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| | Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius | |
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Auteur | Message |
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 | Sujet: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:08 | |
| Rappel du premier message :
Gargantua , liv. 1, ch. XI.
- Kling, kling, kling! - Pas de réponse. - Est-ce qu'il n'y serait pas? dit la jeune fille.
Elle tira une seconde fois le cordon de la sonnette; aucun bruit ne se fit entendre dans l'appartement: il n'y avait personne.
- C'est étrange!
Elle se mordit la lèvre, une rougeur de dépit passa de sa joue à son front; elle se mit à descendre les escaliers un à un, bien lentement, comme à regret, retournant la tête pour voir si la porte fatale s'ouvrait. - Rien.
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Auteur | Message |
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Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:11 | |
| Qu'y avait-il au fond de déraisonnable dans cette supposition? L'existence du diable est prouvée par les autorités les plus respectables, tout comme celle de Dieu. C'est même un article de foi, et Onuphrius, pour s'empêcher d'en douter, compulsa sur les registres de sa vaste mémoire tous les endroits des auteurs profanes ou sacrés dans lesquels on traite de cette matière importante.
Le diable rôde autour de l'homme; Jésus lui-même n'a pas été à l'abri de ses embûches; la tentation de saint Antoine est populaire; Martin Luther fut aussi tourmenté par Satan, et, pour s'en débarrasser, fut obligé de lui jeter son écritoire à la tête. On voit encore la tache d'encre sur le mur de la cellule.
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 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:12 | |
| Il se rappela toutes les histoires d'obsession, depuis le possédé de la Bible jusqu'aux religieuses de Loudun; tous les livres de sorcellerie qu'il avait lus: Bodin, Delrio, Le Loyer, Bordelon, le Monde invisible de Bekker, l'Infernalia, les Farfadets de M. de Berbiguier de Terre-Neuve-du-Thym, le Grand et le Petit Albert, et tout ce qui lui parut obscur devint clair comme le jour; c'était le diable qui avait fait avancer l'aiguille, qui avait mis des moustaches à son portrait, changé le crin de ses brosses en fils d'archal et rempli ses vessies de poudre fulminante. Le coup dans le coude s'expliquait tout naturellement; mais quel intérêt Belzébuth pouvait-il avoir à le persécuter? Etait-ce pour avoir son âme? ce n'est pas la manière dont il s'y prend; enfin il se rappela qu'il avait fait, il n'y a pas bien longtemps, un tableau de saint Dunstan tenant le diable par le nez avec des pincettes rouges; il ne douta pas que ce ne fût pour avoir été représenté par lui dans une position aussi humiliante que le diable lui faisait ces petites niches. Le jour tombait, de longues ombres bizarres se découpaient sur le plancher de l'atelier. Cette idée grandissant dans sa tête, le frisson commençait à lui courir le long du dos, et la peur l'aurait bientôt pris, si un de ses amis n'eût fait, en entrant, diversion à toutes ses visions cornues. Il sortit avec lui, et comme personne au monde n'était plus impressionnable, et que son ami était gai, un essaim de pensées folâtres eut bientôt chassé ces rêveries lugubres. Il oublia totalement ce qui était arrivé, ou, s'il s'en ressouvenait, il riait tout bas en lui-même. Le lendemain il se remit à l'oeuvre. Il travailla trois ou quatre heures avec acharnement. Quoique Jacintha fût absente, ses traits étaient si profondément gravés dans son coeur, qu'il n'avait pas besoin d'elle pour terminer son portrait. Il était presque fini, il n'y avait plus que deux ou trois dernières touches à poser, et la signature à mettre, quand une petite peluche, qui dansait avec ses frères les atomes dans un beau rayon jaune, par une fantaisie inexplicable, quitta tout à coup sa lumineuse salle de bal, se dirigea en se dandinant vers la toile d'Onuphrius, et vint s'abattre sur un rehaut qu'il venait de poser. |
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 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:12 | |
| Onuphrius retourna son pinceau, et, avec le manche, l'enleva le plus délicatement possible. Cependant il ne put le faire si légèrement qu'il ne découvrît le champ de la toile en emportant un peu de couleur. Il refit une teinte pour réparer le dommage: la teinte était trop foncée, et faisait tache; il ne put rétablir l'harmonie qu'en remaniant tout le morceau; mais, en le faisant, il perdit son contour, et le nez devint aquilin, de presque à la Roxelane qu'il était, ce qui changea tout à fait le caractère de la tête; ce n'était plus Jacintha, mais bien une de ses amies avec qui elle s'était brouillée, parce qu'Onuphrius la trouvait jolie. |
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 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:12 | |
| L'idée du Diable revint à Onuphrius à cette métamorphose étrange; mais, en regardant plus attentivement, il vit que ce n'était qu'un jeu de son imagination, et comme la journée s'avançait, il se leva et sortit pour rejoindre sa maîtresse chez M. de ***. Le cheval allait comme le vent: bientôt Onuphrius vit poindre au dos de la colline la maison de M. de ***, blanche entre les marronniers. Comme la grande route faisait un détour, il la quitta pour un chemin de traverse, un chemin creux qu'il connaissait très bien, où tout enfant il venait cueillir les mûres et chasser aux hannetons. |
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 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:12 | |
