis?

- Dites.

- Que Votre Majesté veuille renvoyer M. de Comminges, en lui
ordonnant de se renfermer, lui et ses hommes, dans le corps de
garde et les écuries.

Comminges regarda d’Artagnan de ce regard envieux avec lequel tout
courtisan voit poindre une fortune nouvelle.

- Vous avez entendu, Comminges? dit la reine.

D’Artagnan alla à lui, il avait reconnu avec sa sagacité ordinaire
ce coup d’oeil inquiet.

- Monsieur de Comminges, lui dit-il, pardonnez-moi; nous sommes
tous deux serviteurs de la reine, n’est-ce pas? c’est mon tour de
lui être utile, ne m’enviez donc pas ce bonheur.

Comminges s’inclina et sortit.

- Allons, se dit d’Artagnan, me voilà avec un ennemi de plus!

- Et maintenant, dit la reine en s’adressant à d’Artagnan, que
faut-il faire? car, vous l’entendez, au lieu de se calmer le bruit
redouble.

- Madame, répondit d’Artagnan, le peuple veut voir le roi, il
faut qu’il le voie.

- Comment, qu’il le voie! où cela! sur le balcon?

- Non pas, Madame, mais ici, dans son lit, dormant.

- Oh! Votre Majesté, M. d’Artagnan a toute raison! s’écria
Laporte.

La reine réfléchit et sourit en femme à qui la duplicité n’est pas
étrangère.

- Au fait, murmura-t-elle.

- Monsieur Laporte, dit d’Artagnan, allez à travers les grilles
du Palais-Royal annoncer au peuple qu’il va être satisfait et que,
dans cinq minutes, non seulement il verra le roi, mais encore
qu’il le verra dans son lit; ajoutez que le roi dort et que la
reine prie que l’on fasse silence pour ne point le réveiller.

- Mais pas tout le monde, une députation de deux ou quatre
personnes?

- Tout le monde, Madame.

- Mais ils nous tiendront jusqu’au jour, songez-y.

- Nous en aurons pour un quart d’heure. Je réponds de tout,
Madame; croyez-moi, je connais le peuple c’est un grand enfant
qu’il ne s’agit que de caresser. Devant le roi endormi, il sera
muet, doux et timide comme un agneau.

- Allez, Laporte, dit la reine.

Le jeune roi se rapprocha de sa mère.

- Pourquoi faire ce que ces gens demandent? dit-il.

- Il le faut, mon fils, dit Anne d’Autriche.

- Mais alors, si on me dit _il le faut_, je ne suis donc plus
roi?

La reine resta muette.

- Sire, dit d’Artagnan, Votre Majesté me permettra-t-elle de lui
faire une question?

Louis XIV se retourna, étonné qu’on osât lui adresser la parole;
la reine serra la main de l’enfant.

- Oui, monsieur, dit-il.

- Votre Majesté se rappelle-t-elle avoir, lorsqu’elle jouait dans
le parc de Fontainebleau ou dans les cours du palais de
Versailles, vu tout à coup le ciel se couvrir et entendu le bruit
du tonnerre?

- Oui, sans doute.

- Eh bien! ce bruit du tonnerre, si bonne envie que Votre Majesté
eût encore de jouer, lui disait: «Rentrez, sire, il le faut.»

- Sans doute, monsieur; mais aussi l’on m’a dit que le bruit du
tonnerre, c’était la voix de Dieu.

- Eh bien! sire, dit d’Artagnan, écoutez le bruit du peuple, et
vous verrez que cela ressemble beaucoup à celui du tonnerre.

En effet, en ce moment une rumeur terrible passait emportée par la
brise de la nuit.

Tout à coup elle cessa.

- Tenez, sire, dit d’Artagnan, on vient de dire au peuple que
vous dormiez; vous voyez bien que vous êtes toujours roi.

La reine regardait avec étonnement cet homme étrange que son
courage éclatant faisait l’égal des plus braves, que son esprit
fin et rusé faisait l’égal de tous.

