
PLUME DE POÉSIES Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus. |
| | Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius | |
| | |
Auteur | Message |
---|
Invité Invité
 | Sujet: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:08 | |
| Rappel du premier message :
Gargantua , liv. 1, ch. XI.
- Kling, kling, kling! - Pas de réponse. - Est-ce qu'il n'y serait pas? dit la jeune fille.
Elle tira une seconde fois le cordon de la sonnette; aucun bruit ne se fit entendre dans l'appartement: il n'y avait personne.
- C'est étrange!
Elle se mordit la lèvre, une rougeur de dépit passa de sa joue à son front; elle se mit à descendre les escaliers un à un, bien lentement, comme à regret, retournant la tête pour voir si la porte fatale s'ouvrait. - Rien.
|
|  | |
Auteur | Message |
---|
Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:16 | |
| Onuphrius en était là de son rêve lorsque j'entrai dans l'atelier: il criait effectivement à pleine gorge; je le secouai, il se frotta les yeux et me regarda d'un air hébété; enfin il me reconnut, et me raconta, ne sachant trop s'il avait veillé ou dormi, la série de ses tribulations que l'on vient de lire; ce n'était pas, hélas! les dernières qu'il devait éprouver réellement ou non. Depuis cette nuit fatale, il resta dans un état d'hallucination presque perpétuel qui ne lui permettait pas de distinguer ses rêveries d'avec le vrai. Pendant qu'il dormait, Jacintha avait envoyé chercher le portrait; elle aurait bien voulu y aller elle- même, mais sa robe tachée l'avait trahie auprès de sa tante, dont elle n'avait pu tromper la surveillance. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:16 | |
| Onuphrius, on ne peut plus désappointé de ce contretemps, se jeta dans un fauteuil, et, les coudes sur la table, se prit tristement à réfléchir; ses regards flottaient devant lui sans se fixer particulièrement sur rien: le hasard fit qu'ils tombèrent sur une grande glace de Venise à bordure de cristal, qui garnissait le fond de l'atelier; aucun rayon de jour ne venait s'y briser, aucun objet ne s'y réfléchissait assez exactement pour que l'on pût en apercevoir les contours: cela faisait un espace vide dans la muraille, une fenêtre ouverte sur le néant, d'où l'esprit pouvait plonger dans les mondes imaginaires. Les prunelles d'Onuphrius fouillaient ce prisme profond et sombre, comme pour en faire jaillir quelque apparition. Il se pencha, il vit son reflet double, il pensa que c'était une illusion d'optique; mais en examinant plus attentivement, il trouva que le second reflet ne lui ressemblait en aucune façon; il crut que quelqu'un était entré dans l'atelier sans qu'il l'eût entendu: il se retourna. Personne. L'ombre continuait cependant à se projeter dans la glace, c'était un homme pâle, ayant au doigt un gros rubis, pareil au mystérieux rubis qui avait joué un rôle dans les fantasmagories de la nuit précédente. Onuphrius commençait à se sentir mal à l'aise. Tout à coup le reflet sortit de la glace, descendit dans la chambre, vint droit à lui, le força à s'asseoir, et, malgré sa résistance, lui enleva le dessus de la tête comme on ferait de la calotte d'un pâté. L'opération finie, il mit le morceau dans sa poche, et s'en retourna par où il était venu. Onuphrius, avant de le perdre tout à fait de vue dans les profondeurs de la glace, apercevait encore à une distance incommensurable son rubis qui brillait comme une comète. Du reste, cette espèce de trépan ne lui avait fait aucun mal. Seulement, au bout de quelques minutes, il entendit un bourdonnement étrange au-dessus de sa tête; il leva les yeux, et vit que c'étaient ses idées qui, n'étant plus contenues par la voûte du crâne, s'échappaient en désordre comme les oiseaux dont on ouvre la cage. Chaque idéal de femme qu'il avait rêvé sortit avec son costume, son parler, son attitude (nous devons dire à la louange d'Onuphrius qu'elles avaient l'air de soeurs jumelles de Jacintha, les héröines des romans qu'il avait projetés; chacune de ces dames avait son cortège d'amants, les unes en cotte armoriées du Moyen Age, les autres en chapeaux et en robe de dix-huit cent trente-deux. Les types qu'il avait créés grandioses, grotesques, ou monstrueux, les esquisses de ses tableaux à faire, de toute nation et de tout temps, ses idées métaphysiques sous la forme de petites bulles de savon, les réminiscences de ses lectures, tout cela sortit pendant une heure au moins: l'atelier en était plein. Ces dames et ces messieurs se promenaient en long et en large sans se gêner le moins du monde, causant, riant, se disputant, comme s'ils eussent été chez eux. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:16 | |
| Onuphrius, abasourdi, ne sachant où se mettre, ne trouva rien de mieux à faire que de leur céder la place; lorsqu'il passa sous la porte, le concierge lui remit deux lettres; deux lettres de femmes, bleues, ambrées, l'écriture petite, le pli long, le cachet rose.
