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| | Théophile Gautier. (1811-1872) La Chaîne D’Or. Ou L’Amant Partagé. | |
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| Sujet: Théophile Gautier. (1811-1872) La Chaîne D’Or. Ou L’Amant Partagé. Sam 27 Juil - 22:38 | |
| Rappel du premier message :
La Chaîne D’Or. Ou L’Amant Partagé.
Plangon la Milésienne fut en son temps une des femmes les plus à la mode d’Athènes. Il n’était bruit que d’elle dans la ville ; pontifes, archontes, généraux, satrapes, petits-maîtres, jeunes patriciens, fils de famille, tout le monde en raffolait. Sa beauté, semblable à celle d’Hélène aimée de Pâris, excitait l’admiration et les désirs des vieillards moroses et regretteurs du temps passé. En effet, rien n’était plus beau que Plangon, et je ne sais pourquoi Vénus, qui fut jalouse de Psyché, ne l’a pas été de notre Milésienne. Peut-être les nombreuses couronnes de roses et de tilleul, les sacrifices de colombes et de moineaux, les libations de vin de Crète offerts par Plangon à la coquette déesse, ont-ils détourné son courroux et suspendu sa vengeance ; toujours est-il que personne n’eut de plus heureuses amours que Plangon la Milésienne, surnommée Pasiphile. |
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Auteur | Message |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La Chaîne D’Or. Ou L’Amant Partagé. Sam 27 Juil - 22:43 | |
| Toutes les nuits Ctésias allait pleurer sur le seuil de Plangon, comme un chien fidèle qui a commis quelque faute et que le maître a chassé du logis et qui voudrait y rentrer ; il baisait cette dalle où Plangon avait posé son pied charmant. Il parlait à la porte et lui tenait les plus tendres discours pour l’attendrir ; éloquence perdue : la porte était sourde et muette. Enfin il parvint à corrompre un des portiers et à s’introduire dans la maison ; il courut à la chambre de Plangon, qu’il trouva étendue sur son lit de repos, le visage mat et blanc, les bras morts et pendants, dans une attitude de découragement complet.
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La Chaîne D’Or. Ou L’Amant Partagé. Sam 27 Juil - 22:43 | |
| Cela lui donna quelque espoir ; il se dit : « Elle souffre, elle m’aime donc encore ? » Il s’avança vers elle et s’agenouilla à côté du lit. Plangon, qui ne l’avait pas entendu entrer, fit un geste de brusque surprise en le voyant, et se leva à demi comme pour sortir ; mais, ses forces la trahissant, elle se recoucha, ferma les yeux et ne donna plus signe d’existence. « Ô ma vie ! ô mes belles amours ! que vous ai-je donc fait pour que vous me repoussiez ainsi ? » Et en disant cela Ctésias baisait ses bras froids et ses belles mains, qu’il inondait de tièdes larmes. Plangon le laissait faire, comme si elle n’eût pas daigné s’apercevoir de sa présence. « Plangon ! ma chère, ma belle Plangon ! si vous ne |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La Chaîne D’Or. Ou L’Amant Partagé. Sam 27 Juil - 22:43 | |
| voulez pas que je meure, rendez-moi vos bonnes grâces, aimez-moi comme autrefois. Je te jure, ô Plangon ! que je me tuerai à tes pieds si tu ne me relèves pas avec une douce parole, un sourire ou un baiser. Comment faut-il acheter mon pardon, implacable ? Je suis riche ; je te donnerai des vases ciselés, des robes de pourpre teintes deux fois, des esclaves noirs et blancs, des colliers d’or, des unions de perles. Parle ; comment puis-je expier une faute que je n’ai pas commise ? -Je ne veux rien de tout cela ; apporte-moi la chaîne d’or de Bacchide de Samos, dit Plangon avec une amertume inexprimable, et je te rendrai mon amour. » Ayant dit ces mots, elle se laissa glisser sur ses pieds, traversa la chambre et disparut derrière un rideau comme une blanche vision. |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La Chaîne D’Or. Ou L’Amant Partagé. Sam 27 Juil - 22:43 | |
