PLUME DE POÉSIES
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 Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXII. L’homme masqué

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Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXII. L’homme masqué Empty
MessageSujet: Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXII. L’homme masqué   Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXII. L’homme masqué Icon_minitimeLun 15 Avr - 18:40

LXXII. L’homme masqué

Quoiqu’il ne fût que quatre heures du soir, il faisait nuit close;
la neige tombait épaisse et glacée. Aramis rentra à son tour et
trouva Athos, sinon sans connaissance, du moins anéanti.

Aux premiers mots de son ami, le comte sortit de l’espèce de
léthargie où il était tombé.

- Eh bien! dit Aramis, vaincus par la fatalité.

- Vaincus! dit Athos. Noble et malheureux roi!

- Êtes-vous donc blessé? demanda Aramis.

- Non, ce sang est le sien.

Le comte s’essuya le front.

- Où étiez-vous donc?

- Où vous m’aviez laissé, sous l’échafaud.

- Et vous avez tout vu?

- Non, mais tout entendu; Dieu me garde d’une autre heure
pareille à celle que je viens de passer! N’ai-je point les cheveux
blancs?

- Alors vous savez que je ne l’ai point quitté?

- J’ai entendu votre voix jusqu’au dernier moment.

- Voici la plaque qu’il m’a donnée, dit Aramis, voici la croix
que j’ai retirée de sa main; il désirait qu’elles fussent remises
à la reine.

- Et voilà un mouchoir pour les envelopper, dit Athos.

Et il tira de sa poche le mouchoir qu’il avait trempé dans le sang
du roi.

- Maintenant, demanda Athos, qu’a-t-on fait de ce pauvre cadavre?

- Par ordre de Cromwell, les honneurs royaux lui seront rendus.
Nous avons placé le corps dans un cercueil de plomb; les médecins
s’occupent d’embaumer ces malheureux restes, et, leur oeuvre
finie, le roi sera déposé dans une chapelle ardente.

- Dérision! murmura sombrement Athos; les honneurs royaux à celui
qu’ils ont assassiné!

- Cela prouve, dit Aramis, que le roi meurt, mais que la royauté
ne meurt pas.

- Hélas! dit Athos, c’est peut-être le dernier roi chevalier
qu’aura eu le monde.

- Allons, ne vous désolez pas, comte, dit une grosse voix dans
l’escalier, où retentissaient les larges pas de Porthos, nous
sommes tous mortels, mes pauvres amis.

- Vous arrivez tard, mon cher Porthos, dit le comte de La Fère.

- Oui, dit Porthos, il y avait des gens sur ma route qui m’ont
retardé. Ils dansaient, les misérables! J’en ai pris un par le cou
et je crois l’avoir un peu étranglé. Juste en ce moment une
patrouille est venue. Heureusement, celui à qui j’avais eu
particulièrement affaire a été quelques minutes sans pouvoir
parler. J’ai profité de cela pour me jeter dans une petite rue.
Cette petite rue m’a conduit dans une autre plus petite encore.
Alors je me suis perdu. Je ne connais pas Londres, je ne sais pas
l’anglais, j’ai cru que je ne me retrouverais jamais; enfin me
voilà.

- Mais d’Artagnan, dit Aramis, ne l’avez-vous point vu et ne lui
serait-il rien arrivé?

- Nous avons été séparés par la foule, dit Porthos, et, quelques
efforts que j’aie faits, je n’ai pas pu le rejoindre.

- Oh! dit Athos avec amertume, je l’ai vu, moi; il était au
premier rang de la foule, admirablement placé pour ne rien perdre;
et comme, à tout prendre, le spectacle était curieux, il aura
voulu voir jusqu’au bout.

- Oh! comte de La Fère, dit une voix calme, quoique étouffée par
la précipitation de la course, est-ce bien vous qui calomniez les
absents?

Ce reproche atteignit Athos au coeur. Cependant, comme
l’impression que lui avait produite d’Artagnan aux premiers rangs
de ce peuple stupide et féroce était profonde, il se contenta de
répondre:

- Je ne vous calomnie pas, mon ami. On était inquiet de vous ici,
et j’ai dit où vous étiez. Vous ne connaissiez pas le roi Charles,
ce n’était qu’un étranger pour vous, et vous n’étiez pas forcé de
l’aimer.

