PLUME DE POÉSIES
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 Joachim Du Bellay (1522-1560) Livre Deuxième. Chapitre XII

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James
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MessageSujet: Joachim Du Bellay (1522-1560) Livre Deuxième. Chapitre XII   Joachim Du Bellay (1522-1560)  Livre Deuxième. Chapitre XII Icon_minitimeDim 16 Déc - 13:21

Chapitre XII. Exhortation aux Français d'écrire en leur langue, avec les
louanges de la France.
Donc, s'il est ainsi que de notre temps les astres, comme d'un commun accord,
ont par une heureuse influence conspiré en l'honneur et accroissement de notre
langue, qui sera celui des savants qui n'y voudra mettre la main, y répandant de
tous côtés les fleurs et fruits de ces riches cornes d'abondance grecque et
latine? ou, à tout le moins, qui ne louera et approuvera l'industrie des autres?
Mais qui sera celui qui la voudra blâmer? Nul, s'il n'est vraiment ennemi du nom
français. Ce prudent et vertueux Thémistocle Athénien montra bien que la, même
loi naturelle, qui commande à chacun défendre le lieu de sa naissance, nous
oblige aussi de garder la dignité de notre langue, qand il condamna à mort un
héraut du roi de Perse, seulement pour avoir employé la langue attique aux
commandements du barbare. La gloire du peuple romain n'est moindre (comme a dit
quel qu'un) en l'amplification de son langage, que de ses limites. Car la plus
haute excellence de leur république, voire du temps d'Auguste, n'était assez
forte pour se défendre contre l'injure du temps, par le moyen de son Capitole,
de ses thermes et magnifiques palais, sans le bénéfice de leur langue, pour
laquelle seulement nous les louons, nous les admirons, nous les adorons. Sommes-
nous donc moindres que les Grecs ou Romains, qui faisons si peu de cas de la
nôtre? Je n'ai entrepris de faire comparaison de nous à ceux-là, pour ne faire
tort à la vertu française, la conférant à la vanité grégeoise; et moins à ceux-
ci, pour la trop ennuyeuse longueur que ce serait de répéter l'origine des deux
nations, leurs faits, leurs lois, moeurs et manières de vivre; les consuls,
dictateurs et empereurs de l'une, les rois, ducs et princes de l'autre. Je
confesse que la fortune leur ait quelquefois été plus favorable qu'à nous; mais
aussi dirai-je bien (sans renouveler les vieilles plaies de Rome, et de quelle
excellence, en quel mépris de tout le monde, par ses forces mêmes elle a été
précipitée) que la France, soit en repos ou en guerre, est de long intervalle à
préférer à l'Italie, serve maintenant et mercenaire de ceux auxquels elle
voulait commander. Je ne parlerai ici de la tempérie de l'air, fertilité de la
terre, abondance de tous genres de fruits nécessaires pour l'aise et entretien
de la vie humaine, et autres innumérables commodités, que le ciel, plus
prodigalement que libéralement, a élargi à la France. Je ne conterai tant de
grosses rivières, tant de belles forêts, tant de villes, non moins opulentes que
fortes, et pourvues de toutes munitions de guerre. Finalement je ne parlerai de
tant de métiers, arts et sciences qui florissent entre nous, comme la musique,
peinture, statuaire, architecture et autres, non guères moins que jadis entre
les Grecs et les Romains. Et si pour trouver l'or et l'argent, le fer n'y viole
point les sacrées entrailles de notre antique mère; si les gemmes, les odeurs et
autres corruptions de la première générosité des hommes n'y sont point cherchées
du marchand avare; aussi le tigre enragé, la cruelle semence des lions, les
herbes empoisonneresses et tant d'autres pestes de la vie humaine, en sont bien
éloignées. Je suis content que ces félicités nous soient communes avec autres
nations, principalement l'Italie; mais quant à la piété, religion, intégrité de
moeurs, magnanimité de courages, et toutes ces vertus rares et antiques (qui est
1a vraie et solide louange), la France a toujours obtenu, sans controverse, le
premier lieu. Pourquoi donc sommes-nous si grands admirateurs d'autrui? pourquoi
sommes-nous tant iniques à nous-mêmes? pourquoi mandions-nous les langues
étrangères comme si nous avions honte d'user de la nôtre? Caton l'aîné (je dis
celui Caton dont la grave sentence a été tant de fois approuvée du sénat et
peuple romain) dit à Posthumie Albin, s'excusant de ce que lui, homme romain,
avait écrit une histoire en grec; Il est vrai qu'il t'eût fallu pardonner, si
par le décret des Amphictyoniens tu eusses été contraint d'écrire en grec. Se
moquant de l'ambitieuse curiosité de celui qui aimait mieux écrire en une langue
étrangère qu'en la sienne, Horace dit que Romule en songe l'admonesta, lorsqu'il
faisait des vers grecs, de ne porter du bois en la forêt; ce que font
ordinairement ceux qui écrivent en grec et en latin. Et quand la gloire seule,
non l'amour de la vertu, nous devrait induire aux actes vertueux, si ne vois-je
pourtant qu'elle soit moindre à celui qui est excellent en son vulgaire, qu'à
celui qui n'écrit qu'en grec ou en latin. Vrai est que le nom de celui-ci (pour
autant que ces deux langues sont plus fameuses) s'étend en plus de lieux; mais
bien souvent, comme la fumée qui sort grosse au commencement, peu à peu
s'évanouit parmi le grand espace de l'air, il se perd, ou pour être opprimé de
l'infinie multitude des autres plus renommés, il demeure quasi en silence et
obscurité. Mais la gloire de celui-là, d'autant qu'elle se contient en ses
limites, et n'est divisée en tant de lieux que l'autre, est de plus longue
durée, comme ayant son siège et demeure certaine. Quand Cicéron et Virgile se
mirent à écrire en latin, l'éloquence et la poésie étaient encore en enfance
entre les Romains, et au plus haut de leur excellence entre les Grecs. Si donc
ceux que j'ai nommés, dédaignant leur langue, eussent écrit en grec, est-il
croyable qu'ils eussent égalé Homère et Démosthène? Pour le moins n'eussent-ils
été entre les Grecs ce qu'ils sont entre les Latins. Pétrarque semblablement, et
Boccace, combien qu'ils aient beaucoup écrit en latin, si est-ce que cela n'eût
été suffisant pour leur donner ce grand honneur qu'ils ont acquis, s'ils
n'eussent écrit en leur langue. Ce que bien connaissant maints bons esprits de
nôtre temps, combien qu'ils eussent déjà acquis un bruit non vulgaire entre les
Latins, se sont néanmoins convertis à leur langue maternelle, mêmes Italiens,
qui ont beaucoup plus grande raison d'adorer la langue latine que nous n'avons.
Je me contenterai de nommer ce docte cardinal Pierre Bembe, duquel je doute si
oncques homme imita plus curieusement Cicéron, si ce n'est par aventure un
Christofle Longueil. Toutefois parce qu'il a écrit en italien, tant en vers
comme en prose, il a illustré et sa langue et son nom, trop plus qu'ils
n'étaient auparavant. Quelqu'un (peut-être) déjà persuadé par les raisons que
j'ai alléguées, se convertirait volontiers à son vulgaire, s'il avait quelques
exemples domestiques. Et je dis, que d'autant s'y doit-il plutôt mettre, pour
occuper le premier ce à quoi les autres ont failli. Les larges campagnes
grecques et latines sont déjà si pleines, que bien peu reste d'espace vide. Déjà
beaucoup d'une course légère ont atteint le but tant désiré, longtemps y a que
le prix est gagné. Mais, ô bon Dieu, combien de mer nous reste encore avant que
nous soyons parvenus au port! combien le terme de notre course est encore loin!
Toutefois je te veux bien avertir que tous les savants hommes de France n'ont
point méprisé leur vulgaire. Celui qui fait renaître Aristophane et feint si
bien le nez de Lucien, en porte bon témoignage. A ma volonté que beaucoup, en
divers genres d'écrire, voulussent faire le semblable, non point s'amuser à
dérober l'écorce de celui dont je parle, pour en couvrir le bois tout vermoulu
de je ne sais quelles lourderies, si mal plaisantes qu'il ne faudrait autre
recette pour faire passer l'envie de rire à Démocrite. Je ne craindrai point
d'alléguer encore, pour tous les autres, ces deux lumières françaises, Guillaume
Budé et Lazare de Baïf, dont le premier a écrit, non moins amplement que
doctement, l'Institution du Prince, oeuvre certes assez recommandé par le seul
nom de l'ouvrier; l'autre n'a pas seulement traduit l'Électre de Sophocle, quasi
vers pour vers, chose laborieuse, comme entendent ceux qui ont essayé le
semblable, mais d'avantage a donné à notre langue le nom d'Épigrammes et
d'Élégies, avec ce beau mot composé aigre-doux, afin qu'on n'attribue l'honneur
de ces choses à quelque autre; et de ce que je dis, m'a assuré un gentilhomme
mien ami, homme certes non moins digne de foi que de singulière érudition et
jugement non vulgaire. Il me semble (lecteur ami des Muses françaises) qu'après
ceux que j'ai nommés, tu ne dois avoir honte d'écrire en ta langue ; mais encore
dois-tu, si tu es ami de la France, voire de toi-même, t'y donner du tout, avec
cette généreuse opinion, qu'il vaut mieux être un Achille entre les siens, qu'un
Diomède, voire bien souvent un Thersite, entre les autres.


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J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James

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