Laporte entra.

- Eh bien, Laporte? demanda la reine.

- Madame, répondit-il, la prédiction de M. d’Artagnan s’est
accomplie, ils se sont calmés comme par enchantement. On va leur
ouvrir les portes, et dans cinq minutes ils seront ici.

- Laporte, dit la reine, si vous mettiez un de vos fils à la
place du roi, nous partirions pendant ce temps.

- Si Sa Majesté l’ordonne, dit Laporte, mes fils, comme moi, sont
au service de la reine.

- Non pas, dit d’Artagnan, car si l’un d’eux connaissait Votre
Majesté et s’apercevait du subterfuge, tout serait perdu.

- Vous avez raison, monsieur, toujours raison, dit Anne
d’Autriche. Laporte, couchez le roi.

Laporte posa le roi tout vêtu comme il était dans son lit, puis il
le recouvrit jusqu’aux épaules avec le drap.

La reine se courba sur lui et l’embrassa au front.

- Faites semblant de dormir, Louis, dit-elle.

- Oui, dit le roi, mais je ne veux pas qu’un seul de ces hommes
me touche.

- Sire, je suis là, dit d’Artagnan, et je vous réponds que si un
seul avait cette audace, il la payerait de sa vie.

- Maintenant, que faut-il faire? demanda la reine, car je les
entends.

- Monsieur Laporte, allez au-devant d’eux, et leur recommandez de
nouveau le silence. Madame, attendez-là à la porte. Moi je suis au
chevet du roi, tout prêt à mourir pour lui.

Laporte sortit, la reine se tint debout près de la tapisserie,
d’Artagnan se glissa derrière les rideaux.

Puis on entendit la marche sourde et contenue d’une grande
multitude d’hommes; la reine souleva elle-même la tapisserie en
mettant un doigt sur sa bouche.

En voyant la reine, ces hommes s’arrêtèrent dans l’attitude du
respect.

- Entrez, messieurs, entrez, dit la reine.

Il y eut alors parmi tout ce peuple un mouvement d’hésitation qui
ressemblait à de la honte: il s’attendait à la résistance, il
s’attendait à être contrarié, à forcer les grilles et à renverser
les gardes; les grilles s’étaient ouvertes toutes seules, et le
roi, ostensiblement du moins, n’avait à son chevet d’autre garde
que sa mère.

Ceux qui étaient en tête balbutièrent et essayèrent de reculer.

- Entrez donc, messieurs, dit Laporte, puisque la reine le
permet.

Alors un plus hardi que les autres se hasardant dépassa le seuil
de la porte et s’avança sur la pointe du pied. Tous les autres
l’imitèrent, et la chambre s’emplit silencieusement, comme si tous
ces hommes eussent été les courtisans les plus humbles et les plus
dévoués. Bien au-delà de la porte on apercevait les têtes de ceux
qui, n’ayant pu entrer, se haussaient sur la pointe des pieds.
D’Artagnan voyait tout à travers une ouverture qu’il avait faite
au rideau; dans l’homme qui entra le premier il reconnut Planchet.

- Monsieur, lui dit la reine, qui comprit qu’il était le chef de
toute cette bande, vous avez désiré voir le roi et j’ai voulu le
montrer moi-même. Approchez, regardez-le et dites si nous avons
l’air de gens qui veulent s’échapper.

- Non certes, répondit Planchet un peu étonné de l’honneur
inattendu qu’il recevait.

- Vous direz donc à mes bons et fidèles Parisiens, reprit Anne
d’Autriche avec un sourire à l’expression duquel d’Artagnan ne se
trompa point, que vous avez vu le roi couché et dormant, ainsi que
la reine prête à se mettre au lit à son tour.

- Je le dirai, Madame, et ceux qui m’accompagnent le diront tous
ainsi que moi, mais...

- Mais quoi? demanda Anne d’Autriche.

- Que Votre Majesté me pardonne, dit Planchet, mais est-ce bien
le roi qui est couché dans ce lit?