Et en disant ces mots il tendit la main à son ami. Mais d’Artagnan
fit semblant de ne point voir le geste d’Athos et garda sa main
sous son manteau.

Athos laissa retomber lentement la sienne près de lui.

- Ouf! je suis las, dit d’Artagnan, et il s’assit.

- Buvez un verre de porto, dit Aramis en prenant une bouteille
sur une table et en remplissant un verre; buvez, cela vous
remettra.

- Oui, buvons, dit Athos, qui, sensible au mécontentement du
Gascon, voulait choquer son verre contre le sien, buvons et
quittons cet abominable pays. La felouque nous attend, vous le
savez; partons ce soir, nous n’avons plus rien à faire ici.

- Vous êtes bien pressé, monsieur le comte, dit d’Artagnan.

- Ce sol sanglant me brûle les pieds, dit Athos.

- La neige ne me fait pas cet effet, à moi, dit tranquillement le
Gascon.

- Mais que voulez-vous donc que nous fassions, dit Athos,
maintenant que le roi est mort?

- Ainsi, monsieur le comte, dit d’Artagnan avec négligence, vous
ne voyez point qu’il vous reste quelque chose à faire en
Angleterre?

- Rien, rien, dit Athos, qu’à douter de la bonté divine et à
mépriser mes propres forces.

- Eh bien! moi, dit d’Artagnan, moi chétif, moi badaud
sanguinaire, qui suis allé me placer à trente pas de l’échafaud
pour mieux voir tomber la tête de ce roi que je ne connaissais
pas, et qui, à ce qu’il paraît, m’était indifférent, je pense
autrement que monsieur le comte... je reste!

Athos pâlit extrêmement; chaque reproche de son ami vibrait
jusqu’au plus profond de son coeur.

- Ah! vous restez à Londres? dit Porthos à d’Artagnan.

- Oui, dit celui-ci. Et vous?

- Dame! dit Porthos un peu embarrassé vis-à-vis d’Athos et
d’Aramis, dame! si vous restez, comme je suis venu avec vous, je
ne m’en irai qu’avec vous; je ne vous laisserai pas seul dans cet
abominable pays.

- Merci, mon excellent ami. Alors j’ai une petite entreprise à
vous proposer, et que nous mettrons à exécution ensemble quand
monsieur le comte sera parti, et dont l’idée m’est venue pendant
que je regardais le spectacle que vous savez.

- Laquelle? dit Porthos.

- C’est de savoir quel est cet homme masqué qui s’est offert si
obligeamment pour couper le cou du roi.

- Un homme masqué! s’écria Athos, vous n’avez donc pas laissé
fuir le bourreau?

- Le bourreau? dit d’Artagnan, il est toujours dans la cave, où
je présume qu’il dit deux mots aux bouteilles de notre hôte. Mais
vous m’y faites penser...

Il alla à la porte.

- Mousqueton! dit-il.

- Monsieur? répondit une voix qui semblait sortir des profondeurs
de la terre.

- Lâchez votre prisonnier, dit d’Artagnan, tout est fini.

- Mais, dit Athos, quel est donc le misérable qui a porté la main
sur son roi?

- Un bourreau amateur, qui, du reste, manie la hache avec
facilité, car, ainsi qu’il l’_espérait_, dit Aramis, il ne lui a
fallu qu’un coup.

- N’avez-vous point vu son visage? demanda Athos.

- Il avait un masque, dit d’Artagnan.

- Mais vous qui étiez près de lui, Aramis?

- Je n’ai vu qu’une barbe grisonnante qui passait sous le masque.

- C’est donc un homme d’un certain âge? demanda Athos.

- Oh! dit d’Artagnan, cela ne signifie rien. Quand on met un
masque, on peut bien mettre une barbe.

- Je suis fâché de ne pas l’avoir suivi, dit Porthos.

- Eh bien! mon cher Porthos, dit d’Artagnan, voilà justement
l’idée qui m’est venue, à moi.

Athos comprit tout; il se leva.

- Pardonne-moi, d’Artagnan, dit-il; j’ai douté de Dieu, je
pouvais bien douter de toi. Pardonne-moi, ami.

- Nous verrons cela tout à l’heure, dit d’Artagnan avec un demi-
sourire.

- Eh bien? dit Aramis.

