PLUME DE POÉSIES
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 Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XIX. Ce à quoi se récréait M. le duc de Beaufort

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Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XIX. Ce à quoi se récréait M. le duc de Beaufort Empty
MessageSujet: Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XIX. Ce à quoi se récréait M. le duc de Beaufort   Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XIX. Ce à quoi se récréait M. le duc de Beaufort Icon_minitimeDim 7 Avr - 16:00

XIX. Ce à quoi se récréait M. le duc de Beaufort au donjon de
Vincennes

Le prisonnier qui faisait si grand’peur à M. le cardinal, et dont
les moyens d’évasion troublaient le repos de toute la cour, ne se
doutait guère de tout cet effroi qu’à cause de lui on ressentait
au Palais-Royal.

Il se voyait si admirablement gardé qu’il avait reconnu
l’inutilité de ses tentatives; toute sa vengeance consistait à
lancer nombre d’imprécations et d’injures contre le Mazarin. Il
avait même essayé de faire des couplets, mais il y avait bien vite
renoncé. En effet, M. de Beaufort non seulement n’avait pas reçu
du ciel le don d’aligner des vers, mais encore ne s’exprimait
souvent en prose qu’avec la plus grande peine du monde. Aussi
Blot, le chansonnier de l’époque, disait-il de lui:

_Dans un combat il brille, il tonne!_

_On le redoute avec raison;_

_Mais de la façon qu’il raisonne, _

_On le prendrait pour un oison._

_Gaston, pour faire une harangue, _

_Éprouve bien moins d’embarras;_

_Pourquoi Beaufort n’a-t-il la langue!_

_Pourquoi Gaston n’a-t-il le bras?_

Ceci posé, on comprend que le prisonnier se soit borné aux injures
et aux imprécations.

Le duc de Beaufort était petit-fils de Henri IV et de Gabrielle
d’Estrées, aussi bon, aussi brave, aussi fier et surtout aussi
Gascon que son aïeul, mais beaucoup moins lettré. Après avoir été
pendant quelque temps, à la mort du roi Louis XIII, le favori,
l’homme de confiance, le premier à la cour enfin, un jour il lui
avait fallu céder la place à Mazarin, et il s’était trouvé le
second; et le lendemain, comme il avait eu le mauvais esprit de se
fâcher de cette transposition et l’imprudence de le dire, la reine
l’avait fait arrêter et conduire à Vincennes par ce même Guitaut
que nous avons vu apparaître au commencement de cette histoire, et
que nous aurons l’occasion de retrouver. Bien entendu, qui dit la
reine dit Mazarin. Non seulement on s’était débarrassé ainsi de sa
personne et de ses prétentions, mais encore on ne comptait plus
avec lui, tout prince populaire qu’il était, et depuis cinq ans il
habitait une chambre fort peu royale au donjon de Vincennes.

Cet espace de temps qui eût mûri les idées de tout autre que
M. de Beaufort, avait passé sur sa tête sans y opérer aucun
changement. Un autre, en effet, eût réfléchi que, s’il n’avait pas
accepté de braver le cardinal, de mépriser les princes, et de
marcher seul sans autres acolytes, comme dit le cardinal de Retz,
que quelques mélancoliques qui avaient l’air de songe-creux, il
aurait eu, depuis cinq ans, ou sa liberté, ou des défenseurs. Ces
considérations ne se présentèrent probablement pas même à l’esprit
du duc, que sa longue réclusion ne fit au contraire qu’affermir
davantage dans sa mutinerie, et chaque jour le cardinal reçut des
nouvelles de lui qui étaient on ne peut plus désagréables pour Son
Éminence.

Après avoir échoué en poésie, M. de Beaufort avait essayé de la
peinture. Il dessinait avec du charbon les traits du cardinal, et,
comme ses talents assez médiocres en cet ail ne lui permettaient
pas d’atteindre à une grande ressemblance, pour ne pas laisser de
doute sur l’original du portrait, il écrivait au-dessous:
«_Ritratto dell’ illustrissimo facchino Mazarini._»
M. de Chavigny, prévenu, vint faire une visite au duc et le pria
de se livrer à un autre passe-temps, ou tout au moins de faire des
portraits sans légende. Le lendemain, la chambre était pleine de
légendes et de portraits. M. de Beaufort, comme tous les
prisonniers, au reste, ressemblait fort aux enfants qui ne
s’entêtent qu’aux choses qu’on lui défend.

