La voix d'un exilé
À mes amis les Libéraux du Canada
Ô terre des aïeux! ô sol de la patrie!
Toi que mon coeur aimait avec idolâtrie,
Me faudra-t-il mourir sans pouvoir te venger!
Hélas! oui; pour l'exil, je pars, l'âme souffrante,
Et, giaour errant, je vais planter ma tente
Sous le soleil de l'étranger.
Quand, du haut du vaisseau qui m'emportait loin d'elles,
J'ai jeté mes regards sur tes rives si belles,
Ô mon beau Saint-Laurent, qu'ai-je aperçu, grand Dieu!
Toi, ma patrie, aux mains d'une bande sordide,
Haletante d'effroi, vierge pure et candide
Qu'on traîne dans un mauvais lieu.
J'ai vu ton vieux drapeau, sainte et noble oriflamme,
Déchiré par la balle et noirci par la flamme,
Encor tout imprégné du sang de nos héros,
Couvert des monceaux d'or qu'un ennemi leur compte,
Servir de tapis vert à des bandits sans honte,
Sur la table de leurs tripots.
Je les ai vus, ces gueux, - honte à l'espèce humaine! -
L'oeil plein d'hypocrisie et le coeur plein de haine,
Le parjure à la bouche et le verre à la main,
Erigeant l'infamie et le vol en science,
Pour vendre leur pays, troquer leur conscience
Contre un ignoble parchemin.
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Mandat, serment, devoir, honneur, vertu civique,
Rien n'est sacré pour eux; dans leur rage cynique,
Ils baîllonnent la loi pour mieux la violer...
Puis, à table, viveurs! ici, truffe et champagne!...
Grisez-vous bien, ô vous que le boulet du bagne
Devrait faire seul chanceler!
Ne laissez pas monter le rouge à votre joue:
La pudeur ne vaut rien; dans la fange et la boue
Risquez-vous hardiment fronts hauts, sans sourciller!
Accouplez-vous bien vite aux hontes de la rue...
Allons! depuis quand donc cette engeance repue
A-t-elle peur de se souiller?
Les traites! s'ils gardaient pour eux seuls leurs souillures!...
Mais ils ont souffleté nos gloires les plus pures;
Ils ont éclaboussé tous nos fronts immortels;
Aux croyances du peuple ils ont tendu des pièges,
Et dressé leurs tréteaux, histrions sacrilèges,
Jusques à l'ombre des autels.
Mais il manque à l'orgie un nouveau camarade:
Il faut à ces roués un roi de mascarade,
Un roi de la bamboche, un roi de carnaval!
Oui, je l'avoue, il manque une chose à la fête:
Le stigmate, il est vrai, décore bien la tête,
Mais pas comme un bandeau royal.
Eh bien! puisqu'il le faut, - pardonne, ô ma patrie! -
Dans les sales bourbiers de la truanderie
Plongez-vous pour trouver un roi digne de vous;
Un roi digne de vous, s'il s'appelle Cartouche,
S'il a le vice au coeur et le fiel à la bouche,
Et surtout s'il sort des égoûts!
Ô Papineau, Viger, patriotes sublimes!
Lorimier, Cardinal, Chénier, nobles victimes!
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Qu'êtes-vous devenus, héros cent fois bénis?
Vous qui, sur l'échafaud, portiez vos fronts sans tache?
Vous qui teigniez de sang les murs de Saint-Eustache?
Vous qui mouriez à Saint-Denis?
Que ces jours étaient beaux! Phalanges héroïques,
Ces soldats nés d'hier, ces orateurs stoïques,
Comme ils le portaient haut, l'étendard canadien!
Ceux-ci, puissants tribuns, faisaient les patriotes;
Ceux-là marchaient joyeux au devant des despotes,
Et mouraient en disant: C'est bien!
Ô toi qui survis seul à ces temps d'épopée,
Que ta grande âme encor si fortement trempée
Doit souffrir en voyant cet âge d'apostats!
Et tous ces coeurs d'acier qui dorment dans la tombe,
S'ils pouvaient voir aussi leur grande oeuvre qui tombe,
Comme ils vous maudiraient, ingrats!
Ils ne se vendaient pas, ceux-là! Leur âme sainte,
Fidèle à tout devoir, insensible à la crainte,
N'écoutait que la voix de nos droits outragés;
Flagellant sans pitié les tyrans et les traîtres,
Ils ne baisaient pas, eux, les souliers de nos maîtres...
Mon Dieu, que les temps sont changés!
Oui, les temps sont changés... Chaque chose a son heure.
Maintenant du passé la grande ombre qui pleure
Jette un regard amer vers le sombre avenir...
Avec elle pleurons la gloire qui se voile,
Ou plutôt de l'exil allons suivre l'étoile:
Partons pour ne plus revenir!
Trop faible pour dompter ce servilisme immonde;
Fuyons-en le contact; allons de par le monde
Chercher un coin de terre où l'honneur soit resté.
Il faut l'air à mon vol, l'espace à ma pensée,
De nouveaux horizons à mon âme oppressée: