PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Joachim Du Bellay (1522-1560) Livre Deuxième. Chapitre XI

Aller en bas 
AuteurMessage
James
FONDATEUR ADMINISTRATEUR
FONDATEUR ADMINISTRATEUR
James


Masculin
Dragon
Nombre de messages : 149133
Age : 59
Localisation : Mon Ailleurs c'est Charleville-Mézières
Date d'inscription : 04/09/2007

Joachim Du Bellay (1522-1560)  Livre Deuxième. Chapitre XI Empty
MessageSujet: Joachim Du Bellay (1522-1560) Livre Deuxième. Chapitre XI   Joachim Du Bellay (1522-1560)  Livre Deuxième. Chapitre XI Icon_minitimeDim 16 Déc - 13:21

Chapitre XI. De quelques observations outre l'artifice, avec une invective
contre les mauvais poètes français.
Je ne demeurerai longuement en ce qui s'ensuit, pour ce que notre poète, tel que
je le veux, le pourra assez entendre par son bon jugement, sans aucunes
traditions de règles. Du temps donc et du lieu qu'il faut élire pour la
cogitation, je ne lui en baillerai autres préceptes, que ceux que son plaisir et
sa disposition lui ordonneront. Les uns aiment les fraîches ombres des forêts,
les clairs ruisselets doucement murmurant parmi les prés ornés et tapissés de
verdure. Les autres se délectent du secret des chambres et doctes études. Il
faut s'accommoder à la saison et au lieu. Bien te veux-je avertir de chercher la
solitude et le silence ami des Muses, qui aussi (afin que ne laisses passer
cette fureur divine qui quelquefois agite et échauffe les esprits poétiques, et
sans laquelle ne faut point que nul espère faire chose qui dure) n'ouvrent
jamais la porte de leur sacré cabinet, sinon à ceux qui heurtent rudement. Je ne
veux oublier l'émendation,partie certes la plus utile de nos études. L'office
d'elle est d'ajouter, ôter ou muer à loisir ce que cette première impétuosité et
ardeur d'écrire n'avait permis de faire. Pourtant est-il nécessaire afin que nos
écrits, comme enfants nouveau-nés, ne nous flattent, les remettre à part, les
revoir souvent, et en la manière des ours, à force de lécher, leur donner forme
et façon de membres, non imitant ces importuns versificateurs nommés des Grecs
monsopatagoi, qui rompent à toutes heures les oreilles des misérables auditeurs
par leurs nouveaux poèmes. Il ne faut pourtant y être trop superstitieux, ou
(comme les éléphants leurs petits) être dix ans à enfanter ses vers. Sur tout
nous convient avoir quelque savant et fidèle compagnon, ou un ami bien familier,
voire trois ou quatre, qui veuillent et puissent connaître, nos fautes, et ne
craignent point blesser notre papier avec les ongles. Encore te veux-je avertir
de hanter quelquefois, non seulement les savants, mais aussi toutes sortes
d'ouvriers et gens mécaniques comme mariniers, fondeurs, peintres, engraveurs et
autres, savoir leurs inventions, les noms des matières, des outils, et les
termes usités en leurs arts et métiers, pour tirer de là ces belles comparaisons
et vives descriptions de toutes choses. Vous semble-t-il point, messieurs, qui
êtes si ennemis de votre langue, que notre poète ainsi armé puisse sortir à la
campagne et se montrer sur les rangs, avec les braves escadrons grecs et
romains? et vous autres si mal équipés, dont l'ignorance a donné le ridicule nom
de rimeurs à notre langue (comme les Latins appellent leurs mauvais poètes
versificateurs), oserez-vous bien endurer le soleil, la poudre et le dangereux
labeur de ce combat? Je suis d'opinion que vous vous retiriez au bagage avec les
pages et laquais, ou bien (car j'ai pitié de vous) sous les frais ombrages, aux
somptueux palais des grands seigneur et cours magnifiques des princes, entre les
dames et damoiselles où vos beaux et mignons écrits, non de plus longue durée
que votre vie, seront reçus, admirés et adorés, non point aux doctes études et
riches bibliothèques des savants. Que plût aux Muses, pour le bien que je veux à
notre langue, que vos ineptes oeuvres fussent bannis, non seulement de là (comme
ils sont) mais de toute la France. Je voudrais bien qu'à l'exemple de ce grand
monarque, qui défendit que nul n'entreprît de le tirer en tableau, sinon Apelle,
ou en statue, sinon Lysippe, tous rois et princes amateurs de leur langue
défendissent, par édit exprès, à leurs subjects de non mettre en lumière oeuvre
aucun, et aux imprimeurs de non l'imprimer, si, premièrement, il n'avait enduré
la lime de quelque savant homme, aussi peu adulateur qu'était ce Quintilie, dont
parle Horace en son Art poétique; où, et en infinis autres endroits dudit
Horace, on peut voir les vices des poètes modernes exprimés si au vif, qu'il
semble avoir écrit, non du temps d'Auguste, mais de François et de Henry. Les
médecins (dit-il) promettent ce qui appartient aux médecins; les feuvres
traitent ce qui appartient aux feuvres; mais nous écrivons ordinairement des