M. de Chavigny fut prévenu de ce surcroît de profils.

M. de Beaufort, pas assez sûr de lui pour risquer la tête de face,
avait fait de sa chambre une véritable salle d’exposition. Cette
fois le gouverneur ne dit rien; mais un jour que M. de Beaufort
jouait à la paume, il fit passer l’éponge sur tous ses dessins et
peindre la chambre à la détrempe.

M. de Beaufort remercia M. de Chavigny, qui avait la bonté de lui
remettre ses cartons à neuf; et cette fois il divisa sa chambre en
compartiments, et consacra chacun de ses compartiments à un trait
de la vie du cardinal Mazarin.

Le premier devait représenter l’illustrissime faquin Mazarini
recevant une volée de coups de bâton du cardinal Bentivoglio, dont
il avait été le domestique.

Le second, l’illustrissime faquin Mazarini jouant le rôle d’Ignace
de Loyola, dans la tragédie de ce nom.

Le troisième, l’illustrissime faquin Mazarini volant le
portefeuille de premier ministre à M. de Chavigny, qui croyait
déjà le tenir.

Enfin, le quatrième, l’illustrissime faquin Mazarini refusant des
draps à Laporte, valet de chambre de Louis XIV, et disant que
c’est assez, pour un roi de France, de changer de draps tous les
trimestres.

C’étaient là de grandes compositions et qui dépassaient
certainement la mesure du talent du prisonnier; aussi s’était-il
contenté de tracer les cadres et de mettre les inscriptions.

Mais les cadres et les inscriptions suffirent pour éveiller la
susceptibilité de M. de Chavigny, lequel fit prévenir
M. de Beaufort que s’il ne renonçait pas aux tableaux projetés, il
lui enlèverait tout moyen d’exécution. M. de Beaufort répondit
que, puisqu’on lui ôtait la chance de se faire une réputation dans
les armes, il voulait s’en faire une dans la peinture, et que, ne
pouvant être un Bayard ou un Trivulce, il voulait devenir un
Michel-Ange ou un Raphaël.

Un jour que M. de Beaufort se promenait au préau, on enleva son
feu, avec son feu ses charbons, avec son charbon ses cendres, de
sorte qu’en rentrant il ne trouva plus le plus petit objet dont il
pût faire un crayon.

M. de Beaufort jura, tempêta, hurla, dit qu’on voulait le faire
mourir de froid et d’humidité, comme étaient morts Puylaurens, le
maréchal Ornano et le grand prieur de Vendôme, ce à quoi
M. de Chavigny répondit qu’il n’avait qu’à donner sa parole de
renoncer au dessin ou promettre de ne point faire de peintures
historiques, et qu’on lui rendrait du bois et tout ce qu’il
fallait pour l’allumer. M. de Beaufort ne voulut pas donner sa
parole, et il resta sans feu pendant tout le reste de l’hiver.

De plus, pendant une des sorties du prisonnier, on gratta les
inscriptions, et la chambre se retrouva blanche et nue sans la
moindre trace de fresque.

M. de Beaufort alors acheta à l’un de ses gardiens un chien nommé
Pistache; rien ne s’opposant à ce que les prisonniers eussent un
chien, M. de Chavigny autorisa que le quadrupède changeât de
maître. M. de Beaufort restait quelquefois des heures entières
enfermé avec son chien. On se doutait bien que pendant ces heures
le prisonnier s’occupait de l’éducation de Pistache, mais on
ignorait dans quelle voie il la dirigeait. Un jour, Pistache se
trouvant suffisamment dressé, M. de Beaufort invita M. de Chavigny
et les officiers de Vincennes à une grande représentation qu’il
donna dans sa chambre. Les invités arrivèrent; la chambre était
éclairée d’autant de bougies qu’avait pu s’en procurer
M. de Beaufort. Les exercices commencèrent.

Le prisonnier, avec un morceau de plâtre détaché de la muraille,
avait tracé au milieu de la chambre une longue ligne blanche
représentant une corde. Pistache, au premier ordre de son maître,
se plaça sur cette ligne, se dressa sur ses pattes de derrière et,
tenant une baguette à battre les habits entre ses pattes de
devant, il commença à suivre la ligne avec toutes les contorsions
que fait un danseur de corde; puis, après avoir parcouru deux ou
trois fois en avant et en arrière la longueur de la ligne, il
rendit la baguette à M. de Beaufort, et recommença les mêmes
évolutions sans balancier.

L’intelligent animal fut criblé d’applaudissements.

Le spectacle était divisé en trois parties; la première achevée,
on passa à la seconde.

Il s’agissait d’abord de dire l’heure qu’il était.

M. de Chavigny montra sa montre à Pistache. Il était six heures et
demie.

Pistache leva et baissa la patte six fois, et, à la septième,
resta la patte en l’air. Il était impossible d’être plus clair, un
cadran solaire n’aurait pas mieux répondu: comme chacun sait, le
cadran solaire a le désavantage de ne dire l’heure que tant que le
soleil luit.

Ensuite, il s’agissait de reconnaître devant toute la société quel
était le meilleur geôlier de toutes les prisons de France.

Le chien fit trois fois le tour du cercle et alla se coucher de la
façon la plus respectueuse du monde aux pieds de M. de Chavigny.

M. de Chavigny fit semblant de trouver la plaisanterie charmante
et rit du bout des dents. Quand il eut fini de rire il se mordit
les lèvres et commença de froncer le sourcil.

Enfin M. de Beaufort posa à Pistache cette question si difficile à
résoudre, à savoir: Quel était le plus grand voleur du monde
connu?

Pistache, cette fois, fit le tour de la chambre, mais ne s’arrêta
à personne, et, s’en allant à la porte, il se mit à gratter et à
se plaindre.

- Voyez, messieurs, dit le prince, cet intéressant animal ne
trouvant pas ici ce que je lui demande, va chercher dehors. Mais,
soyez tranquilles, vous ne serez pas privés de sa réponse pour
cela. Pistache, mon ami, continua le duc, venez ici. Le chien
obéit. Le plus grand voleur du monde connu, reprit le prince, est-
ce M. le secrétaire du roi Le Camus, qui est venu à Paris avec
vingt livres et qui possède maintenant dix millions?

Le chien secoua la tête en signe de négation.

- Est-ce, continua le prince, M. le surintendant d’Emery, qui a
donné à M. Thoré, son fils, en le mariant, trois cent mille livres
de rente et un hôtel près duquel les Tuileries sont une masure et
le Louvre une bicoque?

Le chien secoua la tête en signe de négation.

- Ce n’est pas encore lui, reprit le prince. Voyons, cherchons
bien: serait-ce, par hasard, l’illustrissime _facchino_ Mazarini
di Piscina, hein?

Le chien fit désespérément signe que oui en se levant et en
baissant la tête huit ou dix fois de suite.

- Messieurs, vous le voyez, dit M. de Beaufort aux assistants,
qui cette fois n’osèrent pas même rire du bout des dents,
l’illustrissime _facchino_ Mazarini di Piscina est le plus grand
voleur du monde connu; c’est Pistache qui le dit, du moins.

Passons à un autre exercice.

- Messieurs, continua le duc de Beaufort, profitant d’un grand
silence qui se faisait pour produire le programme de la troisième
partie de la soirée, vous vous rappelez tous que M. le duc de
Guise avait appris à tous les chiens de Paris à sauter pour
mademoiselle de Pons, qu’il avait proclamée la belle des belles!
eh bien, messieurs, ce n’était rien, car ces animaux obéissaient
machinalement, ne sachant point faire de dissidence
(M. de Beaufort voulait dire différence) entre ceux pour lesquels
ils devaient sauter et ceux pour lesquels ils ne le devaient pas.
Pistache va vous montrer ainsi qu’à monsieur le gouverneur qu’il
est fort au-dessus de ses confrères. Monsieur de Chavigny, ayez la
bonté de me prêter votre canne.

M. de Chavigny prêta sa canne à M. de Beaufort.

M. de Beaufort la plaça horizontalement à la hauteur d’un pied.

- Pistache, mon ami, dit-il, faites-moi le plaisir de sauter pour
madame de Montbazon.

Tout le monde se mit à rire: on savait qu’au moment où il avait
été arrêté, M. de Beaufort était l’amant déclaré de madame de
Montbazon.

