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 Joachim Du Bellay (1522-1560) Livre Deuxième. Chapitre V

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James
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Joachim Du Bellay (1522-1560)  Livre Deuxième. Chapitre V Empty
MessageSujet: Joachim Du Bellay (1522-1560) Livre Deuxième. Chapitre V   Joachim Du Bellay (1522-1560)  Livre Deuxième. Chapitre V Icon_minitimeDim 16 Déc - 13:18

Chapitre V. Du long poème français.
Donc, ô toi qui, doué d'une excellente félicité de nature, instruit de tous bons
arts et sciences, principalement naturelles et mathématiques, versé en tous
genres de bons auteurs grecs et latins, non ignorant des parties et offices de
la vie humaine, non de trop haute condition, ou appelé au régime public, non
aussi abject et pauvre, non troublé d'affaires domestiques, mais en repos et
tranquillité d'esprit, acquise premièrement par la magnanimité de ton courage,
puis entretenue par ta prudence et sage gouvernement; ô toi, dis-je, orné de
tant de grâces et perfections, si tu as quelquefois pitié de ton pauvre langage,
si tu daignes l'enrichir de tes trésors, ce sera toi véritablement qui lui feras
hausser la tête, et d'un brave sourcil s'égaler aux superbes langues grecque et
latine, comme a fait de notre temps en son vulgaire un Arioste italien, que
j'oserais (n'était la sainteté des vieux poèmes) comparer à un Homère et
Virgile. Comme lui donc, qui a bien voulu emprunter de notre langue les noms et
l'histoire de son poème, choisis-moi quelqu'un de ces beaux vieux romans
français comme un Lancelot, un Tristan, ou autres; et en fais renaître au monde
une admirable Iliade et laborieuse Énéide. Je veux bien en passant dire un mot à
ceux qui ne s'emploient qu'à orner et amplifier nos romans, et en font des
livres certainement en beau et fluide langage, mais beaucoup plus propre à bien
entretenir damoiselles, qu'à doctement écrire; je voudrais bien (dis-je) les
avertir d'employer cette grande éloquence à recueillir ces fragments de vieilles
chroniques françaises, et comme a fait Tite-Live des annales et autres anciennes
chroniques romaines, en bâtir le corps entier d'une belle histoire, y
entremêlant à propos ces belles concions et harangues, à l'imitation de celui
que je viens de nommer, de Thucydide, Salluste, ou quelque autre bien approuvé,
selon le genre d'écrire où ils se sentiraient propres. Telle oeuvre certainement
serait à leur immortelle gloire, honneur de la France et grande illustration de
notre langue. Pour reprendre le propos que j'avais laissé; quelqu'un (peut-être)
trouvera étrange que je requiers une si exacte perfection en celui qui voudra
faire un long poème, vu aussi qu'à peine se trouveraient, encore qu'ils fussent
instruits de toutes ces choses, qui voulussent entreprendre une oeuvre de si
laborieuse longueur, et quasi de la vie d'un homme. Il semblera à quelque autre,
que voulant bailler les moyens d'enrichir notre langue, je fasse le contraire,
d'autant que je retarde plutôt, et refroidis l'étude de ceux qui étaient bien
affectionnés à leur vulgaire, que je ne les incite, parce que, débilités par
désespoir, ne voudront point essayer ce à quoi ne s'entendront de pouvoir
parvenir. Mais c'est chose convenable que toutes choses soient expérimentées de
tous ceux qui désirent atteindre à quelque haut point d'excellence et gloire non
vulgaire. Que si quelqu'un n'a du tout cette grande vigueur d'esprit, cette
parfaite intelligence des disciplines, et toutes ces autres commodités que j'ai
nommées, tienne pourtant le cours tel qu'il pourra. Car c'est chose honnête à
celui qui aspire au premier rang demeurer au second, voire au troisième. Non
Homère seul entre les Grecs, non Virgile entre les Latins, ont acquis los et
réputation. Mais telle a été la louange de beaucoup d'autres, chacun en son
genre, que pour admirer les choses hautes, on ne laissait pourtant de louer les
inférieures. Certainement si nous avions des Mécènes et des Augustes, les cieux
et la nature ne sont point si ennemis de notre siècle, que n'eussions encore des
Virgiles. L'honneur nourrit les arts, nous sommes tous par la gloire enflammés à
l'étude des sciences, et ne s'élèvent jamais les choses qu'on voit être
déprisées de tous. Les rois et les princes devraient (ce me semble) avoir
mémoire de ce grand empereur, qui voulait plutôt la vénérable puissance des lois
être rompue, que les oeuvres de Virgile, condamnées au feu par le testament de
l'auteur, fussent brûlées. Que dirai-je de cet autre grand monarque, qui
désirait plus le renaître d'Homère que le gain d'une grosse bataille? et
quelquefois étant près du tombeau d'Achille, s'écria hautement; O bienheureux
adolescent, qui as trouvé un tel buccinateur de tes louanges! età la vérité,
sans la divine muse d'Homère, le même tombeau qui couvrait le corps d'Achille
eût aussi accablé son renom. Ce qui advient à tous ceux qui mettent l'assurance
de leur immortalité au marbre, au cuivre, aux colosses, aux pyramides, aux
laborieux édifices, et aux autres choses non moins subjectes aux injures du ciel
et du temps, de la flamme et du fer, que de frais excessifs et perpétuelle
sollicitude. Les alléchements de Vénus, la gueule et les ocieuses plumes ont
chassé d'entre les hommes tout désir de l'immortalité; mais encore est-ce chose
plus indigne que ceux, qui d'ignorance et toutes espèces de vices font leur plus
grande gloire, se moquent de ceux qui en ce tant louable labeur poétique,
employent les heures que les autres consument aux jeux, aux bains, aux banquets,
et autres tels menus plaisirs. Or néanmoins quelque infélicité de siècle, où
nous soyons, toi, à qui les dieux et les Muses auront été si favorables, comme
j'ai dit, bien que tu sois dépourvu de la faveur des hommes, ne laisse pourtant
à entreprendre une oeuvre digne de toi, mais non dû à ceux, qui tout ainsi
qu'ils ne font choses louables, aussi ne font-ils cas d'être loués; espère le
fruit de ton labeur de l'incorruptible et non envieuse postérité; c'est la
gloire, seule échelle par les degrés de laquelle les mortels d'un pied léger
montent au ciel et se font compagnons des dieux.


_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James

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