- Eh bien, reprit d’Artagnan, tandis que je regardais, non pas le
roi, comme le pense monsieur le comte, car je sais ce que c’est
qu’un homme qui va mourir, et, quoique je dusse être habitué à ces
sortes de choses, elles me font toujours mal, mais bien le
bourreau masqué, cette idée me vint, ainsi que je vous l’ai dit,
de savoir qui il était. Or, comme nous avons l’habitude de nous
compléter les uns par les autres, et de nous appeler à l’aide,
comme on appelle sa seconde main au secours de la première, je
regardai machinalement autour de moi pour voir si Porthos ne
serait pas là; car je vous avais reconnu près du roi, Aramis, et
vous, comte, je savais que vous deviez être sous l’échafaud. Ce
qui fait que je vous pardonne, ajouta-t-il en tendant la main à
Athos, car vous avez bien dû souffrir. Je regardais donc autour de
moi quand je vis à ma droite une tête qui avait été fendue, et
qui, tant bien que mal, s’était raccommodée avec du taffetas
noir.»Parbleu! me dis-je, il me semble que voilà une couture de ma
façon, et que j’ai recousu ce crâne-là quelque part.» En effet,
c’était ce malheureux Écossais, le frère de Parry, vous savez,
celui sur lequel Groslow s’est amusé à essayer ses forces, et qui
n’avait plus qu’une moitié de tête quand nous le rencontrâmes.

- Parfaitement, dit Porthos, l’homme aux poules noires.

- Vous l’avez dit, lui-même; il faisait des signes à un autre
homme qui se trouvait à ma gauche; je me retournai, et je reconnus
l’honnête Grimaud, tout occupé comme moi à dévorer des yeux mon
bourreau masqué.

«- Oh! lui fis-je. Or, comme cette syllabe est l’abréviation dont
se sert M. le comte les jours où il lui parle, Grimaud comprit que
c’était lui qu’on appelait, et se retourna comme mû par un
ressort; il me reconnut à son tour, alors, allongeant le doigt
vers l’homme masqué:

«- Hein? dit-il. Ce qui voulait dire: avez-vous vu?

«- Parbleu! répondis-je.

«Nous nous étions parfaitement compris.

«Je me retournai vers notre Écossais; celui-là aussi avait des
regards parlants.

«Bref, tout finit, vous savez comment, d’une façon fort lugubre.
Le peuple s’éloigna; peu à peu le soir venait; je m’étais retiré
dans un coin de la place avec Grimaud et l’Écossais, auquel
j’avais fait signe de demeurer avec nous, et je regardais de là le
bourreau, qui, rentré dans la chambre royale, changeait d’habit;
le sien était ensanglanté sans doute. Après quoi il mit un chapeau
noir sur sa tête, s’enveloppa d’un manteau et disparut. Je devinai
qu’il allait sortir et je courus en face de la porte. En effet,
cinq minutes après nous le vîmes descendre l’escalier.

- Vous l’avez suivi? s’écria Athos.

- Parbleu! dit d’Artagnan; mais ce n’est pas sans peine, allez! À
chaque instant il se retournait; alors nous étions obligés de nous
cacher ou de prendre des airs indifférents. J’aurais été à lui et
je l’aurais bien tué; mais je ne suis pas égoïste, moi, et c’était
un régal que je vous ménageais, à Aramis et à vous, Athos, pour
vous consoler un peu. Enfin, après une demi-heure de marche à
travers les rues les plus tortueuses de la Cité, il arriva à une
petite maison isolée, où pas un bruit, pas une lumière
n’annonçaient la présence de l’homme.

«Grimaud tira de ses larges chausses un pistolet.

«- Hein? dit-il en le montrant.

«- Non pas, lui dis-je. Et je lui arrêtai le bras.

«Je vous l’ai dit, j’avais mon idée.

«L’homme masqué s’arrêta devant une porte basse et tira une clef;
mais avant de la mettre dans la serrure, il se retourna pour voir
s’il n’avait pas été suivi. J’étais blotti derrière un arbre;
Grimaud derrière une borne; l’Écossais, qui n’avait rien pour se
cacher, se jeta à plat ventre sur le chemin.

«Sans doute celui que nous poursuivons se crut bien seul, car
j’entendis le grincement de la clef; la porte s’ouvrit et il
disparut.

- Le misérable! dit Aramis, pendant que vous êtes revenu, il aura
fui, et nous ne le retrouverons pas.

- Allons donc, Aramis, dit d’Artagnan, vous me prenez pour un
autre.

- Cependant, dit Athos, en votre absence...

- Eh bien, en mon absence, n’avais-je pas pour me remplacer
Grimaud et l’Écossais? Avant qu’il eût le temps de faire dix pas
dans l’intérieur j’avais fait le tour de la maison, moi. À l’une
des portes, celle par laquelle il était entré, j’ai mis notre
Écossais en lui faisant signe que si l’homme au masque noir
sortait, il fallait le suivre où il allait, tandis que Grimaud le
suivrait lui-même et reviendrait nous attendre où nous étions.
Enfin, j’ai mis Grimaud à la seconde issue, en lui faisant la même
recommandation, et me voilà. La bête est cernée; maintenant, qui
veut voir l’hallali?

Athos se précipita dans les bras de d’Artagnan, qui s’essuyait le
front.

- Ami, dit-il, en vérité vous avez été trop bon de me pardonner;
j’ai tort, cent fois tort, je devrais vous connaître pourtant;
mais il y a au fond de nous quelque chose de méchant qui doute
sans cesse.

- Hum! dit Porthos, est-ce que le bourreau ne serait point par
hasard M. Cromwell, qui pour être sûr que sa besogne fût bien
faite, aurait voulu la faire lui-même!

- Ah bien oui! M. Cromwell est gros et court, et celui-là mince,
élancé et plutôt grand que petit.

- Quelque soldat condamné auquel on aura offert sa grâce à ce
prix, dit Athos, comme on a fait pour le malheureux Chalais.

- Non, non, continua d’Artagnan, ce n’est point la marche mesurée
d’un fantassin; ce n’est point non plus le pas écarté d’un homme
de cheval. Il y a dans tout cela une jambe fine, une allure
distinguée. Ou je me trompe fort, ou nous avons affaire à un
gentilhomme.

- Un gentilhomme! s’écria Athos, impossible! ce serait un
déshonneur pour toute la seigneurie.

- Belle chasse! dit Porthos avec un rire qui fit trembler les
vitres; belle chasse, mordieu!

- Partez-vous toujours, Athos? demanda d’Artagnan.

- Non, je reste, répondit le gentilhomme avec un geste de menace
qui ne promettait rien de bon à celui à qui ce geste était
adressé.

- Alors, les épées! dit Aramis, les épées! et ne perdons pas un
instant.

Les quatre amis reprirent promptement leurs habits de
gentilshommes, ceignirent leurs épées, firent monter Mousqueton,
Blaisois, et leur ordonnèrent de régler la dépense avec l’hôte et
de tenir tout prêt pour leur départ, les probabilités étant que
l’on quitterait Londres la nuit même.

La nuit s’était assombrie encore, la neige continuait de tomber et
semblait un vaste linceul étendu sur la ville régicide; il était
sept heures du soir à peu près, à peine voyait-on quelques
passants dans les rues, chacun s’entretenait en famille et tout
bas des événements terribles de la journée.

Les quatre amis, enveloppés de leurs manteaux, traversèrent toutes
les places et les rues de la Cité, si fréquentées le jour, et si
désertes cette nuit-là. D’Artagnan les conduisait, essayant de
reconnaître de temps en temps des croix qu’il avait faites avec
son poignard sur les murailles; mais la nuit était si sombre que
les vestiges indicateurs avaient grand’peine à être reconnus.
Cependant d’Artagnan avait si bien incrusté dans sa tête chaque
borne, chaque fontaine, chaque enseigne, qu’au bout d’une demi-
heure de marche il parvint, avec ses trois compagnons, en vue de
la maison isolée.

D’Artagnan crut un instant que le frère de Parry avait disparu; il
se trompait: le robuste Écossais, accoutumé aux glaces de ses
montagnes, s’était étendu contre une borne, et comme une statue
abattue de sa base, insensible aux intempéries de la saison,
s’était laissé recouvrir de neige; mais à l’approche des quatre
hommes il se leva.

- Allons, dit Athos, voici encore un bon serviteur. Vrai Dieu!
les braves gens sont moins rares qu’on ne le croit; cela
encourage.

- Ne nous pressons pas de tresser des couronnes pour notre
Écossais, dit d’Artagnan; je crois que le drôle est ici pour son
propre compte. J’ai entendu dire que ces messieurs qui ont vu le
jour de l’autre côté de la Tweed sont fort rancuniers. Gare à
maître Groslow! il pourra bien passer un mauvais quart d’heure
s’il le rencontre.

