La Louisiane
À Mme A. Le Duc.
Pays du soleil où la fantaisie
Sous un ciel doré tourne son fuseau,
Radieux rival de l'Andalousie,
Dont le nom charmant, plein de poésie,
Résonne à mon coeur comme un chant d'oiseau!
Sous tes frais bosquets qu'embaume l'orange,
On sent circuler de vagues aimants;
Tes lourds bananiers, que la brise effrange,
Semblent frissonner au concert étrange
Qui flotte dans l'air de tes soirs charmants.
Sous tes dômes verts qu'ombre la liane
Rayonnent souvent de grands yeux hardis;
Et, l'artère en feu, jusqu'à la diane,
Plus d'un Werther veille, ô Louisiane,
Au seuil parfumé de tes paradis.
Et moi, fils du Nord aux hivers moroses,
- Souvenir lointain, mais toujours vainqueur -
A ces douces nuits, à ces beaux jours roses,
En rêvant je sens, malgré mes névroses,
Comme une fleur d'or éclore en mon coeur!
À mes compatriotes des États-Unis
Un soir que mon esquif, battu, désemparé,
Au milieu des brisants luttait désespéré
Contre les vents contraires,
J' aperçus un rayon qui sur l'onde flottait
En me montrant la route et le salut; c'était
Votre phare, ô mes frères!
Or il brille toujours ce foyer rayonnant
Dont la clarté sereine indique à tout venant
Le port après l'orage;
Il brille, et dans la nuit combien de matelots
Près de sombrer, voyant son reflet sur les flots,
Échappent au naufrage!
Ces feux, ce sont vos coeurs qui les ont allumés,
Ô vous, qui des plus purs sentiments animés,
Dans votre âme attendrie,
Loin du sol paternel à jamais vénéré,
Gardez le souvenir et le culte sacré
D'une double patrie!
Descendants de la France, et fils du Canada,
Sur la plage étrangère où l'espoir vous guida -
Sans reproche et sans crainte -
Quand du foyer natal le sort vous arrachait,
Vous avez fièrment de ce double cachet
Gardé la double empreinte.
De vos traditions religieux gardiens,
Jaloux d'être à la fois français, et canadiens,
Soyez la sentinelle
D'une race sur qui Dieu se plaît à veiller;
Et puisse sur l'écueil toujours au loin briller
De vos signaux amis la lueur fraternelle!