Chicago, .
À Ovide Perreault
Ancien vice-consul de France à Montréal
à l'occasion de sa décoration comme chevalier
de la Légion d'honneur.
Ami, le lendemain des sanglantes batailles,
Aux accents des clairons, aux éclats des bravos,
Sous les drapeaux flottants, criblés par les mitrailles,
Le général vainqueur jette croix et médailles
Au sein poudreux de ses héros.
Pour un soldat, la croix, fleur de chevalerie,
C'est chaque dévoûment amplement compensé;
C'est le baiser d'orgueil de la mère attendrie;
C'est le baiser d'amour que donne la Patrie,
En échange du sang versé.
Pour plusieurs c'est souvent l'espérance dernière :
Car chaque brave sait que, défait ou vainqueur,
Tant qu'il vivra, partout, duchesse et cantinière
Diront en regardant briller sa boutonnière :
Celui-là c'est un noble coeur!
Mais, loin du champ d'honneur, d'autres âmes fécondes
Ont, si ce n'est leur sang, autre chose à donner;
Et, fière nef voguant aux plus lointaines ondes,
La France sait trouver, aux rives des deux mondes,
D'autres têtes à couronner.
Ce sont ces coeurs vaillants qui fleurissent dans l'ombre,
A la France vouant tout leur modeste amour,
Et, tandis que là-bas quelque loyauté sombre,
Lui donnent, sans jamais en supputer le nombre,
Leurs dévoûments de chaque jour.
Or, vous êtes, ami, l'un de ces coeurs modèles;
Et notre mère à tous devait bien à cela
D'envoyer vers nos bords ces messagers fidèles
Qu'on nous dit aujourd'hui venus à tire-d'ailes
Vous apporter cette croix-là.
Cette croix, cher ami, beau prix de votre zèle,
Cette croix nous aimons à la voir rayonner;
Mais si la France, ici, devait, chose nouvelle,
Orner chaque poitrine où bat un coeur pour elle,
Elle n'aurait bientôt plus de croix à donner.