À moi la sainte liberté!
Moderne Chanaan, ou nouvelle Ausonie,
Il est sous le soleil une terre bénie
Où fatigué, vaincu par la vague ou l'écueil,
Le naufragé revoit des rives parfumées
Où coeurs endoloris, nations opprimées
Trouvent un fraternel accueil.
Là, prenant pour guidon la bannière étoilée,
Et suivant dans son vol la république ailée,
Tous les peuples unis vont se donnant la main;
Là Washington jeta la semence féconde
Qui, principe puissant, fera du Nouveau-Monde,
Le vrai berceau du genre humain.
Là, point de rois ventrus! point de noblesses nées!
Par le mérite seul les têtes couronnées
Vers le progrès divin marchent à pas géants;
Là, libre comme l'air ou le pied des gazelles,
La fière indépendance étend ses grandes ailes
Au centre des deux océans.
Ô bords hospitaliers, ouvrez-moi votre asile!
Ah! pour trouver l'oubli de tout ce qui m'exile.
Que ne puis-je aussi boire aux ondes du Léthé!
Oublier!... mais comment oublier la patrie?
Comment ne pas pleurer notre splendeur flétrie,
Notre avenir au vent jeté?
Adieu, vallons ombreux, mes campagnes fleuries,
Mes montagnes d'azur et mes blondes prairies.
Mon fleuve harmonieux, mon beau ciel embaumé!
Dans les grandes cités, dans les bois, sur les grèves,
Ton image toujours flottera dans mes rêves,
O mon Canada bien-aimé!
Je n'écouterai plus, dans nos forêts profondes,
Dans nos prés verdoyants et sur nos grandes ondes,
Toutes ces voix sans nom qui font battre le coeur:
Mais je n'entendrai pas non plus, dans ma retraite,
Les accents avinés de la troupe en goguette
Qui se marchande notre honneur.
Et quand je dormirai sous la terre étrangère,
Jamais, je le sens bien, jamais une voix chère
Ne viendra, vers le soir, prier sur mon tombeau;
Mais je n'aurai pas vu, pour combler la mesure,
Du dernier de nos droits, cette race parjure
S'arracher le dernier lambeau!
Envoi
Amis, suivant la route où le destin m'entraîne,
Gladiateur vaincu, j'ai déserté l'arène,
La noble arène où vous luttez;
Avant la fin du jour, j'ai quitté la bataille;
Troubadour indolent, je n'étais pas de taille
A tenir ferme à vos côtés.
Mais vous qui restez seuls sur la brêche fumante,
N'allez pas, comme moi, céder à la tourmente,
Découragés par les revers.
Leurs soldats sont nombreux: ne comptez pas les vôtres!
Songez que Jésus-Christ n'avait que douze apôtres,
Et qu'ils ont conquis l'Univers!
Oui, voilà ce que peut l'idée ardente et forte.
Elle n'a pas besoin de puissante cohorte
Encor moins de canons rayés.
Champions de nos droits, guerriers de la pensée,
Oh! n'allez pas courber votre tête lassée
Devant ces renégats payés!
Le but est noble et grand: la lutte sera rude;
Mais bientôt, vous là-bas, moi dans ma solitude,
Nous verrons le jour du réveil;
La voix des opprimés s'élève grandissante...
Demain les nations, ô liberté puissante!
En pliant le genou salueront ton soleil!