Anne d’Autriche tressaillit.

- S’il y a quelqu’un parmi vous tous qui connaisse le roi, dit-
elle, qu’il s’approche et qu’il dise si c’est bien Sa Majesté qui
est là.

Un homme enveloppé d’un manteau, dont en se drapant il se cachait
le visage, s’approcha, se pencha sur le lit et regarda.

Un instant d’Artagnan crut que cet homme avait un mauvais dessein,
et il porta la main à son épée; mais dans le mouvement que fit en
se baissant l’homme au manteau, il découvrit une portion de son
visage, et d’Artagnan reconnut le coadjuteur.

- C’est bien le roi, dit cet homme en se relevant. Dieu bénisse
Sa Majesté!

- Oui, dit à demi-voix le chef, oui, Dieu bénisse Sa Majesté!

Et tous ces hommes, qui étaient entrés furieux, passant de la
colère à la pitié, bénirent à leur tour l’enfant royal.

- Maintenant, dit Planchet, remercions la reine, mes amis, et
retirons-nous.

Tous s’inclinèrent et sortirent peu à peu et sans bruit, comme ils
étaient entrés. Planchet, entré le premier, sortait le dernier.

La reine l’arrêta.

- Comment vous nommez-vous, mon ami? lui dit-elle.

Planchet se retourna fort étonné de la question.

- Oui, dit la reine, je me tiens tout aussi honorée de vous avoir
reçu ce soir que si vous étiez un prince, et je désire savoir
votre nom.

- Oui, pensa Planchet, pour me traiter comme un prince, merci!

D’Artagnan frémit que Planchet, séduit comme le corbeau de la
fable, ne dît son nom, et que la reine, sachant son nom, ne sût
que Planchet lui avait appartenu.

- Madame, répondit respectueusement Planchet, je m’appelle
Dulaurier pour vous servir.

- Merci, monsieur Dulaurier, dit la reine, et que faites-vous?

- Madame, je suis marchand drapier dans la rue des Bourdonnais.

- Voilà tout ce que je voulais savoir, dit la reine; bien
obligée, mon cher monsieur Dulaurier, vous entendrez parler de
moi.

- Allons, allons, murmura d’Artagnan en sortant de derrière son
rideau, décidément maître Planchet n’est point un sot, et l’on
voit bien qu’il a été élevé à bonne école.

Les différents acteurs de cette scène étrange restèrent un instant
en face les uns des autres sans dire une seule parole, la reine
debout près de la porte, d’Artagnan à moitié sorti de sa cachette,
le roi soulevé sur son coude et prêt à retomber sur son lit au
moindre bruit qui indiquerait le retour de toute cette multitude;
mais, au lieu de se rapprocher, le bruit s’éloigna de plus en plus
et finit par s’éteindre tout à fait.

La reine respira; d’Artagnan essuya son front humide; le roi se
laissa glisser en bas de son lit en disant:

- Partons.

En ce moment Laporte reparut.

- Eh bien? demanda la reine.

- Eh bien, Madame, répondit le valet de chambre, je les ai suivis
jusqu’aux grilles; ils ont annoncé à tous leurs camarades qu’ils
ont vu le roi et que la reine leur a parlé, de sorte qu’ils
s’éloignent tout fiers et tout glorieux.

- Oh! les misérables! murmura la reine, ils paieront cher leur
hardiesse, c’est moi qui le leur promets!

Puis, se retournant vers d’Artagnan:

- Monsieur, dit-elle, vous m’avez donné ce soir les meilleurs
conseils que j’aie reçus de ma vie. Continuez: que devons-nous
faire maintenant?

- Monsieur Laporte, dit d’Artagnan, achevez d’habiller Sa
Majesté.

- Nous pouvons partir alors? demanda la reine.

- Quand Votre Majesté voudra; elle n’a qu’à descendre par
l’escalier dérobé, elle me trouvera à la porte.