| La chaîne de Bacchide la Samienne n’était pas, comme l’on pourrait se l’imaginer, un simple collier faisant deux ou trois fois le tour du cou, et précieux par l’élégance et la perfection du travail ; c’était une véritable chaîne, aussi grosse que celle dont on attache les prisonniers condamnés au travail des mines, de plusieurs coudées de long et de l’or le plus pur. Bacchide ajoutait tous les mois quelques anneaux à cette chaîne ; quand elle avait dépouillé quelque roi de l’Asie Mineure, quelque grand seigneur persan, quelque riche propriétaire athénien, elle faisait fondre l’or |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La Chaîne D’Or. Ou L’Amant Partagé. Sam 27 Juil - 22:44 | |
| qu’elle en avait reçu et allongeait sa précieuse chaîne. Cette chaîne doit servir à la faire vivre quand elle sera devenue vieille, et que les amants, effrayés d’une ride naissante, d’un cheveu blanc mêlé dans une noire tresse, iront porter leurs voeux et leurs sesterces chez quelque hétaïre moins célèbre, mais plus jeune et plus fraîche. Prévoyante fourmi, Bacchide, à travers sa folle vie de courtisane, tout en chantant comme les rauques cigales, pense que l’hiver doit venir et se ramasse des grains d’or pour la mauvaise saison. Elle sait bien que les amants, qui récitent aujourd’hui des vers hexamètres et pentamètres devant son portique, la feraient jeter dehors et pelauder à grand renfort de coups de fourche par leurs esclaves si, vieillie et courbée par la misère, elle allait supplier leur seuil et embrasser le coin de leur autel domestique. Mais avec sa chaîne, dont elle détachera tous les ans un certain nombre d’anneaux, elle vivra libre, obscure et paisible dans quelque bourg ignoré, et s’éteindra doucement, en laissant de quoi payer d’honorables funérailles et fonder quelque chapelle à Vénus protectrice. Telles étaient les sages précautions que Bacchide l’hétaïre avait cru devoir prendre contre la misère future et le dénuement des dernières années ; car une courtisane n’a pas d’enfants, pas de parents, pas d’amis, rien qui se rattache à elle, et il faut en quelque sorte qu’elle se ferme les yeux à elle- même.
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La Chaîne D’Or. Ou L’Amant Partagé. Sam 27 Juil - 22:44 | |
| Demander la chaîne de Bacchide, c’était demander quelque chose d’aussi impossible que d’apporter la mer dans un crible ; autant eût valu exiger une pomme d’or du jardin des Hespérides. La vindicative Plangon le savait bien ; comment, en effet, penser que Bacchide pût se dessaisir, en faveur d’une rivale, du fruit des épargnes de toute sa vie, de son trésor unique, de sa seule ressource pour les temps contraires ? Aussi était- ce bien un congé définitif que Plangon avait donné à notre enfant, et comptait-elle bien ne le revoir jamais. Cependant Ctésias ne se consolait pas de la perte de Plangon. Toutes ses tentatives pour la rejoindre et lui parler avaient été inutiles, et il ne pouvait s’empêcher d’errer comme une ombre autour de la maison, malgré les quolibets dont les esclaves l’accablaient et les amphores d’eau sale qu’ils lui versaient sur la tête en manière de dérision. |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La Chaîne D’Or. Ou L’Amant Partagé. Sam 27 Juil - 22:58 | |
| Demander la chaîne de Bacchide, c’était demander quelque chose d’aussi impossible que d’apporter la mer dans un crible ; autant eût valu exiger une pomme d’or du jardin des Hespérides. La vindicative Plangon le savait bien ; comment, en effet, penser que Bacchide pût se dessaisir, en faveur d’une rivale, du fruit des épargnes de toute sa vie, de son trésor unique, de sa seule ressource pour les temps contraires ? Aussi était- ce bien un congé définitif que Plangon avait donné à notre enfant, et comptait-elle bien ne le revoir jamais. Cependant Ctésias ne se consolait pas de la perte de Plangon. Toutes ses tentatives pour la rejoindre et lui parler avaient été inutiles, et il ne pouvait s’empêcher d’errer comme une ombre autour de la maison, malgré les quolibets dont les esclaves l’accablaient et les amphores d’eau sale qu’ils lui versaient sur la tête en manière de dérision. |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La Chaîne D’Or. Ou L’Amant Partagé. Sam 27 Juil - 22:58 | |
