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| Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIII | |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIII Mer 12 Juin 2013 - 9:13 | |
| Rappel du premier message :
Chapitre XIII
Dans un chapitre précédent, j'ai parlé du système très simple, mais non moins efficace que le nommé Hamel avait de nous enseigner l'orthographe. Le système du père Gagné différait radicalement de celui de son confrère, bien qu'étant d'une égale simplicité prenez le mot dans le sens que vous voudrez. Vous allez voir tout d'abord que, si ce n'étaient pas ses connaissances encyclopédiques qui lui avaient valu le surnom de Papineau, il savait au moins que, pour bien faire une chose, la meilleure manière est de commencer par le commencement. Il avait si bien commencé par le commencement, le bonhomme, que le champ de nos études s'était limité jusque- là aux notions de lecture les plus élémentaires. La leçon se donnait comme ceci: nous nous placions devant le maître en rang d'oignons; à l'un des bouts c'était la tête; à l'autre c'était la queue. A cette dernière on arrivait assez facilement, il ne s'agissait que de se laisser descendre. N'atteignait pas l'autre extrémité qui voulait, par exemple. Et quand on y était, l'important était de s'y cramponner. Pour cela il fallait lire avec aplomb, sans broncher, et même sans sourciller. A la moindre hésitation, vous étiez guetté, et si quelqu'un lâchait le mot avant vous, fût-il à la queue, il passait à la tête, et vous descendiez d'un cran. J'ajouterai que les pauses et les repos indiqués par la ponctuation étaient sacrés; si vous passiez une virgule, vous perdiez votre place au profit du voisin. |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIII Mer 12 Juin 2013 - 9:15 | |
| J'ai vu l'impie heureux, Le jeune voluptueux, Se plonger dans les douceurs QU'OFFRENT les mondains séducteurs! - Êtes-vous satisfaite? Quand j'enseigne quelque chose, madame, c'est que je le sais apertement. Trois mois après, j'eus la douleur de perdre un si bon professeur. Il était allé prendre la direction d'une école modèle! J'ai raconté précédemment comment j'avais appris l'orthographe: il me prend envie de raconter aujourd'hui comment j'ai appris l'anglais. Nos plus près voisins je l'ai dit étaient une famille anglaise du nom de Houghton. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIII Mer 12 Juin 2013 - 9:15 | |
| Pour ne parler que des enfants, cette famille se composait de deux garçons Bonnie et Dozzie et d'une fillette; mais laissons celle-ci de côté: je n'étais pas à l'âge où l'intéressante portion de l'humanité qu'on appelle le beau sexe pouvait avoir quelque intérêt pour moi. Au contraire, j'étais plutôt disposé à regarder avec pitié ces petits êtres fragiles et sans haleine, condamnés à porter des jupons ce qui les rendait impropres à toutes sortes d'exercices, et en particulier à grimper dans les arbres, à faire la culbute, ou à planter le chêne ou le poireau. Les deux garçons faisaient, avec mon frère Edmond et moi, un quatuor assez bien assorti, l'aîné étant précisément de mon âge, et le cadet, de l'âge de mon frère. Il était donc tout naturel que nous fussions très liés; et, en dépit de mes préjugés contre les Anglais, et des nombreux conflits que le nom de Papineau soulevait entre nous, nous formions deux paires d'amis d'autant plus assidus dans nos relations, que celles-ci étaient encouragées par nos parents respectifs, De son côté, mon père se disait: |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIII Mer 12 Juin 2013 - 9:15 | |
| « En jouant toujours avec les petits Houghton, les enfants ne peuvent manquer d'apprendre l'anglais, et c'est dans la première enfance que la langue se forme le mieux à l'accent », Or, du sien, M. Houghton faisait cette réflexion: « En jouant sans cesse avec les petits Fréchette, Bonnie et Dozzie vont infailliblement apprendre le français, et l'apprenant ainsi dès l'enfance, ils le parleront toujours avec un excellent accent », En sorte que mon père nous répétait souvent: -Jouez avec les Houghton, ce sont des petits messieurs, et vous apprendrez l'anglais. Tandis que M. Houghton disait aux siens: -Jouez avec les petits Fréchette, ils sont bien élevés, et vous apprendrez le français. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIII Mer 12 Juin 2013 - 9:15 | |
