
PLUME DE POÉSIES Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus. |
| | Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. III | |
| | |
Auteur | Message |
---|
Invité Invité
 | Sujet: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. III Sam 27 Juil - 23:08 | |
| III Comme vous n’avez probablement pas vu la caricature de Jacobus Pragmater, dessinée au charbon sur la porte de la cuisine de mon oncle le chanoine, et qu’il est peu probable que vous alliez à *** pour la voir, vous vous contenterez d’un portrait à la plume. Jacobus Pragmater, qui joue en cette histoire le rôle de la fatalité antique, avait toujours eu soixante ans : il était né avec des rides, la nature l’avait jeté en moule tout exprès pour faire un bedeau ou un maître d’école de village ; en nourrice, il était déjà pédant. Étant jeune, il avait écrit en petite bâtarde l’Ave et le Credo dans un rond de parchemin de la grandeur d’un petit écu. Il l’avait présenté à M. le marquis de ***, dont il était le filleul ; celui-ci, après l’avoir considéré attentivement, s’était écrié à plusieurs reprises : -Voilà un garçon qui n’est pas manchot ! |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. III Sam 27 Juil - 23:08 | |
| Il se plaisait à nous raconter cette anecdote, ou, comme il l’appelait, cet apophtegme ; le dimanche, quand il avait bu deux doigts de vin, et qu’il était en belle humeur, il ajoutait, par manière de réflexion, que M. le marquis de *** était bien le gentilhomme de France le plus spirituel et le mieux appris qu’il eût jamais connu.
|
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. III Sam 27 Juil - 23:08 | |
| Quoique, aux importantes fonctions de maître d’école, il ajoutât celles non moins importantes de bedeau, de chantre, de sonneur, il n’en était pas plus fier. À ses heures de relâche, il soignait le jardin de mon oncle, et, l’hiver, il lisait une page ou deux de Voltaire ou de Rousseau en cachette ; car, étant plus d’à moitié prêtre, comme il le disait, une pareille lecture n’eût pas été convenable en public. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. III Sam 27 Juil - 23:08 | |
| C’était un esprit sec, exact cependant, mais sans rien d’onctueux. Il ne comprenait rien à la poésie, il n’avait jamais été amoureux et n’avait pas pleuré une seule fois dans sa vie. Il n’avait aucune des charmantes superstitions de campagne, et il grondait toujours Berthe, quand elle nous racontait une histoire de fée ou de revenant. Je crois qu’au fond il pensait que la religion n’était bonne que pour le peuple. En un mot, c’était la prose incarnée, la prose dans toute son étroitesse, la prose de Barême et de Lhomond. Son extérieur répondait parfaitement à son intérieur. Il avait quelque chose de pauvre, d’étriqué, |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. III Sam 27 Juil - 23:09 | |
| d’incomplet, qui faisait peine à voir et donnait envie de rire en même temps. Sa tête, bizarrement bossuée, luisait à travers quelques cheveux gris ; ses sourcils blancs se hérissaient en buisson sur deux petits yeux vert de mer, clignotants et enfouis dans une patte d’oie de rides horizontales. Son nez, long comme une flûte d’alambic, tout diapré de verrues, tout barbouillé de tabac, se penchait amoureusement sur son menton. Aussi, lorsqu’on jouait aux petits jeux, et qu’il fallait embrasser quelqu’un pour pénitence, c’était toujours lui que les jeunes filles choisissaient en présence de leur mère ou de leur amant. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. III Sam 27 Juil - 23:09 | |
| Ces avantages naturels étaient merveilleusement rehaussés par le costume de leur propriétaire : il portait d’habitude un habit noir râpé, avec des boutons larges comme des tabatières, les bas et la culotte de couleur incertaine ; des souliers à boucles et un chapeau à trois cornes que mon oncle avait porté deux ans avant de lui en faire cadeau. Ô digne Jacobus Pragmater, qui aurait pu s’empêcher de rire en te voyant arriver par la porte du jardin, le nez au vent, les manches pendantes de ton grand habit flottant au long de ton corps, comme si elles eussent été un rouleau de papier sortant à demi de ta poche ! Tu aurais déridé le front du spleen en personne. Il nous embrassa selon sa coutume, piqua les joues potelées de Maria à la brosse de sa barbe, me donna un petit coup sur l’épaule, et tira de sa poche un coeur de pain d’épice enveloppé d’un papier chamarré d’or et de paillon qu’il partagea entre Maria et moi. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. III Sam 27 Juil - 23:09 | |
| Il nous demanda si nous avions été bien sages. La réponse, sans hésiter, fut affirmative, comme on peut le croire. Pour nous récompenser, il nous promit à chacun une image coloriée.
Les galoches de Berthe sonnèrent dans le haut de l’escalier ; le service de mon oncle ne la retenait plus, elle vint s’asseoir au coin du feu avec nous. Maria quitta aussitôt le genou où Pragmater la retenait presque malgré elle ; car, en dépit de toutes ses caresses, elle ne le pouvait souffrir, et courut se mettre sur les genoux de Berthe. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. III Sam 27 Juil - 23:09 | |
| Elle lui raconta ce que nous avions entendu, et lui répéta même quelques couplets de la ballade qu’elle avait retenus.
Berthe l’écouta gravement et avec bonté, et dit, quand elle eut fini, qu’il n’y avait rien d’impossible à Dieu ; que les grillons étaient le bonheur de la maison, et qu’elle se croirait perdue si elle en tuait un, même par mégarde.
|
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. III Sam 27 Juil - 23:09 | |
| Pragmater la tança vivement d’une croyance aussi absurde, et lui dit que c’était pitié d’inculquer des superstitions de bonne femme à des enfants, et que, s’il pouvait attraper celui de la cheminée, il le tuerait, pour nous montrer que la vie ou la mort d’une méchante bête était parfaitement insignifiante. J’aimais assez Pragmater, parce qu’il me donnait toujours quelque chose ; mais, en ce moment, il me parut d’une férocité de cannibale, et je l’aurais volontiers dévisagé. Même à présent que l’habitude de la vie et le train des choses m’ont usé l’âme et durci le coeur, je me reprocherais comme un crime le meurtre d’une mouche, trouvant, comme le bon Tobie, que le monde est assez large pour deux. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. III Sam 27 Juil - 23:09 | |
| Pendant cette conversation, le grillon jetait imperturbablement ses notes aiguës et vibrantes à travers la voix sourde et cassée de Pragmater, la couvrant quelquefois et l’empêchant d’être entendue. Pragmater, impatienté, donna un coup de pied si violent du côté d’où le chant paraissait venir, que plusieurs flocons de suie se détachèrent et avec eux la cellule du grillon, qui se mit à courir sur la cendre aussi vite que possible pour regagner un autre trou. Par malheur pour lui, le rancunier maître d’école l’aperçut, et, malgré nos cris, le saisit par une patte au moment où il entrait dans l’interstice de deux briques. Le grillon, se voyant perdu, abandonna bravement sa patte, qui resta entre les doigts de Pragmater comme un trophée, et s’enfonça profondément dans le trou. Pragmater jeta froidement au feu la patte toute frémissante encore. |
|  | | | Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. III | |
|
Sujets similaires |  |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |
|