Les lilas (ou le mois de mai)
À Mademoiselle Alexandrine Pouliot.
Ô ville bégueule et bourrue,
Ce soir, je ne te trouve pas
Laide, avec tes jardins sur rue...
C'est le temps des lilas.
Ce soir, l'on dirait qu'une fée,
Toute jeune, change en éclats
De rire ta plainte étouffée...
C'est le temps des lilas.
L'air est doux; point de vitres closes!
Les blancs vieillards mêmes sont las
De rêver seuls. Partout l'on cause...
C'est le temps des lilas.
De musique le vent palpite.
Qui donc, qui donc chante là-bas
Faust, ton mensonge à Marguerite?
C'est le temps des lilas.
« Ô printemps gai dompteur de l'âme! »...
Qui n'a fait, depuis Ménélas
Sur ce thème un épithalame?
C'est le temps des lilas.
Ma voisine est à sa fenêtre.
Qu'entends-je? elle soupire: hélas!
Quelque folle peine peut-être.
C'est le temps des lilas.
Sous sa noire tresse elle est belle,
Enfant aux contours délicats.
Elle soupirait; aime-t-elle?
C'est le temps des lilas.
Je la vois, la tête baissée,
Avec son éventail au bras
Comme une grande aile blessée.
C'est le temps des lilas.
Toi qui ris à travers la branche.
Ô Lune, fuis, ne trahis pas
Les premiers pleurs d'une âme blanche...
C'est le temps des lilas.