| Nous nous en donnions à coeur joie, bien entendu: à la toupie, à la chèvre, à la marelle, à la main-chaude, au cerf- volant, au cheval-fondu, à cache-cache, aux billes, au boute- hors, à frappe-main, à traîne-savatte, à barlurette, etc. Mon père, qui nous entendait parler souvent de tag, de high-spy, de jack-in-the-hay, de puss-in-the-corner, de hoppy-go-kicky, s'applaudissait et nous applaudissait. -Très bien, mes enfants, nous disait-il, je vois que vous apprenez quelque chose. Parlez-vous toujours anglais quand vous jouez ensemble? -Toujours, papa. -Parfait, mes enfants, continuez. -Eh bien, disait M. Houghton de son côté, ça marche-t-il le français? -Oh! yes, papa. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIII Mer 12 Juin 2013 - 9:15 | |
| -Vous parlez toujours français ensemble, j'espère? -Oh! yes, father! -All right, boys, continue! On remarquera sans doute un léger écart de concordance entre ces deux affirmations si positives. Pourtant, ni les uns ni les autres ne mentaient. En disant que nous parlions toujours anglais, mon frère et moi étions de la meilleure foi du monde; et nos petits amis étaient aussi sincères en disant qu'ils parlaient français. Comment cela, s'il vous plaît? Voici tout le mystère. Nous avions, sans le savoir, à nous quatre inventé un volapük, une espèce de jargon que nos deux amis croyaient être du français, et que de notre côté, nous croyions être de l'anglais pur sang. Ce jargon se composait de quelques expressions empruntées aux deux langues, les mots anglais se prononçant avec l'accent français et les mots français se baragouinant à l'anglaise. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIII Mer 12 Juin 2013 - 9:16 | |
| Notre canton étant presque exclusivement français, nos voisins étaient plus familiers avec notre langue que nous avec la leur; il s'ensuivait que le français avait le dessus dans cet amalgame hybride. Quelques légères variantes par-ci par-là et tout était dit. Très simples, les variantes. Ainsi, comme la négation non se traduit par no en anglais, les adjectifs possessifs mon, ton, son devenaient mo, to, so, naturellement. De sorte que, en y ajoutant l'accent anglais, «mon père », « ton frère », se prononçaient mo perr, to frerr. Et quand Bonnie ou Dozzie disait, en confondant les genres comme c'est le devoir de tout bon Anglais: -Mo perr elle être plous tall que to sienne, nous répondions avec le même accent et la même grammaire: -To merr il être plous small que c'ty-là de moâ. Et nous croyions sincèrement parler anglais. J'étais tout fier pour ma part de gazouiller si couramment une langue que tout le monde s'accordait à considérer comme très difficile à apprendre et surtout à prononcer. Et, chose qui frappait singulièrement mon amour-propre, cela m'était venu sans le moindre effort de mémoire. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIII Mer 12 Juin 2013 - 9:16 | |
| -Ce n'est pas malaisé du tout, maman, je t'assure, répétais-je souvent, il n'y a qu'à s'y mettre. L'affaire ne pouvait pas marcher sur ce train-là bien longtemps, comme on peut s'en douter. Une si belle invention ne pouvait pas toujours rester dans l'ombre. La lumière n'est pas faite pour luire sous le boisseau. Voici dans quelle circonstance nos talents de linguistes éclatèrent au grand jour. Un beau matin, en présence de papa, mon frère me dit: -Veux-tu me prêter ta toupie? -Prends-la si tu veux, lui répondis-je. -Dites donc, mes enfants, intervint mon père, répétez donc cela en anglais, êtes-vous capable? Peuh!... Si nous étions capables! -C'est toi prête to top à moâ? dit Edmond avec assurance. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIII Mer 12 Juin 2013 - 9:16 | |
| Et moi de répondre aussi imperturbablement: -Take-lé si toi veule! Mon père crut que nous plaisantions, d'abord; mais après un sérieux interrogatoire, au cours duquel nous eûmes à exhiber notre savoir à fond, il lui fallut bien se rendre à l'évidence. Suivant l'expression de Brunetière, notre science faisait banqueroute. Nous n'étions pas plus forts en anglais qu'en orthographe, hélas! Ma vanité se changeait en humiliation, et la satisfaction de mon père en découragement. |
| | | | Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIII | |
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