| Il était à peu près au milieu quand il se trouva derrière une charrette à foin, que les détours du sentier l'avaient empêché d'apercevoir. Le chemin était si étroit, la charrette si large, qu'il était impossible de passer devant; il remit son cheval au pas, espérant que la route, en s'élargissant, lui permettrait un peu plus loin de le faire. Son espérance fut trompée; c'était comme un mur qui reculait imperceptiblement. Il voulut retourner sur ses pas, une autre charrette de foin le suivait par-derrière et le faisait prisonnier. Il eut un instant la pensée d'escalader les bords du ravin, mais ils étaient à pic et couronnés d'une haie vive; il fallut donc se résigner: le temps coulait, les minutes lui semblaient des éternités, sa fureur était au comble, ses artères palpitaient, son front était perlé de sueur. |
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 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:12 | |
| Une horloge à la voix fêlée, celle du village voisin, sonna six heures; aussitôt qu'elle eut fini, celle du château, dans un ton différent, sonna à son tour; puis une autre, puis une autre encore; toutes les horloges de la banlieue d'abord successivement, ensuite toutes à la fois. C'était un tutti de cloches, un concerto de timbres flûtés, ronflants, glapissants, criards, un carillon à vous fendre la tête. Les idées d'Onuphrius se confondirent, le vertige le prit. Les clochers s'inclinaient sur le chemin creux pour le regarder passer, ils le montraient au doigt, lui faisaient la nique et lui tendaient par dérision leurs cadrans dont les aiguilles étaient perpendiculaires. Les cloches lui tiraient la langue et lui faisaient la grimace, sonnant toujours les six coups maudits. Cela dura longtemps, six heures sonnèrent ce jour-là jusqu'à sept.
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 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:12 | |
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Enfin, la voiture déboucha dans la plaine. Onuphrius enfonça ses éperons dans le ventre de son cheval: le jour tombait, on eût dit que sa monture comprenait combien il lui était important d'arriver. Ses pieds touchaient à peine la terre, et, sans les aigrettes d'étincelles qui jaillissaient de loin en loin de quelque caillou heurté, on eût pu croire qu'elle volait. Bientôt une blanche écume enveloppa comme une housse d'argent son poitrail d'ébène: il était plus de sept heures quand Onuphrius arriva. Jacintha était partie. M. de *** lui fit les plus grandes politesses, se mit à causer littérature avec lui, et finit par lui proposer une partie de dames.
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 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:13 | |
| Onuphrius ne put faire autrement que d'accepter, quoique toute espèce de jeux, et en particulier celui-là, l'ennuyât mortellement. On apporta le damier. M. de *** prit les noires, Onuphrius les blanches: la partie commença, les joueurs étaient à peu près de même force; il se passa quelque temps avant que la balance penchât d'un côté ou de l'autre.
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 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:13 | |
| Tout à coup elle tourna du côté du vieux gentilhomme; ses pions avançaient avec une inconcevable rapidité, sans qu'Onuphrius, malgré tous les efforts qu'il faisait, pût y apporter aucun obstacle. Préoccupé qu'il était d'idées diaboliques, cela ne lui parut pas naturel; il redoubla donc d'attention, et finit par découvrir, à côté du doigt dont il se servait pour remuer ses pions, un autre doigt maigre, noueux, terminé par une griffe (que d'abord il avait pris pour l'ombre du sien), qui poussait ses dames sur la ligne blanche, tandis que celles de son adversaire défilaient processionnellement sur la ligne noire. Il devint pâle, ses cheveux se hérissèrent sur sa tête. Cependant il remit ses pions en place, et continua de jouer. Il se persuada que ce n'était que l'ombre, et, pour s'en convaincre, il changea la bougie de place: l'ombre passa de l'autre côté, et se projeta en sens inverse; mais le doigt à griffe resta ferme à son poste, déplaçant les dames d'Onuphrius, et employant tous les moyens pour le faire perdre. |
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 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:13 | |
| D'ailleurs, il n'y avait aucun doute à avoir, le doigt était orné d'un gros rubis. Onuphrius n'avait pas de bague.
- Pardieu! c'est trop fort! s'écria-t-il en donnant un grand coup de poing dans le damier et en se levant brusquement; vieux scélérat! vieux gredin!
M. de ***, qui le connaissait d'enfance et qui attribuait cette algarade au dépit d'avoir perdu, se mit à rire aux éclats et à lui offrir d'ironiques consolations. La colère et la terreur se disputaient l'âme d'Onuphrius: il prit son chapeau et sortit.
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|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:13 | |
| La nuit était si noire qu'il fut obligé de mettre son cheval au pas. A peine une étoile passait-elle çà et là le nez hors de sa mantille de nuages; les arbres de la route avaient l'air de grands spectres tendant les bras; de temps en temps un feu follet traversait le chemin, le vent ricanait dans les branches d'une façon singulière. L'heure s'avançait, et Onuphrius n'arrivait pas; cependant les fers de son cheval sonnant sur le pavé montraient qu'il ne s'était pas fourvoyé. |
|  | | | Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius | |
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