PLUME DE POÉSIES Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VII Mer 12 Juin - 8:46 | |
| Dans son livre Le Chercheur de Trésors, Philippe Aubert de Gaspé raconte le dernier exploit du fameux assassin, qui, réfugié à l'Islet, fut exécuté pour le meurtre d'un jeune colporteur que sa mauvaise étoile avait conduit dans le repaire du monstre. Mais revenons à mon village et à mes premières années. J'ai fait allusion, dans le chapitre précédent, aux premières chansons qui avec la complainte de Baptiste Lachapelle eurent le don d'éveiller mes premières rêveries ou de provoquer mes enthousiasmes d'enfant. Il ne s'agit pas ici de ces flouflous populaires des lou lou la, des ma dondaine, des falunons lurette, et des la ré fia de toutes sortes, qui enjolivaient les refrains naïfs des travailleurs de notre canton, sans autre mérite que celui d'être agréablement rythmés. Ces ritournelles vides de sens et de signification n'avaient que peu d'attrait pour moi. Leur cadence frappait mon oreille, mais ne m'allait ni au cerveau ni au coeur. Il me fallait quelque chose de mélancolique ou d'enlevant, qui, par la mélodie ou les paroles, fît vibrer en moi la corde attendrie, ou répondît à mes enthousiastes juvéniles instincts romanesques. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VII Mer 12 Juin - 8:46 | |
| Or les livres étaient rares dans nos parages, et ces chants chers à mes premières émotions n'arrivaient jusqu'à moi qu'en passant de bouche en bouche par la filière des traditions. Un ami éloigné, un passant de hasard, un oncle, une tante, nous apportaient quelquefois une chanson nouvelle, qu'un voyageur quelconque, le plus souvent quelque vieux prêtre français, avait laissée tomber dans une oreille avide et charmée. Un hiver, nous eûmes une grande joie: une cousine de mon père, une charmante jeune fille de Saint-Pascal, pensionnaire chez les Ursulines de Québec, était venue passer les vacances du jour de l'An dans ma famille, et nous avait apporté un recueil de romances chansonnier. La jeune fille chantait joliment; elle nous tint trois ou quatre jours dans la jubilation. Elle nous chantait quelquefois une romance, surtout, qui me jetait dans l'extase. C'était la romance sentimentale de Chateaubriand, qui commence par ces deux vers: |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VII Mer 12 Juin - 8:46 | |
| Combien j 'ai douce souvenance Du joli lieu de ma naissance...
Ces strophes naïves, auxquelles s'adaptait une mélodie toute gracieuse dans sa simplicité, répondaient d'une façon étrange aux vagues rêveries, aux aspirations confuses, aux inconscientes nostalgies de l'inconnu qui hantaient ma cervelle d'enfant. L'horizon qui avait caressé mes premiers regards était admirablement fait pour parler à l'âme d'un futur poète. D'un côté, le beau fleuve déroulant sa nappe lumineuse jusqu'à perte de vue, en reflétant les dômes, les clochers, les bastions de Québec, avec les couronnements et les hauts plateaux boisés de la rive nord, et la forêt de mâts où s'estompaient ses sinuosités lointaines. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VII Mer 12 Juin - 8:46 | |
| En outre des vastes trains de bois aux allures si pittoresques dont j'ai déjà parlé, il y avait les beaux navires à l'ancre disséminés çà et là en plein chenal, avec leurs voiles carguées ou pendantes, endormis au fil de l'eau, comme pour se reposer de leurs longues courses à travers les mers. Il y avait aussi les chaloupes sveltes et rapides, rentrant du large, et dont les longues rames soulevées et rabattues en cadence, semblaient les vastes ailes d'oiseaux fantastiques essayant les derniers efforts de leur essor fatigué. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VII Mer 12 Juin - 8:46 | |
| Tout cela constituait pour mon imagination toute neuve un monde féerique et mystérieux qui me connaissait, que j'aimais, et avec lequel j'étais constamment en communion d'impressions et de sentiments. Et quand m'arrivaient du lointain les lambeaux d'une chanson marine, c'était pour moi l'âme des choses qui m'envoyait son salut doux et sympathique sur l'aile caressante des brises. Le spectacle se complétait à ravir par le tableau si différent que j'avais derrière moi: cette haute falaise à pic, avec son manteau d'un vert sombre, ses pointes de roc en surplomb et ses anfractuosités ténébreuses, faisait un vis-à-vis merveilleux au splendide décor qui se déployait en face. Je l'ai dit précédemment, cette falaise se couronnait d'une rangée de grands pins d'un admirable effet sur cette hauteur. Ces arbres géants étaient pour moi des êtres animés, avec chacun son caractère spécial, comme leur physionomie particulière. A mes yeux, leurs différentes poses, leurs silhouettes aussi étranges que variées indiquaient leur nature respective en ce qu'elle pouvait avoir de plus ou moins en harmonie avec ma propre personnalité. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VII Mer 12 Juin - 8:46 | |
| Les uns avaient l'air de m'accueillir la main tendue dans un geste amical; d'autres étaient moins sympathiques et paraissaient me tourner le dos d'un air rébarbatif; celui-ci se penchait en avant comme pour ébaucher un pas de danse; celui-là levait lamentablement ses bras éperdus vers le ciel dans une attitude éplorée. Je les connaissais tous; je m'entretenais avec eux; quand, dans les belles journées limpides, le bruit des fléaux venant des granges lointaines flottait mystérieusement dans les échos, je m'imaginais entendre la voix des grands pins qui me répondait; et quand le vent balançait leurs longues branches éparses dans le vide, il me semblait qu'ils me berçaient dans leurs bras en murmurant de douces cantilènes pour m'endormir. Ces impressions étaient tellement vives chez moi que, de longues années plus tard, je ne pus revoir les vieux amis de mes premiers rêves sans éprouver comme un serrement de coeur en les retrouvant modifiés, transformés et décimés par les coups d'ailes du temps et des tourmentes. Or, tout ce que cet entourage éveillait chez moi de mystérieuses sensations, je le retrouvais évoqué dans les naïfs couplets de la vieille romance de Chateaubriand. Toutes ces impressions fugitives dont j'avais peine à me rendre compte moi-même, je les reconnaissais là, traduites vaguement, mais dans un langage dont il me semble avoir toujours eu l'intuition. Quand j'entendais la jolie cousine chanter: |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VII Mer 12 Juin - 8:46 | |
| Te souviens-tu du lac tranquille Qu 'effleurait l'hirondelle agile, Du vent qui courbait le roseau Mobile, Et du soleil couchant sur l'eau Si beau?
Je revoyais le beau fleuve s'enflammer au soleil couchant, irisant la blancheur des voiles et des tentes, et découpant sur un fond d'or radieux les envolées des longues rames paresseuses. Le « château que baignait la Dore », c'étaient les bastions de Québec se mirant dans l'eau, du haut de leurs contreforts géants.
Cette « tant belle tour du Maure », Dont l'airain sonnait le retour
Du jour, |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VII Mer 12 Juin - 8:47 | |
| c'était la tour Martello des plaines d'Abraham découpant, droit en face de nous, sur l'azur du ciel, ses rondeurs rosées par les lueurs du matin. Enfin, dans « la Montagne et le grand chêne », je reconnaissais le profil familier de ma haute falaise, avec mes amis les vieux pins. Et ainsi de suite. Ce qu'elle m'a fait rêver cette romance! Oh! la folle du logis, elle a un peu commandé chez moi toute ma vie; mais c'est à l'époque dont je parle, surtout, qu'elle en faisait des siennes! Elle inquiéta un jour mon père sérieusement. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VII Mer 12 Juin - 8:47 | |
| L'aimable cousine, à qui nous devions déjà l'avantage de posséder un chansonnier, nous avait apporté en même temps un autre volume, les Lettres de Gilbert à sa soeur, dans lequel elle d'abord et plus tard ma mère nous faisaient de longues lectures à la veillée. Il va sans dire que je n'y voyais que du feu: comment aurait-il pu en être autrement chez un enfant de cinq ans au plus? Cependant, ces pages pleines de sensibilité mélancolique, qui parlaient de gloire, de poésie, d'illusions et de larmes produisaient un étrange effet sur mon imagination toujours surexcitée. Je ne comprenais à peu près rien à ces choses; et cependant elles me faisaient éprouver je ne sais quel attrait pour cette âme souffrante qui s'appelait et se faisait appeler un poète. Un jour, mon père il me semble le voir encore devant son miroir, en frais de se raser nous demanda, à mon frère et à moi, quelles professions nous avions l'intention d'embrasser quand nous serions grands. - Moi, répondit mon frère, qui n'aimait rien tant qu'un cheval et un fouet, je veux être charretier.
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VII Mer 12 Juin - 8:47 | |
| -Et moi, je veux être poète, ajoutai-je. La réponse d'Edmond avait fait faire une grimace à mon père; la mienne faillit lui faire faire une boutonnière à la joue avec son rasoir. -Sais-tu seulement ce que c'est qu'un poète? me demanda-t-il. Et, comme j'hésitais pour cause d'ignorance bien naturelle, il ajouta: -C'est un homme qui fait des chansons, petit fou. -Eh bien, je ferai des chansons, dis-je sans me décourager. -Oui ? alors tu peux te résigner à mourir à l'hôpital, mon garçon. Depuis l'aventure de ce malheureux Gilbert, c'était de rigueur, tous les poètes devaient mourir à l'hôpital. Le pauvre diable avait avalé la clef de sa malle, c'était bien là une preuve irrécusable que les poètes étaient incapables de rien de bon. À cette déclaration inattendue de la part des deux espoirs de ses vieux jours, le pauvre père eut un sourire de pitié et nous regarda longuement et tristement. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VII Mer 12 Juin - 8:47 | |
| -Mes enfants, nous dit-il, après un instant de silence et sur un ton grave, vous choisissez là deux métiers qui ne vous feront pas millionnaires. Plus tard j'ai compris la sage réflexion de mon père; mais on ne fait pas sa destinée, on la subit. J'ai tenté en vain d'autres carrières: j'ai été terrassier, imprimeur, journaliste, secrétaire d'administration, sculpteur, avocat, homme politique et fonctionnaire public; il m'a fallu de guerre lasse retourner au rêve de mon enfance.
Chassez le naturel, il revient au galop. |
| | | | Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre VII | |
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