- Allez, monsieur, dit la reine, je vous suis.

D’Artagnan descendit, le carrosse était à son poste, le
mousquetaire se tenait sur le siège.

D’Artagnan prit le paquet qu’il avait chargé Bernouin de mettre
aux pieds du mousquetaire. C’était, on se le rappelle, le chapeau
et le manteau du cocher de M. de Gondy.

Il mit le manteau sur ses épaules et le chapeau sur sa tête.

Le mousquetaire descendit du siège.

- Monsieur, dit d’Artagnan, vous allez rendre la liberté à votre
compagnon qui garde le cocher. Vous monterez sur vos chevaux, vous
irez prendre, rue Tiquetonne, hôtel de _La Chevrette_, mon cheval
et celui de M. du Vallon, que vous sellerez et harnacherez en
guerre, puis vous sortirez de Paris en les conduisant en main, et
vous vous rendrez au Cours-la-Reine. Si au Cours-la-Reine vous ne
trouviez plus personne, vous pousseriez jusqu’à Saint-Germain.
Service du roi.

Le mousquetaire porta la main à son chapeau et s’éloigna pour
accomplir les ordres qu’il venait de recevoir.

D’Artagnan monta sur le siège.

Il avait une paire de pistolets à sa ceinture, un mousqueton sous
ses pieds, son épée nue derrière lui.

La reine parut; derrière elle venaient le roi et M. le duc
d’Anjou, son frère.

- Le carrosse de M. le coadjuteur! s’écria-t-elle en reculant
d’un pas.

- Oui, madame, dit d’Artagnan, mais montez hardiment; c’est moi
qui le conduis.

La reine poussa un cri de surprise et monta dans le carrosse. Le
roi et Monsieur montèrent après elle et s’assirent à ses côtés.

- Venez, Laporte, dit la reine.

- Comment, Madame! dit le valet de chambre, dans le même carrosse
que Vos Majestés?

- Il ne s’agit pas ce soir de l’étiquette royale, mais du salut
du roi. Montez, Laporte!

Laporte obéit.

- Fermez les mantelets, dit d’Artagnan.

- Mais cela n’inspirera-t-il pas de la défiance, monsieur?
demanda la reine.

- Que Votre Majesté soit tranquille, dit d’Artagnan, j’ai ma
réponse prête.

On ferma les mantelets et on partit au galop par la rue de
Richelieu. En arrivant à la porte, le chef du poste s’avança à la
tête d’une douzaine d’hommes et tenant une lanterne à la main.

D’Artagnan lui fit signe d’approcher.

- Reconnaissez-vous la voiture? dit-il au sergent.

- Non, répondit celui-ci.

- Regardez les armes.

Le sergent approcha sa lanterne du panneau.

- Ce sont celles de M. le coadjuteur! dit-il.

- Chut! il est en bonne fortune avec madame de Guéménée.

Le sergent se mit à rire.

- Ouvrez la porte, dit-il, je sais ce que c’est.

Puis, s’approchant du mantelet baissé:

- Bien du plaisir, Monseigneur! dit-il.

- Indiscret! cria d’Artagnan, vous me ferez chasser.

La barrière cria sur ses gonds; et d’Artagnan, voyant le chemin
ouvert, fouetta vigoureusement ses chevaux qui partirent au grand
trot.

Cinq minutes après on avait rejoint le carrosse du cardinal.

- Mousqueton, cria d’Artagnan, relevez les mantelets du carrosse
de Sa Majesté.

- C’est lui, dit Porthos.

- En cocher! s’écria Mazarin.

- Et avec le carrosse du coadjuteur! dit la reine.

- _Corpo di Dio!_ _monsou_ d’Artagnan, dit Mazarin, vous valez
votre pesant d’or!
Revenir en haut Aller en bas
 
Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LV. Le carrosse de M. le coadjuteur
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXXVI. La
» Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LIX. Le vengeur
» Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXI. Les gentilshommes
» Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) Conclusion.
» Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) L. L’émeute

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: