Mes loisirs
à H ***
Préface
Chaque chose doit avoir son commencement : chaque
livre doit avoir une préface... ne serait-ce qu'un point
d'interrogation, (j'ai lu nombre de longues préfaces qui n'en
disaient pas davantage).
Aussi, tout auteur jeune ou vieux qui se présente, surtout
pour la première fois, devant le public, un livre à la main, ne
manque pas d'en décorer les premières pages par une jolie
préface, où il se donne le plus souvent force coups
d'encensoirs. C'est un tort, à mon idée. Un livre, quand il est
bon, se recommande de lui-même, et, s'il est mauvais, la plus
belle préface ne le rendra pas moins ennuyeux.
Aussi je me garderai de tomber dans ce que j'appelle un
travers, et quelques mots seulement me serviront
d'introduction à mes lecteurs, si toutefois j'en ai.
- Ce livre contient-il une idée?
C'est une question que l'on est en droit de me faire en
ouvrant les premières pages de ce recueil, et à laquelle je suis
forcé de répondre :
- Non!
J'ai écrit par pur délassement, par amour pour l'art, sans
jamais suivre d'autre règle que le caprice du moment, d'autre
voie que celle où me poussait mon imagination, d'autre étoile
que celle de l'inspiration qui naît des circonstances.
- Ce livre a-t-il un but?
- Peut-être!
D'abord, étant, je crois, la première publication de ce
genre dans notre jeune pays, ce volume, quoique bien
défectueux, sera toujours un pas de fait pour la littérature
canadienne; et ce pas, tout petit qu'il soit, est déjà une tâche
assez noble à remplir.
Puis, mon cher lecteur, et vous surtout, charmante
lectrice, si ces quelques vers, enfants de mes rêves et de mes
loisirs, peuvent faire passer plus vite quelques uns de ces
instants où vous n'avez rien de mieux à faire qu'à vous
ennuyer, j'aurai atteint un double but, et je n'aurai pas à
regretter mes heures de travail.
Québec, février 1863.
Le bon Dieu me dit: Chante!
Chante, pauvre petit!
BÉRANGER.