Épaves poétiques
Ode
Pour l'inauguration du monument élevé à la mémoire
de Mgr de Laval, premier évêque de Québec.
Notre avenir allait s'ouvrir sur l'Inconnu.
Pour nos rangs décimés le temps était venu
De voir s'accomplir les présages.
Et l'on se demandait, dans l'effroi prosterné,
Pour ce pays naissant quelle heure avait sonné
À l'éternel cadran des âges.
Contre la destinée et les arrêts du sort,
Quand toute résistance a brisé son ressort,
À quoi sert de fourbir des armes?
Le découragement régnait de toutes parts;
Et nos preux regardaient s'effondrer leurs remparts,
Avec des yeux rougis de larmes.
Mornes, et refoulant mille sanglots amers,
Nos pères avaient vu, pour repasser les mers,
Partir le drapeau de la France;
Et, groupe de héros oubliés sous les cieux,
Ils promenaient partout leurs regards anxieux,
Cherchant la dernière espérance.
Alors, du haut des airs, sur ces abandonnés,
L'Archange protecteur des peuples nouveau-nés
Dans l'ombre ouvrit sa main céleste;
Et l'oreille entendit, des éternels sommets,
Une voix s'écrier : - Vous ne serez jamais
Orphelins, car ceci vous reste!
Et le front nimbé d'or, comme un nouveau Sina,
Le rocher de Québec soudain s'illumina;
Et les vaincus, dans leurs détresses,
De tant de maux soufferts à demi consolés,
Virent briller au loin sur leurs murs écroulés,
L'arc-en-ciel des saintes promesses.
Douce terre natale, ô mon cher Canada!
Qui donc jetait ainsi ce fier sursum corda
A la nation prisonnière?
Dans un ciel qui semblait à jamais obscurci,
Sur ces désespérés qui donc faisait ainsi
Luire l'espérance dernière?
Un homme avait passé, grand parmi les humains,
Qui de son coeur avait, bien plus que de ses mains,
Bâti sur le haut promontoire
Où tonnaient si souvent la poudre et le canon,
Un temple de science et de paix, d'où son nom
Rayonne encor dans notre histoire.
Ce temple, monument d'un zèle sans rival,
Ce temple, l'abrégé de ton oeuvre, ô Laval!
C'était lui qui, dans ces jours sombres.
Quand la fatalité nous broyait de ses noeuds,
Dressait sur les hauteurs son fronton lumineux,
Intact au milieu des décombres.
Retour inespéré des destins inconstants,
Sur cette ère de deuil le bras lassé du Temps
Enfin daigna fermer les portes :
L'airain ne gronda plus au front de nos cités;
Et l'on cessa de voir sur nos champs dévastés
Passer de sanglantes cohortes.
Mais de nouveaux périls se creusaient sous nos pas;
Dans ses obscurs desseins le hasard n'allait pas
Laisser nos forces inactives;
Aux pauvres naufragés dont l'effort surnageait,
Pour d'autres lendemains l'avenir ménageait
D'autres luttes en perspectives.
Les noirs complots après le défi des clairons!
Après la foudre, après le choc des escadrons,
L'éclosion des haines sourdes!
Plus de sabres au clair! plus de vols d'étendards!
Mais l'astuce dans l'ombre empoisonnant ses dards...
C'était l'heure des tâches lourdes.
Alors, sourd ou rebelle aux lâches compromis,
Sur sa cime, au milieu des créneaux ennemis,
A son passé toujours fidèle,
Déconcertant l'intrigue et ses pièges adroits,
Pour sauver notre race et défendre nos droits,
Le temple se fit citadelle.
Il devint plus : ce fut le sublime creuset
Où dans les coeurs, de père en fils, se transfusait
L'essence des sèves robustes;
Où l'âme des aïeux et des héros d'hier
Fermentait, allumant au sang d'un peuple fier
La passion des choses justes.
Nous avions à garder notre langue, nos lois,
Nos coutumes, nos moeurs, nos souvenirs gaulois,
Notre Foi, ce dernier refuge!
Ce fut l'Arche, vaisseau solidement ancré,
A qui l'on confia tout ce dépôt sacré,
Et qui le sauva du déluge.
Le saint Temple! voyez émerger de son sein,
Ces nouveaux combattants, infatigable essaim
Armé pour la cause commune;
Au soleil des forums, à l'ombre des clochers,
Ils ont massé leur nombre, et luttent, retranchés
Dans la chaire ou dans la tribune.
Ils vont, prêtre, orateur, poète, historien...
C'est le dernier carré des vieilles gardes : rien
N'abat leur effort unanime.
Ce sont les paladins des suprêmes combats;
Nul ne manque à l'appel... Canadiens, chapeaux bas!
Devant le défilé sublime!
Ô Laval! ces grands jours sont maintenant lointains;
De nos rivalités les brandons sont éteints;
La Discorde a plié son aile;
Joyeux avant-coureur de nouvelles saisons,
On voit, lueur sereine, au bord des horizons
Poindre une aurore fraternelle.
Paix à tous désormais!... L'ombre de Papineau,
Triomphante, sourit au bronze de Garneau;
Et la divine Poésie,
Du haut de l'Empyrée abaissant son essor,
Au nom de la Patrie attache un fleuron d'or
À la lyre de Crémazie!
Les choses ont ainsi leurs flux et leurs reflux :
Les rivaux d'autrefois ne se mesurent plus
Que dans des joutes pacifiques...
Et, là même, ô Laval, c'est toi qui nous défends,
Puisque c'est toi qui ceins les reins de nos enfants
Pour ces arènes magnifiques!
C'est ton oeuvre, grand mort, qui fit cela pour nous!
Aussi voilà pourquoi tout un peuple à genoux,
Plein d'une émotion sincère,
Naufragé que ta voile a su conduire au port,
Dans sa reconnaissance acclame avec transport
Ce glorieux anniversaire!
Ô noble Alma Mater, laisse-nous te bénir!
Tu sauvas le passé : pour sauver l'avenir,
Puisse ta masse grandiose,
Sur ton roc, face à face avec l'azur des cieux,
Pour des siècles encor rayonner à nos yeux
Dans des splendeurs d'apothéose!