poèmes autant les indoctes comme les doctes. Voilà pourquoi ne se faut
émerveiller si beaucoup de savants ne daignent aujourd'hui écrire en notre
langue, et si les étrangers ne la prisent comme nous faisons les leurs, d'autant
qu'ils voyent en icelle tant de nouveaux auteurs ignorants, ce qui leur fait
penser qu'elle n'est pas capable de plus grand ornement et érudition. O combien
je désire voir sécher ces Printemps, châtier ces Petites jeunesses, rabattre ces
Coups d'essai, tarir ces Fontaines, bref, abolir tous ces beaux titres assez
suffisants pour dégoûter tout lecteur savant d'en lire davantage. Je ne souhaite
moins que ces Despourvus, ces Humbles esperans, ces Bannis de lyesse, ces
Esclaves, ces Traverseurs soient renvoyés à la Table ronde, et ces belles
petites devises aux gentils hommes et damoiselles, d'où on les a empruntées. Que
dirai plus? Je supplie à Phoebus Apollon que la, France, après avoir été si
longtemps stérile, grosse de lui, enfante bientôt un poète dont le luth bien
résonnant fasse taire ces enrouées cornemuses, non autrement que les grenouilles
quand on jette une pierre en leur marais. Et si, nonobstant cela, cette fièvre
chaude d'écrire les tourmentait encore, je leur conseillerais ou d'aller prendre
médecine en Anticyre, ou, pour le mieux, se remettre à l'étude, et sans honte,
à, l'exemple de Caton, qui en sa vieillesse apprit les lettres grecques. Je
pense bien qu'en parlant ainsi de nos rimeurs, je semblerai à beaucoup trop
mordant et satirique; mais véritable à ceux qui ont savoir et jugement, et qui
désirent la santé de notre langue, où cet ulcère et chair corrompue de mauvaises
poésies est si invétérée, qu'elle ne se peut ôter qu'avec le fer et le cautère.
Pour conclure ce propos, sache, lecteur, que celui sera véritablement le poète
que je cherche en notre langue, qui me fera indigner, apaiser, éjouir, douloir,
aimer, haïr, admirer, étonner; bref, qui tiendra la bride de mes affections, me
tournant çà et là, à son plaisir. Voilà la vraie pierre de touche où il faut que
tu éprouves tous poèmes et en toutes langues. Je m'attends bien qu'il s'en
trouvera beaucoup de ceux qui ne trouvent rien bon, sinon ce qu'ils entendent et
pensent pouvoir imiter, auxquels notre poète ne sera pas agréable; qui diront
qu'il n'y a aucun plaisir et moins de profit à lire tels écrits, que ce ne sont
que fictions poétiques, que Marot n'a point ainsi écrit. A tels, pour ce qu'ils
n'entendent la poésie que de nom, je ne suis délibéré de répondre, produisant
pour défense tant d'excellents ouvrages poétiques grecs, latins et italiens,
aussi aliénés' de ce genre d'écrire, qu'ils approuvent tant, comme ils sont eux-
mêmes éloignés de toute bonne érudition. Seulement veux-je admonester celui qui
aspire à une gloire non vulgaire, s'éloigner de ces ineptes admirateurs, fuir ce
peuple ignorant, peuple ennemi de tout rare et antique savoir; se contenter de
peu de lecteurs, à l'exemple de celui qui pour tous auditeurs ne demandait que
Platon; et d'Horace, qui veut ses oeuvres être lus de trois ou quatre seulement,
entre lesquels est Auguste. Tu as, lecteur, mon jugement de notre poète
français, lequel tu suivras, si tu le trouves bon, ou te tiendras au tien; si tu
en as quelque autre. Car je n'ignore point combien les jugements des hommes sont
divers, comme en toutes choses, principalement en la poésie, laquelle est comme
une peinture, et non moins qu'elle sujette à l'opinion du vulgâire. Le principal
but où je vise, c'est la défense de notre langue, l'ornement et amplification
d'icelle, en quoi si je n'ai grandement soulagé l'industrie et labeur de ceux
qui aspirent à cette gloire, ou si du tout je ne leur ai point aidé, pour le
moins je penserai avoir beaucoup fait, si je leur ai donné bonne volonté.




_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James

Joachim Du Bellay (1522-1560)  Livre Deuxième. Chapitre XI Une_pa12Joachim Du Bellay (1522-1560)  Livre Deuxième. Chapitre XI Plumes19Joachim Du Bellay (1522-1560)  Livre Deuxième. Chapitre XI James_12Joachim Du Bellay (1522-1560)  Livre Deuxième. Chapitre XI Confes12


Joachim Du Bellay (1522-1560)  Livre Deuxième. Chapitre XI Sceau110
Revenir en haut Aller en bas
https://www.plumedepoesies.org
 
Joachim Du Bellay (1522-1560) Livre Deuxième. Chapitre XI
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Joachim Du Bellay (1522-1560) Livre Deuxième. Chapitre XII
» Joachim Du Bellay (1522-1560) Livre Deuxième. Chapitre III
» Joachim Du Bellay (1522-1560) Livre Deuxième. Chapitre IV
» Joachim Du Bellay (1522-1560) Livre Deuxième. Chapitre V
» Joachim Du Bellay (1522-1560) Livre Deuxième. Chapitre VI

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: