PLUME DE POÉSIES
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 Louis Fréchette (1839-1908) Jean Sauriol

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Louis Fréchette (1839-1908) Jean Sauriol Empty
MessageSujet: Louis Fréchette (1839-1908) Jean Sauriol   Louis Fréchette (1839-1908) Jean Sauriol Icon_minitimeSam 20 Avr - 13:05







Jean Sauriol


Au détour de la plaine où grandit Montréal,
Dans un site charmant, poétique, idéal,
Que longe le chemin de la Côte-des-Neiges,
Où du matin au soir serpentent les cortèges
Qui vont au rendez-vous de ceux qui ne sont plus,
Dans la déclivité d'un immense talus,
À l'ombre des bouleaux et des bosquets d'érables,
Se dressent les pans noirs, décrépits, misérables,
D'une ancienne masure effondrée et sans toit.
C'est là qu'un jour le morne archange, dont le doigt
Inflige la défaite ou fixe la victoire,
S'arrêta pour dicter une page à l'Histoire!

À l'époque sanglante où nos pères trahis
Défendaient corps à corps leurs foyers envahis,
Et, groupes de héros débordés par le nombre,
Touchaient au dénoûment fatal du drame sombre,
Dans ce logis, alors presque un petit manoir,
Dont les tons vigoureux tranchaient sur le fond noir
De la forêt encor vierge de la cognée,
Vivaient un vieux traiteur à mine renfrognée,
Nommé Luc Sauriol, sa femme et son fils Jean.

Celui-ci, gars robuste à l'oeil intelligent,
Avait pour son pays déjà monté la garde.
Des soldats de Montcalm il portait la cocarde;
C'était un fier tireur, et l'Anglais n'avait point
Plus terrible ennemi la carabine au poing.

Les cohortes d'Amherst avaient conquis la plaine;
Et nos derniers vengeurs, campés dans Sainte-Hélène,
Attendaient l'arme au bras le signal de mourir,
Lorsqu'un jour Sauriol vit son fils accourir,
Et, grave, s'arrêter sur le seuil de la porte.

- Bonjour, père, dit-il; c'est moi! Je vous apporte
Un message pressant au nom du gouverneur.
Ce soir, à la nuit brune, il vous fera l'honneur
De s'arrêter ici pour affaire importante.
On dit, ajouta-t-il d'une voix hésitante,
Qu'il s'agit - le soldat tâtait ses pistolets -
D'une entrevue avec un général anglais...

Le soir même, en effet, - c'était le huit septembre, -
Le marquis de Vaudreuil, assis dans une chambre
Du manoir isolé dont les derniers lambris
Jonchent en ce moment le sol de leurs débris,
Le désespoir au coeur et l'âme à la torture,
Capitulait, livrant avec sa signature,
Entre les mains d'Amherst surpris de son succès,
Le dernier boulevard du Canada français.
On lui refusait même - affront d'âme vulgaire -
Pour nos soldats vainqueurs les honneurs de la guerre!

Le vieux Luc Sauriol, stupéfait, confondu,
En se rongeant les poings avait tout entendu.
Lorsque tomba la plume, il se leva, farouche,
Pris son fils à l'écart, et l'index sur la bouche,
Le regarda longtemps un éclair dans les yeux.

- J'ai compris, lui dit Jean, serrant la main du vieux.

Puis, prenant son fusil de chasse d'un air sombre,
Il entr'ouvrit la porte et disparut dans l'ombre.

Le père ni le fils n'avaient capitulé.

Tout près, un chemin creux serpentait, accolé
Au pied d'un mamelon où des quartiers de roche
Avaient été rangés pour défendre l'approche
Des postes avancés par cette route-là.
Les officiers anglais devaient passer par là,
Au milieu de la nuit, pour rejoindre leurs lignes.

Pour la première fois infidèle aux consignes,
Jean Sauriol y court, prend la chaîne d'un puits,
En barre fortement l'étroit passage, et puis
Monte sur les hauteurs se mettre en embuscade.
Quelques instants après, la noire cavalcade,
Avec un long éclat de rire goguenard,
S'engouffrait au grand trot au fond du traquenard.

Ce fut terrible.

Au choc, la troupe toute entière
- Chevaux et cavaliers - roula dans la poussière,
Pêle-mêle, criant, hurlant, se débattant;
Pendant que Sauriol lançait au même instant,
Par vingtaine, du haut de la crête saillante,
De lourds éclats de roc sur la masse grouillante.
Un double éclair aussi perce l'obscurité;
C'est encor Sauriol qui, dans l'ombre posté,
Tire sur les Anglais et les crible à outrance.
Enfin, poussant trois fois le cri: Vive la France!
Le soldat, déserteur et héros à la fois,
D'un pas ferme gagna l'épaisseur des grands bois.

Ce fut pendant trois mois une chasse enragée.

Lorsque dans le sommeil la ville était plongée,
Un éclair tout à coup s'allumait quelque part,
Et mainte sentinelle, aux créneaux d'un rempart,
Victime sans merci d'une infernale adresse,
Tombait le front percé d'une balle traîtresse.
Parfois, si Montréal respirait, - vis-à-vis,
Dans l'île où maintenant les soldats de Lévis
Voyaient flotter au vent l'étendard britannique, -
Le poste anglais, saisi d'une terreur panique,
Entendait résonner l'invisible mousquet,
Et trouvait l'un des siens râlant sur le parquet.
Si quelque cavalier, hardi batteur d'estrades,
Osaient sortir le soir tombé, ses camarades
Voyaient revenir seul le cheval effaré.
Presque toutes les nuits, le guet exaspéré
Trébuchait tout à coup sur une masse informe,
Où l'on reconnaissait le fatal uniforme...

Amherst, la rage au coeur, fit battre tous les bois:
Sur vingt soldats, un jour, il n'en revint que trois!
Enfin l'on n'osa plus se hasarder qu'en plaine...

Un vaincu tenait seul une armée en haleine.

Mais l'âpre hiver allait venir; les massifs nus
N'offraient plus désormais, sous leurs dômes chenus,
Au pauvre guérillas de retraite bien sûre;
Et puis l'homme souffrait au bras d'une blessure
Qu'une balle avait faite un soir en ricochant.

Au flanc du Mont-Royal, du côté du couchant,
Dans le creux d'un ravin où chantait une source,
Il avait découvert la tanière d'une ourse -
Dont un épais fourré dissimulait l'abord,
Jean Sauriol avait tué l'ourse d'abord,
- Pour lui cela n'était rien de bien difficile, -
Et puis il avait pris la place au domicile.
Son père venait là lui porter à manger.
Que voulez-vous, à tout on ne peut pas songer;
Lui ne s'était muni que d'un baril de poudre
Avec du plomb, - assez, disait-il, pour découdre
Dans les règles de l'art un régiment d'Anglais.

Ces derniers avaient eu beau tendre leurs filets,
Sauriol leur glissait dans les doigts comme une ombre;
Et, lorsque les chasseurs qui le traquaient en nombre
S'applaudissaient déjà du succès obtenu,
Il s'enfonçait sous terre, et... ni vu ni connu!

Cela ne pouvait pas toujours durer. La neige,
Le cernant dans son antre ainsi que dans un piège,
De tout secours humain l'isola tout à coup.
Le malheureux ne s'en désola pas beaucoup:
Il avait fait depuis longtemps son sacrifice.
Pourtant, si le regard à travers l'orifice
De la grotte, dans l'ombre, eût par hasard plongé,
Il eût plus d'une fois vu le pauvre assiégé
Transi, mourant de faim, pleurer dans les ténèbres...
Hélas! ce n'était pas pour lui ces pleurs funèbres;
On va le voir.

Un jour - ses pas l'avaient trahi -
Sauriol vit soudain son refuge envahi:
On le tenait.

Chez lui pas un muscle ne tremble.

- Messieurs, dit-il, avant que nous partions ensemble,
Écoutez bien ces mots que je dis sans remord:
Je suis un meurtrier, je me condamne à mort!
Mais vous, les agresseurs! vous, nation vorace!
Oui, vous, les éternels ennemis de ma race!
Bourreaux de mon pays, vous mourrez avec moi!
Il dit, et, froidement, sans hâte, sans émoi,
Tire son pistolet dans le baril de poudre...
Tout disparut. Ce fut comme un éclat de foudre.
La détonation ébranla les rochers;
Les lourds quartiers de rocs, de leur base arrachés,
- Dans un immense cri d'indicible épouvante, -
Sautèrent dans l'espace, avec la chair vivante
De cent hommes hachés, brisés, agonisants...

Le lendemain matin, parmi les corps gisants,
Sur les débris glacés d'un désastre qui navre,
On trouvait un vieillard penché sur un cadavre
Qu'il semblait à son coeur presser avec transport...

On s'approcha de lui: le pauvre homme était mort!
Les excommuniés
Voyez-vous, sur le bord de ce chemin bourbeux,
Cet enclos en ruine où broutent les grands boeufs?
Ici, cinq paysans - trois hommes et deux femmes -
Eurent la sépulture ignoble des infâmes!

Cette histoire est bien triste, et date de bien loin.

Comme un soldat mourant la carabine au poing,
Québec était tombé. Sans honte et sans mystère,
Un Bourbon nous avait livrés à l'Angleterre!

Ce fut un coup mortel, un long déchirement,
Quand ce peuple entendit avec effarement,
- Lui qui tenait enfin la victoire suprême, -
Par un nouveau forfait souillant son diadème,
Le roi de France dire aux Saxons: - Prenez-les!
Ma gloire n'en a plus besoin; qu'ils soient Anglais!

Ô Lorraine! ô Strasbourg! si belles et si grandes,
Vous, c'est le sort au moins qui vous fit allemandes!

Des bords du Saint-Laurent, scène de tant d'exploits,
On entendit alors soixante mille voix
Jeter au ciel ce cri d'amour et de souffrance:
- Eh bien, soit! nous serons français malgré la France!

Or chacun a tenu sa parole. Aujourd'hui,
Sur ce lâche abandon plus de cent ans ont lui;
Et, sous le sceptre anglais, cette fière phalange
Conserve encore aux yeux de tous, et sans mélange,
Son culte pour la France, et son cachet sacré.

Mais d'autres, repoussant tout sevrage exécré,
Après avoir brûlé leur dernière cartouche,
Renfermés désormais dans un orgueil farouche,
Révoltés impuissants, sans crainte et sans remord,
Voulurent, libres même en face de la mort,
Emporter au tombeau leur éternelle haine...

En vain l'on invoqua l'autorité romaine;
En vain, sous les regards de ces naïfs croyants,
Le prêtre déroula les tableaux effrayants
Des châtiments que Dieu garde pour les superbes;
En vain l'on épuisa les menaces acerbes;
Menaces et sermons restèrent sans succès!

- Non! disaient ces vaincus; nous sommes des Français;
Et nul n'a le pouvoir de nous vendre à l'enchère!

La foudre un jour sur eux descendit de la chaire:
L'Église, pour forcer ses enfants au devoir,
A regret avait dû frapper sans s'émouvoir.

Il n'en resta que cinq.
Ceux-là furent semblables,
Dans leur folie altière, aux rocs inébranlables:
Ils laissèrent gronder la foudre sur leurs fronts,
Et malgré les frayeurs, et malgré les affronts,
Sublimes égarés, dans leur sainte ignorance,
Ne voulurent servir d'autre Dieu que la France!

La vieillesse arriva; la mort vint à son tour.
Et, sans prêtre, sans croix, dans un champ, au détour
D'une route fangeuse où la brute se vautre,
Chaque rebelle alla dormir l'un après l'autre.

Il n'en resta plus qu'un, un vieillard tout cassé,
Une ombre! Plus d'un quart de siècle avait passé
Depuis que sur son front pesait l'âpre anathème.
Penché sur son bâton branlant, la lèvre blême,
Sur la route déserte on le voyait souvent,
A la brune, rôder dans la pluie et le vent,
Comme un spectre. Parfois détournant les paupières
Pour ne pas voir l'enfant qui lui jetait des pierres,
Il s'enfonçait tout seul dans les ombres du soir.
Et plus d'un affirmait avoir cru l'entrevoir
- Les femmes du canton s'en signaient interdites -
Agenouillé la nuit sur les tombes maudites.

Un jour on l'y trouva roide et gelé.

Sa main
Avait laissé tomber sur le bord du chemin
Un vieux fusil rouillé, son arme de naguère,
Son ami des grands jours, son compagnon de guerre,
Son dernier camarade et son suprême espoir.

On creusa de nouveau dans le sol dur et noir;
Et l'on mit côte à côte, en la fosse nouvelle,
Le vieux mousquet français avec le vieux rebelle!

Le peuple a conservé ce sombre souvenir.
Et lorsque du couchant l'or commence à brunir, -
Au village de Saint-Michel de Bellechasse,
Le passant, attardé par la pêche ou la chasse,
Craignant de voir surgir quelque fantôme blanc,
Du fatal carrefour se détourne en tremblant.

Donc, ces cinq paysans n'eurent pour sépulture
Qu'un tertre où l'animal vient chercher sa pâture!
Ils le méritaient, soit! Mais on dira partout
Qu'ils furent bel et bien cinq héros après tout!
Je respecte l'arrêt qui les frappa, sans doute;
Mais, lorsque le hasard me met sur cette route,
Sans demander à Dieu si j'ai tort en cela,
Je découvre mon front devant ces tombes-là!
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Louis Fréchette (1839-1908) Jean Sauriol
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