En se détachant de ses amis il s’approcha de l’Écossais et se fit
reconnaître. Puis il fit signe aux autres de venir.

- Eh bien? dit Athos en anglais.

- Personne n’est sorti, répondit le frère de Parry.

- Bien, restez avec cet homme, Porthos, et vous aussi, Aramis.
D’Artagnan va me conduire à Grimaud.

Grimaud, non moins habile que l’Écossais, était collé contre un
saule creux dont il s’était fait une guérite. Un instant, comme il
l’avait craint pour l’autre sentinelle, d’Artagnan crut que
l’homme masqué était sorti et que Grimaud l’avait suivi.

Tout à coup une tête apparut et fit entendre un léger sifflement.

- Oh! dit Athos.

- Oui, répondit Grimaud.

Ils se rapprochèrent du saule.

- Eh bien, demanda d’Artagnan, quelqu’un est-il sorti?

- Non, mais quelqu’un est entré, dit Grimaud.

- Un homme ou une femme?

- Un homme.

- Ah! ah! dit d’Artagnan; ils sont deux, alors.

- Je voudrais qu’ils fussent quatre, dit Athos, au moins la
partie serait égale.

- Peut-être sont-ils quatre, dit d’Artagnan.

- Comment cela?

- D’autres hommes ne pouvaient-ils pas être dans cette maison
avant eux et les y attendre?

- On peut voir, dit Grimaud en montrant une fenêtre à travers les
contrevents de laquelle filtraient quelques rayons de lumière.

- C’est juste, dit d’Artagnan, appelons les autres.

Et ils tournèrent autour de la maison pour faire signe à Porthos
et à Aramis de venir.

Ceux-ci accoururent empressés.

- Avez-vous vu quelque chose? dirent-ils.

- Non, mais nous allons voir, répondit d’Artagnan en montrant
Grimaud, qui, en s’accrochant aux aspérités de la muraille, était
déjà parvenu à cinq ou six pieds de la terre.

Tous quatre se rapprochèrent. Grimaud continuait son ascension
avec l’adresse d’un chat; enfin il parvint à saisir un de ces
crochets qui servent à maintenir les contrevents quand ils sont
ouverts; en même temps son pied trouva une moulure qui parut lui
présenter un point d’appui suffisant, car il fit un signe qui
indiquait qu’il était arrivé à son but. Alors il approcha son oeil
de la fente du volet.

- Eh bien? demanda d’Artagnan.

Grimaud montra sa main fermée avec deux doigts ouverts seulement.

- Parle, dit Athos, on ne voit pas tes signes. Combien sont-ils?

Grimaud fit un effort sur lui-même.

- Deux, dit-il, l’un est en face de moi; l’autre me tourne le
dos.

- Bien. Et quel est celui qui est en face de toi?

- L’homme que j’ai vu passer.

- Le connais-tu?

- J’ai cru le reconnaître et je ne me trompais pas; gros et
court.

- Qui est-ce? demandèrent ensemble et à voix basse les quatre
amis.

- Le général Olivier Cromwell.

Les quatre amis se regardèrent.

- Et l’autre? demanda Athos.

- Maigre et élancé.

- C’est le bourreau, dirent à la fois d’Artagnan et Aramis.

- Je ne vois que son dos, reprit Grimaud; mais attendez, il fait
un mouvement, il se retourne; et s’il a déposé son masque, je
pourrai voir... Ah!

Grimaud, comme s’il eût été frappé au coeur, lâcha le crochet de
fer et se rejeta en arrière en poussant un gémissement sourd.
Porthos le retint dans ses bras.

- L’as-tu vu? dirent les quatre amis.

- Oui, dit Grimaud les cheveux hérissés et la sueur au front.

- L’homme maigre et élancé? dit d’Artagnan.

- Oui.

- Le bourreau, enfin? demanda Aramis.

- Oui.

- Et qui est-ce? dit Porthos.

- Lui! lui! balbutia Grimaud pâle comme un mort et saisissant de
ses mains tremblantes la main de son maître.

- Qui, lui? demanda Athos.

- Mordaunt! ... répondit Grimaud.

D’Artagnan, Porthos et Aramis poussèrent une exclamation de joie.

Athos fit un pas en arrière et passa la main sur son front:

- Fatalité! murmura-t-il.
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