La première était de Jacintha, elle était conçue ainsi:
"Monsieur, vous pouvez bien avoir mademoiselle de *** pour maîtresse si cela vous fait plaisir; quant à moi, je ne veux plus l'être, tout mon regret est de l'avoir été. Vous m'obligerez beaucoup de ne pas chercher à me revoir."
Onuphrius était anéanti; il comprit que c'était la maudite ressemblance du portrait qui était cause de tout; ne se sentant pas coupable, il espéra qu'avec le temps tout s'éclaircirait à son avantage. La seconde lettre était une invitation de soirée.
|
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:16 | |
| - Bon! dit-il, j'irai, cela me distraira un peu et dissipera toutes ces vapeurs noires. L'heure vint; il s'habilla, la toilette fut longue; comme tous les artistes (quand ils ne sont pas sales à faire peur), Onuphrius était recherché dans sa mise, non que ce fût un fashionable, mais il cherchait à donner à nos pitoyables vêtements un galbe pittoresque, une tournure moins prosaïque. Il se modelait sur un beau Van Dyck qu'il avait dans son atelier, et vraiment il y ressemblait à s'y méprendre. On eût dit le portrait descendu du cadre ou la réflexion de la peinture dans un miroir. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:20 | |
| Il y avait beaucoup de monde; pour arriver à la maîtresse de la maison il lui fallut fendre un flot de femmes, et ce ne fut pas sans froisser plus d'une dentelle, aplatir plus d'une manche, noircir plus d'un soulier, qu'il y put parvenir; après avoir échangé les deux ou trois banalités d'usage; il tourna sur ses talons, et se mit à chercher quelque figure amie dans toute cette cohue. Ne trouvant personne de connaissance, il s'établit dans une causeuse à l'embrasure d'une croisée, d'où, à demi caché par les rideaux, il pouvait voir sans être vu, car depuis la fantastique évaporation de ses idées, il ne se souciait pas d'entrer en conversation; il se croyait stupide quoiqu'il n'en fût rien; le contact du monde l'avait remis dans la réalité. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:21 | |
| La soirée était des plus brillantes. Un coup d'oeil magnifique! Cela reluisait, chatoyait, scintillait; cela bourdonnait, papillonnait, tourbillonnait. Des gazes comme des ailes d'abeilles, des tulles, des crêpes, des blondes, lamés, côtelés, ondés, découpés, déchiquetés à jour; toiles d'araignée, air filé, brouillard tissu; de l'or et de l'argent, de la soie et du velours, des paillettes, du clinquant, des fleurs, des plumes, des diamants et des perles; tous les écrins vidés, le luxe de tous les mondes à contribution. Un beau tableau, sur ma foi! Les girandoles de cristal étincelaient comme des étoiles; des gerbes de lumière, des iris prismatiques s'échappaient des pierreries; les épaules des femmes, lustrées, satinées, trempées d'une molle sueur, semblaient des agates ou des onyx dans l'eau; les yeux papillotaient, les gorges battaient la campagne, les mains s'étreignaient, les têtes penchaient, les écharpes allaient au vent, c'était le beau moment; la musique étouffée par les voix, les voix par le frôlement des petits pieds sur le parquet et le frou-frou des robes, tout cela forma une harmonie de fête, un bruissement joyeux à enivrer le plus mélancolique, à rendre fou tout autre qu'un fou. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:24 | |
| Pour Onuphrius, il n'y prenait pas garde, il songeait à Jacintha.