Pistache ne fit aucune difficulté, et sauta joyeusement par-dessus
la canne.

- Mais, dit M. de Chavigny, il me semble que Pistache fait juste
ce que faisaient ses confrères quand ils sautaient pour
mademoiselle de Pons.

- Attendez, dit le prince. Pistache, mon ami, dit-il, sautez pour
la reine.

Et il haussa la canne de six pouces.

Le chien sauta respectueusement par-dessus la canne.

- Pistache, mon ami, continua le duc en haussant la canne de six
pouces, sautez pour le roi.

Le chien prit son élan, et, malgré la hauteur, sauta légèrement
par-dessus.

- Et maintenant, attention, reprit le duc en baissant la canne
presque au niveau de terre, Pistache, mon ami, sautez pour
l’illustrissime _facchino_ Mazarini di Piscina.

Le chien tourna le derrière à la canne.

- Eh bien! qu’est-ce que cela? dit M. de Beaufort en décrivant un
demi-cercle de la queue à la tête de l’animal, et en lui
présentant de nouveau la canne, sautez donc, monsieur Pistache.

Mais Pistache, comme la première fois, fit un demi-tour sur lui-
même et présenta le derrière à la canne.

M. de Beaufort fit la même évolution et répéta la même phrase,
mais cette fois la patience de Pistache était à bout; il se jeta
avec fureur sur la canne, l’arracha des mains du prince et la
brisa entre ses dents.

M. de Beaufort lui prit les deux morceaux de la gueule, et, avec
un grand sérieux, les rendit à M. de Chavigny en lui faisant force
excuses et en lui disant que la soirée était finie; mais que s’il
voulait bien dans trois mois assister à une autre séance, Pistache
aurait appris de nouveaux tours.

Trois jours après, Pistache était empoisonné.

On chercha le coupable; mais, comme on le pense bien, le coupable
demeura inconnu. M. de Beaufort lui fit élever un tombeau avec
cette épitaphe:

«Ci-gît Pistache, un des chiens les plus intelligents qui aient
jamais existé.»

Il n’y avait rien à dire de cet éloge: M. de Chavigny ne put
l’empêcher.

Mais alors le duc dit bien haut qu’on avait fait sur son chien
l’essai de la drogue dont on devait se servir pour lui, et un
jour, après son dîner, il se mit au lit en criant qu’il avait des
coliques et que c’était le Mazarin qui l’avait fait empoisonner.

Cette nouvelle espièglerie revint aux oreilles du cardinal et lui
fit grand’peur. Le donjon de Vincennes passait pour fort malsain:
madame de Rambouillet avait dit que la chambre dans laquelle
étaient morts Puylaurens, le maréchal Ornano et le grand prieur de
Vendôme valait son pesant d’arsenic, et le mot avait fait fortune.
Il ordonna donc que le prisonnier ne mangeât plus rien sans qu’on
fit l’essai du vin et des viandes. Ce fut alors que l’exempt La
Ramée fut placé près de lui à titre de dégustateur.

Cependant M. de Chavigny n’avait point pardonné au duc les
impertinences qu’avait déjà expiées l’innocent Pistache.

M. de Chavigny était une créature du feu cardinal, on disait même
que c’était son fils; il devait donc quelque peu se connaître en
tyrannie: il se mit à rendre ses noises à M. de Beaufort; il lui
enleva ce qu’on lui avait laissé jusqu’alors de couteaux de fer et
de fourchettes d’argent, il lui fit donner des couteaux d’argent
et des fourchettes de bois. M. de Beaufort se plaignit;
M. de Chavigny lui fit répondre qu’il venait d’apprendre que le
cardinal ayant dit à madame de Vendôme que son fils était au
donjon de Vincennes pour toute sa vie, il avait craint qu’à cette
désastreuse nouvelle son prisonnier ne se portât à quelque
tentative de suicide. Quinze jours après, M. de Beaufort trouva
deux rangées d’arbres gros comme le petit doigt plantés sur le
chemin qui conduisait au jeu de paume; il demanda ce que c’était,
et il lui fut répondu que c’était pour lui donner de l’ombre un
jour. Enfin, un matin, le jardinier vint le trouver, et, sous la
couleur de lui plaire, lui annonça qu’on allait faire pour lui des
plants d’asperges. Or, comme chacun le sait, les asperges, qui
mettent aujourd’hui quatre ans à venir, en mettaient cinq à cette
époque où le jardinage était moins perfectionné. Cette civilité
mit M. de Beaufort en fureur.