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Enfin il résolut de tenter un effort suprême ; il descendit vers le Pirée et vit une trirème qui appareillait pour Samos ; il appela le patron et lui demanda s’il ne pouvait le prendre à son bord. Le patron, touché de sa bonne mine et encore plus des trois pièces d’or qu’il lui glissa dans la main, accéda facilement à sa demande. On leva l’ancre, les rameurs, nus et frottés d’huile, se courbèrent sur leurs bancs, et la nef s’ébranla. C’était une belle nef nommée l’Argo ; elle était construite en
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La Chaîne D’Or. Ou L’Amant Partagé. Sam 27 Juil - 22:58 | |
| bois de cèdre, qui ne pourrit jamais. Le grand mât avait été taillé dans un pin du mont Ida ; il portait deux grandes voiles en lin d’Égypte, l’une carrée et l’autre triangulaire ; toute la coque était peinte à l’encaustique, et sur le bordage on avait représenté au vif des néréides et des tritons jouant ensemble. C’était l’ouvrage d’un peintre devenu bien célèbre depuis, et qui avait débuté par barbouiller des navires. |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La Chaîne D’Or. Ou L’Amant Partagé. Sam 27 Juil - 22:59 | |
| Les curieux venaient souvent examiner le bordage de l’Argo pour comparer les chefs-d’oeuvre du maître à ses commencements ; mais, quoique Ctésias fût un grand amateur de peinture et qu’il se plût à former des cabinets, il ne jeta pas seulement ses yeux sur les peintures de l’Argo. Il n’ignorait pourtant pas cette particularité, mais il n’avait plus de place dans le cerveau que pour une idée, et tout ce qui n’était pas Plangon n’existait pas pour lui. L’eau bleue, coupée et blanchie par les rames, filait écumeuse sur les flancs polis de la trirème. Les silhouettes vaporeuses de quelques îles se dessinaient dans le lointain et fuyaient bien vite derrière le navire ; le vent se leva, l’on haussa la voile, qui palpita incertaine quelques instants et finit par se gonfler et s’arrondir comme un sein plein de lait ; les rameurs haletants se mirent à l’ombre sous leurs bancs, et il ne resta sur le pont que deux matelots, le pilote et Ctésias, |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La Chaîne D’Or. Ou L’Amant Partagé. Sam 27 Juil - 22:59 | |
| qui était assis au pied du mât, tenant sous son bras une petite cassette où il y avait trois bourses d’or et deux poignards affilés tout de neuf, sa seule ressource et son dernier recours s’il ne réussissait pas dans sa tentative désespérée. Voici ce que l’enfant voulait faire : il voulait aller se jeter aux pieds de Bacchide, baigner de larmes ses belles mains, et la supplier, par tous les dieux du ciel et de l’enfer, par l’amour qu’elle avait pour lui, par pitié pour sa vieille mère que sa mort pousserait au tombeau, par tout ce que l’éloquence de la passion pourrait évoquer de touchant et de persuasif, de lui donner la chaîne d’or que Plangon demandait comme une condition fatale de sa réconciliation avec lui. Vous voyez bien que Ctésias de Colophon avait complètement perdu la tête. Cependant toute sa destinée pendait au fil fragile de cet espoir ; cette tentative manquée, il ne lui restait plus qu’à ouvrir, avec le plus aigu de ses deux poignards, une bouche vermeille sur sa blanche poitrine pour le froid baiser de la Parque. Pendant que l’enfant colophonien pensait à toutes ces choses, le navire filait toujours, de plus en plus rapide, et les derniers reflets du soleil couchant jouaient encore sur l’airain poli des boucliers suspendus à la poupe, lorsque le pilote cria : « Terre ! terre ! » L’on était arrivé à Samos.
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| | | | Théophile Gautier. (1811-1872) La Chaîne D’Or. Ou L’Amant Partagé. | |
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