Tout à coup son oeil s'alluma, il avait vu quelque chose d'extraordinaire: un jeune homme qui venait d'entrer; il pouvait avoir vingt-cinq ans, un frac noir, le pantalon pareil, un gilet de velours rouge taillé en pourpoint, des gants blancs, un binocle d'or, des cheveux en brosse, une barbe rousse à la Saint- Mégrin, il n'y avait là rien d'étrange, plusieurs merveilleux avaient le même costume; ses traits étaient parfaitement réguliers, son profil fin et correct eût fait envie à plus d'une petite-maîtresse, mais il y avait tant d'ironie dans cette blouche pâle et mince, dont les coins fuyaient perpétuellement sous l'ombre de leurs moustaches fauves, tant de méchanceté dans cette prunelle qui flamboyait à travers la glace du lorgnon comme l'oeil d'un vampire, qu'il était impossible de ne pas le distinguer entre mille. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:24 | |
| Il se déganta. Lord Byron ou Bonaparte se fussent honorés de sa petite main aux doigts ronds et effilés, si frêle, si blanche, si transparente, qu'on eût craint de la briser en la serrant; il portait un gros anneau à l'index, le chaton était le fatal rubis; il brillait d'un éclat si vif, qu'il vous forçait à baisser les yeux.
Un frisson courut dans les cheveux d'Onuphrius.
La lumière des candélabres devint blafarde et verte; les yeux des femmes et les diamants s'éteignirent; le rubis radieux étincelait seul au milieu du salon obscurci comme un soleil dans la brume.
|
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:24 | |
|
L'enivrement de la fête, la folie du bal étaient au plus haut degré; personne, Onuphrius excepté, ne fit attention à cette circonstance; ce singulier personnage se glissait comme une ombre entre les groupes, disant un mot à celui- ci, donnant une poignée de main à celui-là, saluant les femmes avec un air de respect dérisoire et de galanterie exagérée qui faisait rougir les unes et mordre les lèvres aux autres; on eût dit que son regard de lynx et de loup- cervier plongeait au profond de leur coeur; un satanique dédain perçait dans ses moindres mouvements, un imperceptible clignement d'oeil, un pli du front, l'ondulation des sourcils, la proéminence que conservait toujours sa lèvre inférieure, même dans son détestable demi-sourire, tout trahissait en lui; malgré la politesse de ses manières et l'humilité de ses discours, des pensées d'orgueil qu'il aurait voulu réprimer.
|
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:24 | |
| Onuphrius, qui le couvait des yeux, ne savait que penser; s'il n'eût pas été en si nombreuse compagnie, il aurait eu grand-peur.
Il s'imagina même un instant reconnaître le personnage qui lui avait enlevé le dessus de la tête; mais il se convainquit bientôt que c'était une erreur. Plusieurs personnes s'approchèrent, la conversation s'engagea; la persuasion où il était qu'il n'avait plus d'idées les lui ôtait effectivement; inférieur à lui-même, il était au niveau des autres; on le trouva charmant et beaucoup plus spirituel qu'à l'ordinaire. Le tourbillon emporta ses interlocuteurs, il resta seul; ses idées prirent un autre cours; il oublia le bal, l'inconnu, le bruit lui-même et tout; il était à cent lieues.
|
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius Dim 28 Juil - 13:24 | |
| Un doigt se posa sur son épaule, il tressaillit comme s'il se fût réveillé en sursaut. Il vit devant lui madame de ***, qui depuis un quart d'heure se tenait debout sans pouvoir attirer son attention.
- Eh bien! Monsieur, à quoi pensez-vous donc? A moi, peut-être?
- A rien, je vous jure.
Il se leva, madame de *** prit son bras; ils firent quelques tours. Après plusieurs propos:
- J'ai une grâce à vous demander.
- Parlez, vous savez bien que je ne suis pas cruel surtout avec vous.
- Récitez à ces dames la pièce de vers que vous m'avez dite l'autre jour, je leur en ai parlé, elles meurent d'envie de l'entendre.
|
|  | | | Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius | |
|
Sujets similaires |  |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |
|