Alors M. de Beaufort pensa qu’il était temps de recourir à l’un de
ses quarante moyens, et il essaya d’abord du plus simple, qui
était de corrompre La Ramée; mais La Ramée, qui avait acheté sa
charge d’exempt quinze cents écus, tenait fort à sa charge. Aussi,
au lieu d’entrer dans les vues du prisonnier, alla-t-il tout
courant prévenir M. de Chavigny; aussitôt M. de Chavigny mit huit
hommes dans la chambre même du prince, doubla les sentinelles et
tripla les postes. À partir de ce moment, le prince ne marcha plus
que comme les rois de théâtre, avec quatre hommes devant lui et
quatre derrière, sans compter ceux qui marchaient en serre-file.

M. de Beaufort rit beaucoup d’abord de cette sévérité, qui lui
devenait une distraction. Il répéta tant qu’il put: «Cela m’amuse,
cela me _diversifie_» (M. de Beaufort voulait dire: Cela me
divertit; mais, comme on sait, il ne disait pas toujours ce qu’il
voulait dire). Puis il ajoutait: «D’ailleurs, quand je voudrai me
soustraire aux honneurs que vous me rendez, j’ai encore trente-
neuf autres moyens.»

Mais cette distraction devint à la fin un ennui. Par fanfaronnade,
mais de Beaufort tint bon six mois; mais au bout de six mois,
voyant toujours huit hommes s’asseyant quand il s’asseyait, se
levant quand il se levait, s’arrêtant quand il s’arrêtait, il
commença à froncer le sourcil et à compter les jours.

Cette nouvelle persécution amena une recrudescence de haine contre
le Mazarin. Le prince jurait du matin au soir, ne parlant que de
capilotades d’oreilles mazarines. C’était à faire frémir; le
cardinal, qui savait tout ce qui se passait à Vincennes, en
enfonçait malgré lui sa barrette jusqu’au cou.

Un jour M. de Beaufort rassembla les gardiens, et malgré sa
difficulté d’élocution devenue proverbiale, il leur fit ce
discours qui, il est vrai, était préparé d’avance:

- Messieurs, leur dit-il, souffrirez-vous donc qu’un petit-fils
du bon roi Henri IV soit abreuvé d’outrages et d’_ignobilies_ (il
voulait dire d’ignominies); ventre-saint-gris! comme disait mon
grand-père, j’ai presque régné dans Paris, savez-vous! j’ai eu en
garde pendant tout un jour le roi et Monsieur. La reine me
caressait alors et m’appelait le plus honnête homme du royaume.
Messieurs les bourgeois, maintenant, mettez-moi dehors: j’irai au
Louvre, je tordrai le cou au Mazarin, vous serez mes gardes du
corps, je vous ferai tous officiers et avec de bonnes pensions.
Ventre-saint-gris! en avant, marche!

Mais, si pathétique qu’elle fût, l’éloquence du petit-fils de
Henri IV n’avait point touché ces coeurs de pierre; pas un ne
bougea: ce que voyant, M. de Beaufort leur dit qu’ils étaient tous
des gredins et s’en fit des ennemis cruels.

Quelquefois, lorsque M. de Chavigny le venait voir, ce à quoi il
ne manquait pas deux ou trois fois la semaine, le duc profitait de
ce moment pour le menacer.

- Que feriez-vous, monsieur, lui disait-il, si un beau jour vous
voyiez apparaître une armée de Parisiens tout bardés de fer et
hérissés de mousquets, venant me délivrer?

- Monseigneur, répondit M. de Chavigny en saluant profondément le
prince, j’ai sur les remparts vingt pièces d’artillerie, et dans
mes casemates trente mille coups à tirer; je les cartonnerais de
mon mieux.

- Oui, mais quand vous auriez tiré vos trente mille coups, ils
prendraient le donjon, et le donjon pris, je serais forcé de les
laisser vous pendre, ce dont je serais bien marri, certainement.

Et à son tour le prince salua M. de Chavigny avec la plus grande
politesse.

- Mais moi, Monseigneur, reprenait M. de Chavigny, au premier
croquant qui passerait le seuil de mes poternes, ou qui mettrait
le pied sur mon rempart, je serais forcé, à mon bien grand regret,
de vous tuer de ma propre main, attendu que vous m’êtes confié
tout particulièrement, et que je vous dois rendre mort au vif.

Et il saluait Son Altesse de nouveau.

- Oui, continuait le duc; mais comme bien certainement ces braves
gens-là ne viendraient ici qu’après avoir un peu pendu M. Giulio
Mazarini, vous vous garderiez bien de porter la main sur moi et
vous me laisseriez vivre, de peur d’être tiré à quatre chevaux par
les Parisiens, ce qui est bien plus désagréable encore que d’être
pendu, allez.

Ces plaisanteries aigres-douces allaient ainsi dix minutes, un
quart d’heure, vingt minutes au plus, mais elles finissaient
toujours ainsi:

M. de Chavigny, se retournant vers la porte:

- Holà! La Ramée, criait-il.

La Ramée entrait.

- La Ramée, continuait M. de Chavigny, je vous recommande tout
particulièrement M. de Beaufort: traitez-le avec tous les égards
dus à son nom et à son rang, et à cet effet ne le perdez pas un
instant de vue.

Puis il se retirait en saluant M. de Beaufort avec une politesse
ironique qui mettait celui-ci dans des colères bleues.

La Ramée était donc devenu le commensal obligé du prince, son
gardien éternel, l’ombre de son corps; mais, il faut le dire, la
compagnie de La Ramée, joyeux vivant, franc convive, buveur
reconnu, grand joueur de paume, bon diable au fond, et n’ayant
pour M. de Beaufort qu’un défaut, celui d’être incorruptible,
était devenu pour le prince plutôt une distraction qu’une fatigue.

Malheureusement il n’en était point de même pour maître La Ramée,
et quoiqu’il estimât à un certain prix l’honneur d’être enfermé
avec un prisonnier de si haute importance, le plaisir de vivre
dans la familiarité du petit-fils d’Henri IV ne compensait pas
celui qu’il eût éprouvé à aller faire de temps en temps visite à
sa famille.

On peut être excellent exempt du roi, en même temps que bon père
et bon époux. Or maître La Ramée adorait sa femme et ses enfants,
qu’il ne faisait plus qu’entrevoir du haut de la muraille, lorsque
pour lui donner cette consolation paternelle et conjugale ils se
venaient promener de l’autre côté des fossés; décidément c’était
trop peu pour lui, et La Ramée sentait que sa joyeuse humeur,
qu’il avait considérée comme la cause de sa bonne santé, sans
calculer qu’au contraire elle n’en était probablement que le
résultat, ne tiendrait pas longtemps à un pareil régime. Cette
conviction ne fit que croître dans son esprit, lorsque, peu à peu,
les relations de M. de Beaufort et de M. de Chavigny s’étant
aigries de plus en plus, ils cessèrent tout à fait de se voir. La
Ramée sentit alors la responsabilité peser plus forte sur sa tête,
et comme justement, par ces raisons que nous venons d’expliquer,
il cherchait du soulagement, il accueillit très chaudement
l’ouverture que lui avait faite son ami, l’intendant du maréchal
de Grammont, de lui donner un acolyte: il en avait aussitôt parlé
à M. de Chavigny, lequel avait répondu qu’il ne s’y opposait en
aucune manière, à la condition toutefois que le sujet lui convînt.

Nous regardons comme parfaitement inutile de faire à nos lecteurs
le portrait physique et moral de Grimaud: si, comme nous
l’espérons, ils n’ont pas tout à fait oublié la première partie de
cet ouvrage, ils doivent avoir conservé un souvenir assez net de
cet estimable personnage, chez lequel il ne s’était fait d’autre
changement que d’avoir pris vingt ans de plus: acquisition qui
n’avait fait que le rendre plus taciturne et plus silencieux,
quoique, depuis le changement qui s’était opéré en lui, Athos lui
eût rendu toute permission de parler.

Mais à cette époque il y avait déjà douze ou quinze ans que
Grimaud se taisait, et une habitude de douze ou quinze ans est
devenue une seconde nature.
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